La fausse protection de la Cité-jardin de la Butte Rouge

Nous n’avions, jusqu’à présent, fait qu’évoquer l’affaire de la Butte-Rouge, une cité-jardin construite dans les années 1930, à Chatenay-Malabry, et dont une grande partie est menacée de destruction par la ville à l’occasion d’une modification de son PLU. Nous renvoyons pour en savoir davantage aux articles parus dans la presse (par exemple Le Parisien ou Libération]) et sur le site de l’association Sites & Monuments qui dresse un bilan des effets du futur PLU et souligne les ambiguïtés de l’État (nous renvoyons à ce dernier article, plus technique, qui décrit bien les menaces). L’enquête publique, qui vient de se terminer, a enregistré 87 % d’avis défavorables (voir cet article de Batiactu).


1. Cité-jardin de la Butte-Rouge
Photo : Barbara Gutglas
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La ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, dans l’interview qu’elle nous avait accordée début décembre, avait abordé spontanément le sujet en affirmant que c’était une affaire sur laquelle elle souhaitait « se battre ». L’objectif de la mairie est en effet, sous couvert d’une protection partielle, de détruire ou de dénaturer profondément 80 % de l’ensemble pour le reconstruire (voir Le Parisien).
Apparemment donc, le ministère est sur le coup. Il affirme tout haut qu’il souhaite « le sauvegarder » (voir cet article du Monde), menaçant même d’un classement d’autorité par le Conseil d’État en Site Patrimonial Remarquable (SPR). Ce qui laisse donc penser que, pour une fois, le ministère de la Culture va faire son travail en s’opposant aux projets de démolitions d’un élu local.

Mais l’affaire, en réalité, est beaucoup plus complexe, et l’attitude de ce ministère est au mieux ambiguë. Pour comprendre cela, il faut reprendre la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, qui a créé les Secteurs Patrimoniaux Remarquables. Celle-ci distingue trois notions différente : le Secteur Patrimonial Remarquable, qui n’est en réalité que la définition d’une zone, et le règlement qui sera appliqué sur cette zone. Il peut s’agir soit d’un Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur, ce qui équivaut alors à l’ancien « Secteur sauvegardé » (créé du temps d’André Malraux), qui est la protection maximale, permettant de protéger largement tous les bâtiments remarquables, mais également leurs intérieurs, soit d’un Plan de Valorisation de l’Architecture et du Patrimoine (PVAP), remplaçant les anciennes AVAP qui elles-mêmes se substituaient aux ZPPAUP mises en place par Jack Lang.

Le Site Patrimonial Remarquable, que le ministère se félicite de vouloir imposer, ne sera protecteur que si le règlement qui l’accompagne l’est également. Or il semble que ce soit l’inverse qui se prépare. Car le préfet des Hauts-de-Seine, qui représente l’État, mais aussi le ministère de la Culture, a donné le 28 décembre 2020 un avis favorable sans aucune réserve à la modification du Plan Local d’Urbanisme régissant la Butte Rouge : « au regard de ces éléments, qui permettent d’encadrer strictement les opérations de démolition, de réhabilitation et de construction du projet de renouvellement urbain de la Butte Rouge, j’émets un avis favorable sur ce projet de modification ». Le préfet montrait, dans le même temps, qu’il agissait bien pour ministère de la Culture : « Je vous rappelle que le maire de Châtenay-Malabry a pris l’engagement de créer un site patrimonial remarquable (SPR) sur le quartier de la Butte Rouge. Je me permets d’insister sur l’importance de cet engagement, dont je fais un préalable pour la poursuite de l’opération de réhabilitation des immeubles du quartier. » Afin de résoudre cette apparente contradiction, il est probable que le PVAP qui s’appliquera à ce Secteur Patrimonial Remarquable corresponde exactement au PLU prévu par la ville qui prévoit de détruire et de remplace 80 % du bâti. Pourquoi en irait-il autrement puisque l’État, représenté par le préfet, qui menace d’imposer un Secteur Patrimonial Remarquable, approuve sans réserve ces destructions et se contente de la protection de quelques éléments patrimoniaux ?

2. Allée piétonne Lucien Herr
Cité-jardin de la Butte Rouge
Châtenay-Malabry
Photo : Azadeh AC (CC BY-SA 4.0)
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Lorsque nous avons fait remarquer cela au ministère de la Culture, son conseiller patrimoine, pour une fois plus prompt que d’habitude à nous répondre, nous a écrit le jour même : « Nous considérons, contrairement à vous, que le classement SPR est bien l’outil approprié de protection d’un site qui de mémoire couvre plus de 70 ha. L’enjeu n’est pas la protection de chaque bâtiment inclus dans le périmètre, mais celui d’un ensemble architectural et urbanistique [1]. Reste que le classement SPR [...] permet de s’opposer à tous les éventuels projets de destructions qui n’apparaitraient pas strictement justifiées. » Il ajoute dans un autre mail que « dès que le site est classé SPR, avant même qu’un PVAP ou PSMV soit adopté, toute autorisation (de démolir en particulier) est soumise à l’avis conforme de l’ABF. Je ne sais pas si c’est cela que vous appelez « ne rien protéger. » »

Résumons donc : le maire de Châtenay-Malabry prévoit dans son nouveau PLU de démolir ou dénaturer 80 % des bâtiments de la Butte-Rouge pour les reconstruire et d’en protéger seulement 20 %. Le préfet des Hauts-de-Seine, représentant de l’État et du ministère de la Culture, approuve sans réserves ce PLU bien plus destructeur que protecteur. Il souhaite néanmoins créer un Secteur Patrimonial Remarquable. En attendant que son règlement soit élaboré, l’architecte des bâtiments de France disposera, comme le prévoit la loi, d’un pouvoir d’autorisation des travaux. La question est la suivante : comment l’ABF, fonctionnaire d’État rattaché hiérarchiquement à la DRAC, pourrait-il s’opposer à l’État et à son ministère de tutelle, qui a déjà donné son accord à la mairie pour ces destructions ? En outre, l’ABF doit évidemment appliquer les dispositions du règlement du Site patrimonial remarquable une fois celui-ci élaboré. Or, comme nous l’avons montré, il ne pourra être bien différent du PLU conçu avec l’aide de l’État et approuvé par lui !

À moins que le ministère nous dise qu’il s’oppose au préfet (censé le représenter)... Mais comment ceci serait-il possible alors que la DRAC a accompagné la mairie pour l’élaboration du PLU si destructeur comme le prouve notamment ce courrier ?
Tout cela démontre le caractère parfaitement hypocrite du ministère de la Culture, qui veut rassurer les défenseurs du patrimoine en « imposant » la création d’un secteur patrimonial remarquable, mais en acceptant de facto d’y appliquer un règlement qui n’aura en réalité rien de protecteur.

Une nouvelle fois, on nous mène en bateau. Reste à savoir, là encore, si la ministre est sincère dans sa volonté de se battre pour la Butte-Rouge et de la protéger des destructions. Si tel est le cas, nous lui suggérons d’y regarder de plus près...

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