- 1. Georges Paul Leroux (1877-1957)
La Promenade du Pincio à Rome
Huile sur toile – 210 x 431 m
Rome, Galerie municipale d’art moderne
Photo : Cinzia Virno - Voir l´image dans sa page
Depuis le 7 novembre 2014 et jusqu’au 14 juin 2015, se tient à la Galerie municipale d’art Moderne de Rome, 24 Francesco Crispi, une exposition intitulée : « Artisti dell’Ottocento : Temi e Riscoperte ».
Cette importante manifestation rassemble un grand nombre d’œuvres d’artistes figuratifs du XIXe et du début du XXe siècle, essentiellement italiens. Ce sont des pièces du plus haut intérêt, souvent peu connues et jamais exposées au public.
Parmi elles, deux toiles d’artistes français retiennent notre attention : un Buste de femme d’Auguste Rodin et, de Georges Paul Leroux (1877-1957), une grande et belle peinture, La promenade du Pincio à Rome, restaurée pour l’occasion et exposée à Rome pour la première fois, soit l’une des principales « redécouvertes » de cette exposition (ill. 1). (Elle en fait l’affiche ainsi que la couverture du catalogue édité à cette occasion) [1].
- 2. Georges Paul Leroux (1877-1957)
Le retour de vendange en Toscane (San Gimignano)
Huile sur toile – 1,30 x 1,96 m
Paris, Ambassade d’Italie
Photo : D. R. - Voir l´image dans sa page
Notons à ce propos que deux peintures romaines du même Leroux, fidèle admirateur de l’Italie dont il tira une notable partie de son inspiration (Prix de Rome en 1906, pensionnaire à la Villa Médicis de 1907 à 1909) se trouvent à l’ambassade d’Italie à Paris. Elles ont été étudiées par Jacques Foucart dans un ouvrage consacré aux richesses artistiques de ladite ambassade, ancien hôtel de La Rochefoucauld-Doudeauville, imposant ouvrage collectif publié chez Skira en 2009 sous la direction de Ermina Gentile Ortona, épouse de l’ambassadeur d’Italie en France, alors en fonction, et de l’historienne d’art franco-italienne, Maria Teresa Caracciolo [2]. Il s’agit du Retour de vendange en Toscane (San Gimignano), exposé au Salon des artistes français en 1931 (ill. 2), et de la Matinée de printemps, Villa Borghèse à Rome, de 1951, tableau exposé au même Salon des artistes français en 1952 (ill. 3).
- 3. Georges Paul Leroux (1877-1957)
Matinée de printemps. Villa Borghèse à Rome
Huile sur toile – 124 x 205 cm
Paris, Ambassade d’Italie
Photo : D. R. - Voir l´image dans sa page
- 4. Lettre de Pietro Quaroni
Musée Tavet-Delacour
Photo : Jacques Marie - Voir l´image dans sa page
Reste que, lors de la rédaction des notices, en 2009, l’ambassade n’avait pu fournir aucun document sur la présence des deux tableaux en question (don, achat ?).
Mais, par le hasard de recherches effectuées dans les réserves du Musée Tavet-Delacour à Pontoise qui possède de nombreuses œuvres sur papier ainsi que des carnets de dessins de Georges Leroux que le Musée du Louvre a mis en dépôt au musée en 1979 à la suite de la donation faite aux musées français par la nièce de l’artiste, Mme Pierre Massenet en 1973, nous sommes tombé sur une lettre de l’ambassadeur Pietro Quaroni en date du 3 mai 1955 (ill. 4), remerciant Georges Leroux, en personne, qui offrait alors à l’ambassade parisienne trois toiles, soit les deux peintures toujours présentes là et publiées en 2009, plus une troisième qui, faute de place à Paris, ira, selon le diplomate, enrichir les collections du Palais Braschi, soit le Museo di Roma ou Galerie municipale d’art moderne de Rome capitale (à distinguer de la Galerie nationale d’art moderne), musée transféré depuis via Crespi. Il s’agit évidemment de la peinture qui fait les honneurs de l’exposition citée plus haut, ce que confirme une bibliographie de 1956 et de 2004 relatives audit tableau [3].
Or, en 1911, Georges Paul Leroux envoie au Salon des Artistes Français, un grand triptyque de 1910 intitulé La promenade du Pincio à Rome [4], dont la partie centrale correspond littéralement à la toile de la galerie (municipale) d’art moderne de Rome.
- 5. Georges Paul Leroux (1877-1957)
La promenade du Pincio à Rome
Paris, Salon des artistes français, 1911
Photo : Neurdein (cliché de l’époque) - Voir l´image dans sa page
Après un examen plus détaillé, il s’avère que des différences existent entre les deux toiles, notamment dans le fond du tableau (quelques cyprès absents sur la version de 1911). Dés lors, nous sommes amené à penser qu’il s’agit, soit d’une première version de son tableau, soit d’une copie peinte par Leroux pour le conserver après la vente de son triptyque. Jacques Foucart cependant, nous fait part de quelques suggestions. Le fait est que les petites différences qu’on peut relever entre l’œuvre de 1911 telle qu’elle est reproduite à l’époque (cliché Neurdein et partie centrale illustrée dans le catalogue du Salon des Artistes Français ; ill. 5), et la toile du musée romain méritent d’être interprétées.
Les cyprès sur l’exemplaire actuellement visible à Rome et le détail de l’ombrelle tenue par une promeneuse, à gauche, paraissent d’une tonalité plus appuyée, comme s’il s’agissait de retouches postérieures. Ce point de technique est à vérifier.
Ne peut-on penser que Leroux avait gardé par devers lui son grand tableau de 1910, non sans le retoucher postérieurement pour l’exposition au Salon ? On ne voit pas pourquoi il aurait apporté des retouches aussi ponctuelles et limitées au moment de son don de 1955, car elles ne modifient vraiment pas l’économie générale de sa grande toile. Rien ne prouve non plus qu’il ait effectivement redoublé pareille œuvre.
- 6. Georges Paul Leroux (1877-1957)
Vicaires rouges vus de la promenade du Pincio
Crayon, fusain et aquarelle – 22,9 x 43,3 cm
San Francisco, Fine Art Museum
Photo : Jacques Marie - Voir l´image dans sa page
Une soigneuse liste de ses travaux et biographie, manifestement écrite par lui et rédigée au plus tard en 1955 (rien au delà de cette date) - liste retrouvée également dans les papiers de Mme Massenet - ne fait mention pour 1911 que de la Promenade du Pincio, en précisant qu’elle est H.C (hors concours) et qu’elle lui valut une seconde médaille. En tout cas, Leroux n’y relève nullement avoir pris la peine de redoubler sa grande toile de 1910. Es-ce à dire que, du fait de son imposant format, renforcé par sa qualité de triptyque, le tableau ait été difficile à vendre ? Ou bien, la Promenade du Pincio était-elle si chère à l’artiste - souvenir des précédentes années italiennes à la Villa Médicis, et puis, bel et rare effet chez lui d’éclairage à contre jour (toutes les figures sont dans l’ombre, un peu mystérieuses !) - qu’il ait voulu la conserver quasiment toute sa vie (en 1955, il a 78 ans et meurt deux ans après). Le triptyque étant nécessairement encombrant comme tel, et déjà disloqué ou non à cette date (les parties latérales ne sont pas du reste essentielles à la compréhension de l’œuvre), on peut comprendre que Leroux, en 1955, s’en soit tenu à offrir la partie centrale (de plus de 4m de large tout de même !), laquelle était peut etre la seule disponible chez lui à cette date. Ecartons en tout cas, il va de soi, l’idée qu’il ait spécialement redoublé en 1955 son grand tableau pour en faire hommage à l’Italie, tant il est impossible à un peintre, de peindre comme il le faisait, prés d’un demi-siècle plus tôt. Au demeurant, tout oppose par exemple son attachante Promenade du Pincio, dans une manière enveloppée, comme caressante, à la vision nette et incisive, propre et claire, typique de sa production tardive, parfaitement illustrée par la Matinée de printemps de 1951, qui fait, elle aussi, partie du don de 1955. Le tableau du Pincio plut visiblement à Leroux, comme le prouve un plaisant dessin du musée de San-Francisco (ill. 6), qu’il fit du même site en l’agrémentant d’un groupe de séminaristes allemands dans leur fameuse soutane rouge, comme ne manquera pas de les célébrer à son tour, cette fois dans les années 1930, un autre pensionnaire de la Villa Médicis, Yves Brayer [5].
Du coup, formulons le vœu qu’une grande exposition Georges Leroux soit un jour organisée, tant ce peintre, probe et attachant, récemment si bien mis à l’honneur avec son chef d’œuvre romain de 1910, le mérite [6].