Sade. Attaquer le soleil

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Paris, Musée d’Orsay, du 14 octobre 2014 au 25 janvier 2015.

1. Antonio de Bellis (actif entre 1635 et 1660)
Saint Sébastien se demandant la raison
de sa présence dans l’exposition
« Sade »
, vers 1630-1640
Huile sur toile - 180 x 155 cm
Orléans, Musée des Beaux-Arts
Photo : D. R. (domaine public)
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Les organisateurs de l’exposition aimant Sade, et probablement Sacher-Masoch, seront sans aucun doute heureux de notre critique.
Mais au moment de nous mettre au clavier pour écrire cet article, on se demande vraiment comment parler d’une réunion d’œuvres n’ayant aucun rapport entre elles ni avec le sujet qu’elles sont censées illustrer ? Orsay a sans doute réussi là la pire exposition de son histoire récente, pourtant riche dans ce domaine. Même « Masculin/Masculin » (voir notre article), toute nulle qu’elle fût, était parfois drôle (involontairement il est vrai) et montrait au moins des œuvres d’art rarement présentées. Ici, la seule chose amusante peut-être, est la chronologie du début, dont la lecture laisse à penser que ce pauvre marquis fut persécuté toute sa vie injustement et qu’au fond c’était un gentil garçon.

Il paraît que l’exposition a pour ambition de « montrer comment l’œuvre de Sade a induit une part de la sensibilité du XIXe siècle ». Fort bien. Mais on ignorait que Palma le Jeune, Louis Finson, Valentin de Boulogne, Antonio de Bellis (ill. 1) et bien d’autres fussent des peintres du XIXe siècle. C’est une nouvelle révolution bouleversante du Musée d’Orsay, qui n’en est décidément pas à une près.


2. Edgar Degas (1834-1917)
Scène de guerre au Moyen Âge ou
De gré ou de force, vous viendrez dans cette exposition, 1865
Huile sur toile - 83,3 x 148,5 cm
Paris, Musée d’Orsay
Photo : RMN/GP-Musée d’Orsay
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Sade, donc, est partout. Notamment dans un tableau de Degas intitulé Scène de guerre au Moyen Âge (ill. 2) qui, d’après le catalogue, « pourrait être le tableau-symbole de cette exposition ». Et, en quelque sorte, il l’est, pas de la manière dont l’entendent les commissaires, mais parce que le lien avec Sade n’est pas ténu, il est inexistant car jamais documenté. Degas a-t-il pensé à Sade en le peignant ? Comment ose-t-on l’affirmer puisqu’aucune preuve n’est fournie. Donc, si l’on suit ce symbole : tout tableau à sujet sanglant ou cruel est nécessairement inspiré par Sade (qui s’avèrerait donc le maître-étalon de l’art, avant même d’être né et jusqu’à nos jours). Et la suite de l’exposition le prouve en montrant nombre de toiles à sujets féroces et donc, forcément, liés à Sade ! Il n’est plus nécessaire de démontrer pour affirmer, plus utile de prouver pour convaincre. Toute l’exposition est basée sur ce principe.

Ainsi - nous ne citerons que deux exemples - est convoquée ici La Guerre du Douanier Rousseau. Le peintre a-t-il jamais lu Sade ? On n’en saura rien. Cette œuvre a-t-elle le moindre rapport avec Sade ? C’est peu probable. Mais l’auteur de l’essai « pense à Alfred Kubin et au Douanier Rousseau. Aussi différents l’un de l’autre, ils ont en commun leur irréductible singularité qui les conduit à retrouver cette manière noire dont, à [ses] yeux, ils partagent le secret avec Sade et Goya ». Le seul lien avec Sade est donc une fulgurance d’Annie Le Brun, et cela suffit à justifier que cette œuvre se trouve dans l’exposition. De même, Géricault est largement présent car sans aucun doute il représente des scènes « sadiques » (le cannibalisme du radeau de la Méduse, ou les têtes coupées). Mais les liens avec Sade (les liens effectifs) s’ils existent ne sont jamais détaillés. Et d’ailleurs, les œuvres de Géricault ne sont pas non plus réellement discutées dans le catalogue.

3. Jean-Baptiste Greuze (1725-1805)
Tête de jeune fille dite aussi
Mon Dieu, mais que fais-je
dans cette exposition ?
, vers 1775-1780
Paris, Musée Cognacq-Jay
Photo : Musée Cognacq-Jay/Roger-Viollet
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Encore ces artistes ont-ils la chance (?) d’être mentionnés dans les rares textes de l’ouvrage. Car ceux qui se demandent la raison de la présence des tableaux des XVIe et XVIIe siècles dont nous parlions plus haut pourront continuer à s’interroger : jamais, pas une seule fois, ils ne sont cités dans ce livre, si ce n’est dans la légende des illustrations et dans la liste des œuvres exposées ! Il en va de même pour Greuze qui n’est là, semble-t-il, que pour montrer une tête de pure jeune fille (ill. 3), figurant probablement la vertueuse Justine (à moins qu’il ne s’agisse d’une des victimes du divin marquis ?). Ou pour Eugène Thirion, peintre d’histoire de la seconde moitié du XIXe siècle, dont un dessin d’Orsay est exposé sans qu’on sache jamais pourquoi. Ou pour Clésinger dont la Femme piquée par un serpent a été déplacée de quelques salles, on ne nous en donnera jamais la raison (peut-être parce que le serpent est vraiment un animal sadique) ? Ou encore pour Gaspard Gresly, dont on voit une huile sur toile représentant une académie d’homme nu gravée de Bouchardon derrière une fausse vitre cassée : on en conclut faute d’explication que les commissaires voient dans ce classique trompe l’œil d’un spécialiste de ce genre une scène sadique (le verre cassé ne s’apprête-t-il pas à percer cette chair offerte ?) Et on se dit qu’on est, décidément, en plein délire.
Toutes ces œuvres ne servent donc à rien dans la démonstration (elle même inexistante) ce qui n’empêche pas qu’on les demande en prêt (et que des musées les accordent – il est vrai qu’on ne peut rien refuser à Orsay). On est réellement, encore davantage que pour les précédentes expositions, au degré zéro de l’histoire de l’art. Cette exposition pourrait, à la limite, avec les mêmes objets exactement, illustrer un tout autre sujet. Elle (ne) fonctionnerait (pas) tout autant si elle s’était appelée : « Freud. Totem et Tabou », « Sacher-Masoch. L’Amour cruel », ou encore, pourquoi pas « Crime et châtiment » ou « L’Ange du Bizarre »…

Quand on sait le coût d’un tel rassemblement d’œuvres dont certaines sont très importantes, ou celui de la muséographie (par ailleurs plongée largement dans le noir… Et oui, on ne rigole pas avec Sade !), ou encore celui de la réalisation d’un clip publicitaire comme celui qui accompagne désormais les expositions faussement « scandaleuses » d’Orsay [1] (qui ne sont vraiment scandaleuses que par leur absence de propos), on se dit que finalement, le gouvernement a peut-être raison de diminuer les dotations d’Orsay qui doit probablement rouler sur l’or. Plus sérieusement, on peut penser que cet argent, dilapidé dans des opérations plus narcissiques que relevant de l’histoire de l’art, serait mieux utilisé, par exemple, dans la restauration de L’Atelier pour laquelle, pourtant, le musée en a été réduit à lancer une souscription


Commissaires : Annie Le Brun et Laurence des Cars.


Annie Le Brun, Sade. Attaquer le soleil, Musée d’Orsay/Gallimard, 2014, 336 p., 45 €. ISBN : 9782070146826.


Informations pratiques : Musée d’Orsay, 62, rue de Lille, 75007 Paris. Tél : + 33 (0)1 40 49 48 14. Ouvert tous les jours sauf le lundi, de 9 h 30 à 18 h, jusqu’à 21 h 45 le jeudi. Tarifs : 11 € (réduit : 8,50 €).
Site du Musée d’Orsay.

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