La synagogue Copernic : encore un monument Art déco menacé

1 1 commentaire

Le dossier a déjà été largement médiatisé et nous aurions dû en parler depuis longtemps mais désormais le temps presse puisque la demande de permis de démolir a été déposée et que le dossier est en cours d’instruction auprès de la Ville de Paris. Il s’agit de la synagogue de la rue Copernic, celle-là même qui avait été victime, le 3 octobre 1980, d’un attentat à la bombe ayant fait quatre morts et une quarantaine de blessés et qui, pendant la guerre, avait également été touchée par un premier attentat le 3 octobre 1941.


1. La synagogue Copernic
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

Nous avions voulu entrer dans la synagogue pour nous rendre compte sur place de la qualité du monument et y réaliser un reportage photographique mais les lieux sont complètement interdits aux journalistes. Nous avons donc dû nous rendre à un office et prendre discrètement quelques photographies (ill. 1) que nous complétons ici avec de meilleures images (ill. 2 à 5) qui nous ont été gracieusement fournies par un opposant à la démolition de l’édifice.


2. Marcel Lemarié (1864-1941)
Synagogue de la rue Copernic, 1924
Photo : F.Mtz.Falero-Hein
Voir l´image dans sa page

Nous avons donc pu constater que le lieu de culte, derrière une façade très discrète, est une belle construction précoce de l’Art déco (elle date de 1924) due à Marcel Lemarié. Sobre mais d’une architecture de qualité, elle est d’autant plus digne d’être préservée qu’il n’existe pas d’autres synagogues de cette époque et de ce style en France. L’attentat de 1941 avait uniquement abimé la façade et deux petites salles entre la façade et la salle de culte ; celui de 1980, si l’on en croit les témoignages que l’on trouve sur internet, avait du point de vue matériel surtout frappé la rue et l’extérieur du monument, tandis qu’à l’intérieur, seule la verrière avait été touchée et le plafond d’une extension créée en 1968. La salle principale est donc pour l’essentiel dans son état d’origine, la verrière ayant été restaurée à l’identique.


3. Marcel Lemarié (1864-1941)
Synagogue de la rue Copernic, 1924
Photo : F.Mtz.Falero-Hein
Voir l´image dans sa page

Il suffit de se rendre dans cette synagogue ou de regarder les photographies pour constater que le monument possède un véritable intérêt architectural renforcé par son caractère unique. Dominique Jarrassé, professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université Bordeaux Montaigne, dans un article publié sur le site de l’association Sites & Monuments, explique les qualités remarquables de cette synagogue, notant l’importance de son auteur, Marcel Lemarié, soulignant que celui-ci, « utilisant le béton, dessine des structures portantes audacieuses avec des porte-à-faux qui répondent à un programme complexe, bâtir une synagogue encaissée dans une cour » et ajoutant « que cette option moderniste, qui allait à l’encontre de la tendance encore dominante des synagogues conçues sur le modèle des églises, se trouve en parfaite adéquation avec les principes rationalistes et modernes défendus par le rabbin fondateur de l’ULIF Louis-Germain Lévy », il souligne l’atmosphère originale qui se dégage de la verrière et du lanterneau central de huit baies (ill. 4). Enfin, il décrit le décor Art déco qui court sur les murs (ill. 5) : « des inscriptions hébraïques puisées dans les Psaumes ou le Talmud et des cartouches montrant des objets rituels, telles la menora (chandelier) et la lyre du psalmiste, et aussi des représentations comme le Temple de Jérusalem », des « stucs blanc et or ornés de motifs végétaux géométrisés selon les formes typiques de l’Art Déco ».


4. Marcel Lemarié (1864-1941)
Synagogue de la rue Copernic, 1924
Détail du lanterneau
Photo : F.Mtz.Falero-Hein
Voir l´image dans sa page
5. Marcel Lemarié (1864-1941)
Synagogue de la rue Copernic, 1924
Détail des décors en stuc
Photo : F.Mtz.Falero-Hein
Voir l´image dans sa page

La décision de la Commission régionale du patrimoine et de l’architecture d’Île-de-France du 27 septembre 2018, qui a refusé l’inscription monument historique à ce monument, est donc d’autant moins compréhensible. À moins qu’elle ne le soit trop quand on sait que le conservateur régional des monuments historiques était, à cette date, Dominique Cerclet, le même qui se félicitait du projet sur les Serres d’Auteuil ou qui se venait soutenir Marcel Campion devant le tribunal administratif… Pour la DRAC Île-de-France dont les autres représentants n’étaient pas davantage là pour protéger le patrimoine, cette synagogue « ne revêt pas d’intérêt architectural particulier », et « ses décors sont très courants ». Nous aimerions savoir notamment où l’on peut trouver de tels décors Art déco à signification hébraïque.


5. Façade actuelle de la synagogue, rehaussée de deux étages
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page
6. Projet de façade après la destruction et reconstruction de la synagogue Copernic
© Valode et Pistre
Voir l´image dans sa page

Nous avons demandé à l’ULIF (Union Libérale Israélite de France), propriétaire de la synagogue, pourquoi elle tenait à détruire un édifice manifestement en bon état. Celle-ci a répondu sans rire que « le terme destruction n’est pas approprié » ! Il ne s’agit pas en effet de la détruire mais de la « reconstruire ». On échappe de peu au terme « déconstruire ». En effet, « la salle de culte devant être transposée à l’identique au premier étage ». On appréciera l’ironie involontaire de la chose : la synagogue ne répondrait plus « aux normes de sécurité ni d’accessibilité » et pour la mettre aux normes, on reconstruit [1] le lieu de culte, qui se trouve au rez-de-chaussée, au premier étage !

Quand on veut tuer son chien, on l’accuse d’avoir la rage, et c’est exactement ce qui se passe ici en prétendant qu’une « mise aux normes » exigerait la destruction du monument. Plus drôle encore : celle-ci impliquerait « le percement de nouvelles ouvertures » qui « dénaturerait complètement la façade existante ». Qui peut croire que cela poserait un problème pour l’ULIF, surtout quand on compare la façade actuelle (ill. 6), qui pour être banale s’insère parfaitement dans le tissu urbain haussmannien qui l’entoure, avec son projet pour la nouvelle synagogue (ill. 7) qui, elle, dénaturera effectivement complètement la rue.

La Ville de Paris, interrogée sur sa position, a botté en touche en nous faisant la réponse suivante : « la demande de permis a été déposée en octobre dernier, le dossier sera étudié par la Direction de l’urbanisme et il passera devant la commission du vieux Paris ». Bien entendu, la DRAC Île-de-France ne nous a pas répondu, puisqu’elle ne nous répond jamais, une attitude indigne qui n’est pas étonnante, compte-tenu de son incapacité chronique à remplir sa mission de protection du patrimoine, que ce soit en 2018, comme nous l’avons vu, ou aujourd’hui alors que plusieurs des personnes alors en charge ont depuis été remplacées.

On se demande désormais ce qui pourrait sauver la synagogue Copernic, malgré la pétition toujours en ligne ici, encore un monument Art déco menacé de destruction. Un monument que deux attentats n’avaient pourtant pas réussi à faire disparaître.

Didier Rykner

Notes

[1Précision du 7/12/21 : un ou deux lecteurs ayant compris que l’on démontait la salle pour la reconstruire à l’étage, nous précisons qu’évidemment tel n’est pas le cas : il s’agit d’une destruction pure et simple.

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.