Monsieur le vandale, acceptez-vous la protection du monument que vous allez détruire ?

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Chapelle Saint-Joseph à Lille en cours de destruction
Le propriétaire était bien sûr opposé à l’inscription, comme au classement.
Pour être juste, le ministère de la Culture aussi !
Photo : Étienne Poncelet
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Le système français de protection des monuments historiques, qui était un des meilleurs au monde, est fortement grippé. Outre les régressions législatives auxquelles nous avons assisté depuis quelques années (notamment la réduction du pouvoir des Architectes des bâtiments de France - voir les articles), l’absence de moyens du ministère de la Culture, combiné à sa faiblesse politique et à son incapacité à se battre pour le patrimoine aboutissent à des situations intolérables qui sont même souvent contraires au Code du patrimoine.

C’est ainsi que l’inscription monument historique, une protection déjà très insuffisante, n’est désormais plus pratiquée que si le propriétaire donne un avis favorable. Or, justement, cet avis n’est pas requis, contrairement au classement qui ne peut se faire contre l’accord du propriétaire que par un classement d’office, ce qui implique une procédure lourde et un décret du Conseil d’État.

Or, lorsque des menaces pèsent sur un monument historique parce que son propriétaire veut le dénaturer, voire le démolir, l’inscription est un outil à la disposition du ministère de la Culture qui lui permet dans un premier temps d’empêcher cette destruction. Attendre un avis favorable du vandale qui veut, justement, vandaliser, c’est un peu comme demander poliment à un cambrioleur de ne pas visiter votre appartement laissé vulnérable pendant vos vacances.

On pourrait croire que nous exagérons. Voilà donc la réponse que nous a faite le ministère de la Culture à notre question à ce sujet :

« Contrairement au classement au titre des monuments historiques, le code du patrimoine n’impose pas l’accord du propriétaire pour inscrire un immeuble au titre des MH. Si, par le passé, beaucoup d’immeubles ont été inscrits au titre des MH sans l’accord des propriétaires, les préfets de région, auxquels il revient de signer les arrêtés d’inscription et de les notifier aux propriétaires, sont devenus plus prudents. En effet, sans l’adhésion du propriétaire, le risque de recours devant les tribunaux administratif est fort. Par ailleurs, un monument historique inscrit contre l’avis de son propriétaire n’offre jamais les meilleures conditions pour garantir la pérennité et la conservation du monument, dans les règles de l’art. C’est pourquoi les DRAC s’inscrivent désormais dans une démarche de recherche d’adhésion du propriétaire pour lui faire comprendre le sens et l’intérêt d’une protection, qui passe à la fois par un accompagnement financier du ministère dans la réalisation de travaux de restauration tout autant que par les conseils que rendent les Conservations régionales des monuments historiques et les Unités départementales de l’architecture et du patrimoine au travers de l’exercice du contrôle scientifique et technique (CST). Si exceptionnellement la conservation d’un patrimoine qui mériterait une protection au titre des monuments historiques est en jeu, l’État reste en capacité soit d’inscrire au titre des MH - sans ou contre l’accord du propriétaire - soit de déclencher une instance de classement. »

Analysons donc sa réponse point par point.

Tout d’abord, le ministère admet qu’il n’y a pas besoin de l’accord du propriétaire pour inscrire un monument historique, mais que désormais la pratique est différente. Et cela ne le gêne pas.

Il confirme ensuite ce que nous ne cessons de dénoncer ici : le ministère de la Culture ou les DRAC sont désormais là pour la décoration. Le vrai pouvoir, les vrais ministres de la Culture (un différent par région) ce sont les préfets !

Et ces préfets sont « plus prudents » car ils ont peur que l’arrêté d’inscription monument historique pris contre l’avis du propriétaire soit susceptible d’un recours devant le tribunal administratif. Ce qui est un acte normal prévu par la loi - l’inscription d’un monument historique - devient un sujet de peur pour les préfets. Or quel est le critère d’inscription d’un monument historique ? Qu’il « présente un intérêt d’histoire ou d’art suffisant pour en rendre désirable la préservation ». Un dossier bien monté par un conservateur des monuments historiques ne pourrait donc pas résister à un recours devant le tribunal administratif ? Mais à cette aune, les préfets ne peuvent plus prendre aucune décision car toutes sont susceptibles d’un recours. Depuis quand l’administration a-t-elle décidé de renoncer à faire appliquer le droit sous prétexte qu’un recours serait possible ? On est bien là face à un effacement complet du ministère de la Culture devant des préfets qui n’ont souvent aucune volonté de protection du patrimoine.

L’autre argument du ministère est également risible et témoigne tout autant de son incapacité à faire respecter la loi : inscrire un monument sans l’adhésion de son propriétaire n’offrirait « jamais les meilleures conditions pour garantir la pérennité et la conservation du monument » ! Pour un monument menacé donc, mieux vaut sans doute qu’il soit détruit plutôt que protégé contre la volonté de son propriétaire ? Ne demandons pas à un propriétaire de respecter les obligations sur un monument inscrit (dont les restaurations, rappelons-le, sont théoriquement soumises au contrôle scientifique et technique de la DRAC) car de toute façon il s’assiéra dessus et on ne pourra rien faire !

Qu’il soit utile et normal de se rapprocher d’un propriétaire pour parler avec lui de l’inscription du monument et chercher à le faire adhérer à cette idée, rien de plus normal. Mais si celle-ci s’avère nécessaire et/ou urgente pour empêcher une catastrophe patrimoniale, le ministère doit agir sans retard et sans faiblesse car ce n’est pas seulement la loi, c’est aussi son devoir. Et dans le cas où un monument est menacé de manière imminente, se rapprocher du propriétaire pour essayer de le convaincre peut être au contraire très contre-productif. Dans beaucoup de communes en effet, un permis de démolir n’est pas nécessaire (autre aberration patrimoniale !) : le propriétaire peut donc décider de démolir le monument avant qu’il soit inscrit, et le fera d’autant plus vite s’il sait qu’il pourrait l’être. Dans ce cas, non seulement le ministère est coupable de ne pas l’avoir protégé, mais il est même complice de sa destruction.

Allons plus loin : en cas d’urgence, c’est une instance de classement qui devrait être prononcée, une décision qui peut se prendre de manière immédiate et qui suspend tous travaux pendant un an, le monument en question bénéficiant des effets du classement pendant cette période. Cela laisse alors le temps d’essayer de convaincre le propriétaire, puis soit d’inscrire - avec ou sans son accord - soit même de classer d’office. Mais on imagine bien que les préfets et le ministère de la Culture, terrorisés par la possibilité d’un recours, sont encore moins enclins à pratiquer les instance de classement et les classements d’office.

Quant à la dernière phrase qui laisse penser qu’« exceptionnellement » l’État resterait « en capacité soit d’inscrire au titre des MH - sans ou contre l’accord du propriétaire - soit de déclencher une instance de classement. », chacun aura compris évidemment que cela n’arrive pratiquement jamais.

Ainsi va la protection du patrimoine en France : il faut aimablement demander aux vandales de ne pas vandaliser. Le ministère de la Culture, c’est un peu Clément VII qui demanderait gentiment aux mercenaires du connétable de Bourbon d’épargner la ville de Rome…

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