Du Trocadéro à l’École Militaire, le nouveau parc Alphonse Allais

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Le dernier projet d’Anne Hidalgo est, bien entendu, absurde. C’est une habitude. Si nous ne nous battrons pas contre celui-ci comme nous le faisons contre les autres, c’est pour deux raisons. La première est que tout grotesque qu’il soit, il a au moins le mérite de ne rien détruire, et d’être réversible. La seconde est surtout qu’il a beaucoup de chances de ne pas être mis en œuvre tant il est stupide et décalé par rapport à la réelle politique de la Ville de Paris et aux besoins de ses habitants.



Rappelons de quoi il s’agit : transformer en grand jardin (Central Park parisien ont même dit certains qui n’ont pas peur du ridicule ou qui n’ont jamais mis les pieds à New York) les terrains qui s’étendent de la place du Trocadéro à l’École Militaire (ill. 1). La vidéo publiée par la Ville propose aussi deux édicules très laids placés juste de part et d’autre de la perspective (ill. 2) et des pelouses un peu partout qui remplaceront (pas entièrement d’ailleurs, il y aura des « circulations douces ») la chaussée pour les véhicules motorisés.


1. Vue sur les jardins du Trocadéro et la
tour Eiffel (24 mai 2019)
Photo : Didier Rykner
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2. Vue extraite de la vidéo
de propagande du projet
©Youtube/Autodesk France
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Alors qu’Anne Hidalgo met en œuvre une surdensification de la capitale en bétonnant là où se trouvaient des terrains de sport (à Ménilmontant notamment) ou des espaces verts (la place de la République, les Serres d’Auteuil...), elle prétend faire du green-washing avec des projets qui consistent à végétaliser les rues. Ici, il n’est question que de cela. Pour croire une seconde à cette utopie (ou du moins à cette utopie mise en œuvre par la municipalité actuelle) il faut ne pas avoir mis les pieds au Champ-de-Mars depuis des années.


3. Le Champ-de-Mars aujourd’hui
Photo : Didier Rykner
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4. Le Champ-de-Mars aujourd’hui
Photo : Didier Rykner
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5. Vendeur à la sauvette sur le Pont d’Iéna
Photo : Didier Rykner
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Transformé régulièrement en terrain de sport, en fan zone ou en espace offrant diverses activités conviviales et ludiques, le Champ-de-Mars est devenu une espèce de no man’s land, aux pelouses défraichies (ill. 3) et d’une saleté repoussante malgré ou peut-être à cause des grandes bennes à ordures vertes qui le jalonnent (ill. 4). Quelque chose entre la cour de récréation et la cour des miracles, avec un peu partout des vendeurs à la sauvette. Ceux-ci vendent leur bimbeloterie du Champ-de-Mars au Trocadéro (ill. 5), anticipant déjà la brillante idée de la maire de Paris. Avant de songer à créer de nouveaux jardins, il serait peut-être judicieux de s’occuper des espaces verts qui existent déjà… Il faut se promener dans Paris pour réaliser à quel point nombre d’entre eux sont abandonnés, sales et délabrés. Nous l’avions fait il y a deux ans pour notre enquête sur les fontaines, et nous avions pu constater cette situation qui ne touche pas que le Champ-de-Mars.


6. La tour Eiffel avec la tour Montparnasse
et divers bâtiments qu’on voit derrière
l’École Militaire (vue réelle)
Photo : Didier Rykner
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7. Et hop : les vilains immeubles ont disparu
Vue extraite de la vidéo de propagande du projet
©Youtube/Autodesk France
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Ce grand « jardin » qui mènera du Champ-de-Mars au Trocadéro néglige par ailleurs l’immense mur de verre qui vient « sécuriser » la tour Eiffel et dont nous avions parlé ici (voir l’article). Il est presque effacé dans la vidéo. On imagine Central Park avec un immense espace entouré d’un mur au milieu ! Surtout, le jardin traverse le Pont d’Iéna, que l’on voit planté d’arbres et couvert de pelouses. Pour comprendre à quel point cette idée est ridicule et coupée de la réalité, nous renvoyons à l’article de Sibylle Vincendon publié hier par Libération et qui explique pourquoi c’est tout simplement impossible. À la rigueur, on pourra avoir des arbres en pot et des pelouses déroulées au mètre. Ça fait envie. Cette vidéo n’est d’ailleurs qu’une opération de communication, trompeuse de bout en bout : ainsi, on ne voit curieusement pas la tour Montparnasse ni les grands bâtiments modernes qui défigurent la vue sur l’École Militaire depuis les années 60-70 (ill. 6 et 7). S’il s’agit vraiment du programme prévu, nous votons pour !
Demain, ce ne sera pas la vision de bisounours que nous suggère la vidéo diffusée par la mairie que nous aurons entre le Trocadéro et l’École Militaire, mais un terrain vague sale et mal entretenu, aux pelouses décrépites. Comme tout Paris ou presque. Comme le rond-point du Trocadéro aujourd’hui (ill. 8) ou le jardin autour des fontaines (ill . 9).


8. Rond-point du Trocadéro, jardin
sale et non entretenu (24 mai 2019)
Photo : Didier Rykner
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9. Jardins du Trocadéro, sale et
non entretenu (24 mai 2019)
Photo : Didier Rykner
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L’auteur de ces lignes, qui n’a jamais eu de voiture bien qu’habitant Paris avec trois enfants, se voit une fois de plus obligé de rappeler une évidence : même si l’objectif de diminuer le nombre de véhicules dans la capitale est souhaitable, il ne peut se faire n’importe comment et aboutir à complètement empêcher la circulation. Paris est, aussi, une capitale économique qui a besoin de déplacements faciles. Les banlieusards travaillant à Paris, ou les Parisiens travaillant en banlieue, dans des endroits parfois inaccessibles simplement en transports en commun, ont besoin de voitures. Les professionnels du service dont les clients sont à Paris ont besoin de voitures. Tous les trajets ne peuvent se faire en bus (surtout compte tenu de leur faible fréquence), en métro ou à vélo… Ajoutons que c’est vraiment ne rien connaître à l’urbanisme que de vouloir ainsi « végétaliser » la ville. Les rues ont leur beauté qu’avaient compris les peintres ; une ville, ce n’est pas la campagne. Les parcs eux-même, qui font partie de la ville, s’y insèrent sans la nier. Alphonse Allais voulait mettre les villes à la campagne, Anne Hidalgo n’a pas compris que c’était une boutade.

Terminons sur le financement. La journaliste du Parisien nous explique en conclusion de cette vidéo que ce projet, qui va coûter 72 millions d’euros (oui vous avez bien lu : 72 millions d’euros !), sera financé par la redevance que paie la société qui exploite la tour Eiffel et que cela ne devrait donc rien coûter aux Parisiens. C’est évidemment faux, puisque cet argent entrerait sinon dans le budget de la Ville. Cela coûtera donc 72 millions aux Parisiens. Pour quelques arbres et quelques pelouses, c’est un peu cher payé.

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