Notre-Dame : un orgue de chœur très envahissant

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Notre-Dame ne devrait pas être un terrain de jeu pour le président de la République, ni pour l’archevêché de Paris. Sans doute pensent-ils avoir une quelconque légitimité dans les décisions qu’ils prennent, mais ils n’en ont aucune. Pour trois raisons principales. La première : ils ne connaissent rien à l’histoire de l’architecture (et pire, ils s’en moquent) ; la deuxième : ils doivent respecter l’esprit sinon la lettre de la protection monument historique qui leur enlève tout droit moral de venir y apposer leur marque ; la troisième enfin, ils n’ont en aucune manière été mandaté pour cela par les innombrables donateurs pour la restauration de la cathédrale qui veulent qu’on leur rende celle-ci restaurée dans l’état qui était le sien avant l’incendie, et qui est celui qui est classé monument historique.

On sait ce qu’il en est pour les vitraux des chapelles du côté sud (voir les articles). Se moquant comme d’une guigne de l’opposition considérable que cette idée rencontre, et qui se traduit par une pétition ayant déjà recueilli 139 525 signatures à ce jour depuis son lancement à la fin de l’année dernière, Emmanuel Macron continue comme si de rien n’était son projet, nommant la commission chargée de faire le choix du maître-verrier, et renvoyant à l’automne la consultation de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture (CNPA), pourtant obligatoire dans le cadre des travaux en cours sur Notre-Dame, afin qu’elle devienne une chambre d’enregistrement pour le choix qui sera fait, sans lui donner une seconde la possibilité de s’exprimer sur le principe.

1. L’orgue de chœur avant l’incendie (derrière les stalles) dans le buffet dessiné par Viollet-le-Duc
Photo : GO69 (CC BY-SA 3.0).
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Il faut dire que la CNPA, pourtant uniquement consultative, est un petit caillou dans la chaussure des responsables de ce chantier dont ils aimeraient bien se débarrasser. Et ils l’ont fait, pour une affaire qui n’a donné pour l’instant lieu à aucune critique, car elle est menée en catimini et sans en référer à la section de la CNPA compétente pour les aménagements qui touchent à l’architecture de la cathédrale.
Nous voulons parler de la restauration de l’orgue de chœur (ill. 1), qui contrairement au grand orgue a souffert de l’incendie, sinon pour sa partie buffet (dessiné par Viollet-le-Duc), qui sera restaurée et conservée, mais pour la partie instrumentale. Celle-ci devra entièrement être refaite. Et pour cela, un projet a été concocté par l’archevêché, avec la participation de l’architecte en chef des monuments historiques Philippe Villeneuve, de la DRAC Île-de-France et de l’établissement public lui-même, qui était alors représenté par le général Georgelin, car les décisions avaient été prises avant son décès.

S’agissant d’un orgue, c’est donc la section orgues (et autres instruments de musique) de la CNPA qui a été consultée. Jusque-là, rien d’inhabituel. Mais plutôt qu’une simple reconstruction de l’instrument dans son buffet, le diocèse a souhaité que ce soit « l’occasion d’améliorer significativement l’instrument afin d’augmenter le répertoire jouable par celui-ci et de mieux en diffuser le son dans la nef ». Et pour cela, il a décidé que, « compte tenu de l’exiguïté du buffet », «  les améliorations souhaitées conduisent à la création d’une ou de plusieurs extensions, installées dans la tribune de chœur ».
Cela n’aurait pas été un problème si ces extensions avaient consisté à utiliser des tuyaux d’orgue couchés, que l’on n’aurait pas vu depuis la nef. Cette solution était possible, comme me l’a confirmé un spécialiste, mais elle n’a pas été retenue. Car si ça ne se voit pas, à quoi sert d’apposer sa marque ? La solution a donc été choisie, lors de cette séance de la CNPA, de développer cette extension en hauteur, avec des tuyaux d’orgue verticaux, qui seront donc bien visibles et qui viendront cacher une partie de la perspective de l’architecture sur les tribunes.

Pour une telle question, c’est la section « architecture » de la CNPA qui aurait dû être consultée. Non seulement elle ne l’a pas été, mais la plupart de ses membres ne sont même pas au courant de ces travaux à venir, à part son président, le sénateur Albéric de Montgolfier qui siège dans les deux sections.
Le ministère de la Culture nous a répondu par un argument d’autorité : « La haute qualité des débats montre les compétences de cette section en matière d’orgues en particulier, et permet un débat contradictoire sur les aspects historiques, visuels, acoustiques et musicaux », et prétend que cela suffirait à autoriser l’examen par la seule section orgues. Or le nom des différentes sections contredit absolument cette interprétation. Si la section 5 porte sur « la protection et les travaux sur les instruments de musique », la section 3 porte sur « les projets architecturaux et travaux sur immeubles ».
Or comme nous allons le voir, l’extension de l’orgue de chœur consiste bien en des travaux touchant le monument historique lui-même et ne concerne pas uniquement l’instrument existant. La manière dont le passage en CNPA section travaux a été évitée est tout-à-fait irrégulière : celle-ci doit être consultée dans la bonne section, et si les spécialistes d’orgue doivent l’être pour la reconstruction de l’instrument, c’était bien la commission « architecture » qui devait être saisie de la question architecturale, d’autant que celle-ci impacte fortement le monument.


2. Un des visuels présentés à la CNPA du 13 octobre 2022
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Cette fois, il ne s’agit pas de s’attaquer à Viollet-le-Duc, mais bien à la partie médiévale de la cathédrale. Les visuels présentés à la CNPA étaient sidérants (ill. 2 et 3) : des tuyaux d’orgue qui occultaient deux arcs donnant sur le transept, ainsi que ceux regardant vers le chœur. Une véritable négation de l’architecture. Le cahier des charges qui vient d’être diffusé est plus modéré, comme le sont les visuels (ill. 4 et 5). Cette fois, il est demandé que « la présentation des tuyaux de façade [soit] modeste, sobre et discrète, sans intention artistique trop marquée ». Néanmoins cela ne doit pas « tomber dans l’indigence » (sic). Il est demandé aussi que « les tuyaux de façade ne montent pas jusqu’au sommet de l’arc, de manière à laisser visibles les voûtes situées au-dessus de la tribune ». Et pour cela : « Le dessin de ces tuyaux de façade devra être conçu de manière itérative entre le facteur d’orgues, Philippe Villeneuve, architecte en chef des Monuments historiques en charge de la cathédrale Notre-Dame et maître d’œuvre du projet, Christian Lutz, technicien-conseil pour les orgues, sous-traitant de l’architecte, la Maitrise d’Ouvrage et les services de la DRAC ».


3. Un des visuels présentés à la CNPA du 13 octobre 2022
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Lors de la Commission, deux inspecteurs des monuments historiques ont fait part de leur expertise. Ceux-ci étaient plus que réticents, soulignant qu’il n’y avait eu aucun cahier des charges patrimonial ! Les « propositions issues du programme de l’affectataire [le diocèse donc] apparaissent disproportionnées par rapport à la mission de reconstruction de l’orgue de chœur détruit par l’incendie et aux dispositions architecturales de la cathédrale. La question de l’impact architectural de ce nouveau projet est donc bien au cœur des préoccupations de l’inspection des patrimoine ». Ils ajoutent « que les deux buffets en symétrie sur les tribunes du transept seront immédiatement visibles depuis la nef centrale et compteront beaucoup dans la perception de l’édifice. L’insertion architecturale de ces ouvrages neufs suscite des interrogations. ».


4. Un des visuels présentés dans le cahier des charges, plus modéré que ceux présentés à la CNPA, mais qui ne montrent pas les buffets en verre contenant les tuyaux
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S’il est vrai que les nouveaux visuels sont moins choquants, sans doute pour paraître tenir compte de ces remarques, ils n’en restent pas moins regrettables. Mais, surtout, ils ne sont pas conformes à ce que l’on verra vraiment. Lors de la CNPA la représentante de la DRAC Île-de-France, évidemment favorable à ce projet, affirmait que « seuls les tuyaux ser [aient] visibles depuis le sol de la cathédrale ». C’est faux comme la lecture du cahier des clauses techniques et particulières du cahier des charges l’explique clairement : ces tuyaux seront enchâssés dans des buffets, en verre pour « permettre la circulation de la lumière », qui ne sont pas représentés sur les images. Ils seront pourtant très visibles : « les parois latérales et les plafonds en verre, dans la mesure où ils laisseront passer la lumière, pourront aller au-delà de ces volumes contraints. Il est même souhaitable que le plafond ne soit pas trop prêt des extrémités supérieures des tuyaux et que le volume intérieur des deux buffets ne soit pas trop réduit, pour la bonne diffusion du son ». Le verre est transparent, certes. Mais il n’est pas invisible. Ce seront donc des tuyaux dans deux grandes boites de verre que l’on verra depuis la nef et le transept et qui viendront gêner la perception de l’architecture médiévale. Tout cela sans aucune véritable nécessité.


5. Un des visuels présentés dans le cahier des charges, plus modéré que ceux présentés à la CNPA, mais qui ne montrent pas les buffets en verre contenant les tuyaux
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Non seulement la section « architecture » de la CNPA n’a pas été consultée, mais même la section « orgue », qui a voté pour (avec néanmoins quatre oppositions et quatre abstentions), a été fort mal traitée, et sans respecter les usages de cette institution. Les représentants de la maîtrise d’ouvrage, c’est-à-dire le diocèse et l’établissement public sont restés présents pendant toute la séance sans sortir comme cela est normal pendant les débats et surtout pendant les votes. Là encore, le ministère de la Culture a affirmé que cette pratique serait normale : « l’article 19 du règlement intérieur de la CNPA précise que le huis-clos est "décidé par le président en séance, à son initiative ou sur demande de la majorité des membres présents". Il n’y a pas eu de demande de huis-clos le 13 octobre 2022. Pour mémoire, le huis-clos n’a jamais été pratiqué en 5e section depuis 2017 ». Si cette procédure est autorisée par le règlement intérieur, il est évident qu’elle n’est pas acceptable car le vote d’une telle commission, qui devrait être systématiquement à bulletin secret, ce qu’il n’est pratiquement jamais, doit laisser les membres libres de voter comme ils le veulent, notamment les représentants de l’administration qui peuvent faire l’objet de pressions de leur hiérarchie. Lors des votes de la section « travaux », et souvent même pour les délibérations, les porteurs de projet ne sont pas présents.

Enfin, que dire de la maîtrise d’ouvrage confiée à l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de Notre-Dame ? Son nom est clair : il n’a aucun rôle dans des travaux qui ne seraient pas dans ce cadre de restauration et de conservation. S’il s’était agi de restaurer l’orgue de chœur, comme c’était le cas du grand orgue, il était légitime. Il s’agit ici, bien au-delà de sa restauration, d’une création d’un nouvel orgue de chœur, beaucoup plus important, donc hors de son champ. Le ministère de la Culture, là encore, essaye de le justifier, en reprenant les missions de l’établissement public telles qu’elles apparaissent dans la loi, qui ne dit rien d’autre que ce que nous venons d’écrire. Et il conclut que : « cette extension instrumentale étant incluse dans l’opération globale de restauration de l’orgue de chœur, elle peut être réalisée sous la maîtrise d’ouvrage unique de l’EP-RNDP ». Chacun jugera de ces arguments qui ne nous semblent absolument pas convaincants.

Quant au financement de cet orgue (diocèse ? ministère de la Culture ? avec ou non l’argent provenant des dons ?), le ministère laissait le soin à l’établissement public de nous répondre. Il n’a pas trouvé le temps de le faire pendant les quelques jours de délai que nous lui avions donnés.

Alors que les travaux eux-même avancent remarquablement bien, avec notamment l’achèvement de la flèche et la restauration du toit actuellement en cours, la restauration de Notre-Dame aurait pu s’épargner ces affaires de vitraux, d’orgue, ou encore de destructions archéologiques (voir l’article), sans parler du scandale de la non continuation des fouilles au niveau du chœur (voir l’article)…

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