La question mérite d’être posée : nos dirigeants perdent-ils la tête ? Le dernier projet sécuritaire en date, souhaité par la Société d’exploitation de la tour Eiffel, soutenu aussitôt, évidemment, par la Mairie de Paris et demain sans aucun doute approuvé par le ministère de la Culture et le gouvernement, est totalement délirant, sur tous les plans.
Il s’agit donc, sous prétexte de protection contre les attentats, d’entourer la tour Eiffel et les jardins qui la bordent d’un mur de verre pare-balle de 2,50 de hauteur. Le tout pour la somme exorbitante de vingt millions d’euros. Cette décision n’est pas seulement ruineuse, inefficace et inesthétique. Elle est stupide.
En admettant que ce mur protège les visiteurs qui se trouvent à l’intérieur d’une éventuelle attaque terroriste, comment va-t-on protéger les files d’attente forcément très longues qui vont se former à l’entrée du périmètre ? Faudra-t-il construire un nouveau mur autour de ces foules ?
En admettant que ce mur protège les visiteurs qui se trouvent à l’intérieur d’une fusillade extérieure, ne serait-il pas plus sage de mettre la tour Eiffel entièrement sous verre, de la base au sommet, pour la protéger d’une attaque par drône ou par hélicoptère contre lequel ce mur ne pourra rien ?
En admettant que ce mur dissuade d’éventuels terroristes de s’attaquer à la tour Eiffel, les autres cibles ne manquent pas. Ne serait-il pas plus sage d’entourer d’un mur de verre de 2,50 m de haut et à l’épreuve des balles l’Arc de Triomphe, Notre-Dame, le Louvre, le Musée d’Orsay, le Centre Pompidou, et à peu près tous les monuments fréquentés par le public ?
En admettant que ces murs soient efficaces, pourquoi n’étend-on pas cette merveilleuse idée en dehors de Paris où le terrorisme aussi peut sévir ? Allez hop ! Sous cloche le Mont-Saint-Michel, le château de Versailles ou le château du Haut-Koenigsbourg ! Entourons tout Paris d’un mur, ou même la France entière, on sera bien chez nous, tout seuls, sans personne pour nous embêter.
Ce mur est censé avoir un effet esthétique pour remplacer les actuelles barrières mises en place autour du monument. Mais il faut enlever ces barrières, pas les remplacer par des murs de verre dont on sait qu’ils ne seront jamais transparents et qu’ils vont ruiner les perspectives sur un site à la fois classé et inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.
De la même manière, Paris est la seule grande ville au monde où, sous prétexte de plan Vigipirate (un plan qui dure depuis plus de vingt ans !), des poubelles fermées et discrètes ont été remplacées par de grands préservatifs en plastique qui permettent à tout un chacun de bénéficier visuellement des ordures parisiennes et qui se percent régulièrement, salissant encore davantage une ville devenue chaque jour plus répugnante.
Les conséquences de cette politique vont bien au-delà de nos préoccupations habituelles, la défense du patrimoine. Cette fuite en avant sécuritaire qui va de pair avec un état d’urgence devenu permanent, cette impossibilité de circuler et de se promener sans être partout contrôlés (avec une inefficacité qui pourrait faire sourire), la multiplication des systèmes de protection qui n’ont que l’affichage pour unique raison d’être ne feront évidemment pas reculer le terrorisme. Ils font, en revanche, nettement reculer la démocratie.