La protection du Sacré-Cœur démontre la sous-protection du patrimoine français

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1. Paul Abadie
Le Sacré-Cœur
Photo : Tonchino (CC BY-SA 3.0)
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Il y a deux jours, la Commission Régionale du Patrimoine et de l’Architecture d’Île-de-France a examiné, en vue d’une protection monument historique, le dossier du Sacré-Cœur (ill. 1), et rendu « un avis favorable unanime pour une inscription au titre des monuments historiques et a émis à l’unanimité un vœu de classement [1] ». Cela devrait aboutir d’ici un an à un classement effectif de ce monument historique.

Cela a surpris tout le monde : s’agissant d’un des monuments les plus visités de Paris (et des plus visibles du haut de sa butte), tout le monde pensait qu’il était protégé. Or il ne l’était pas, même s’il présente pourtant, de manière évidente, « un intérêt public […] du point de vue de l’histoire ou de l’art », ce qui est le critère nécessaire pour le classement. Cela est vrai, du point de vue de l’histoire [2], mais aussi de celui de l’art.


2. Luc-Olivier Merson (1846-1920), Henri-Marcel Magne (1877-1944) et René Martin
Le Triomphe du Sacré-Cœur
Mosaïque
Paris, basilique du Sacré-Cœur
Photo : Didier Rykner
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Si l’on peut trouver un peu lourde et sans grâce l’architecture extérieure du bâtiment, qui n’est sans doute pas la plus grande réussite de Paul Abadie, sa silhouette qui se détache de loin sur le ciel de Paris a incontestablement beaucoup d’allure. Quand à l’intérieur, il est plus remarquable encore, avec son riche décor, notamment l’immense mosaïque du chœur sur un carton de Luc-Olivier Merson (ill. 2).
Mais comme nous l’avons déjà écrit à plusieurs reprises, le patrimoine français est très sous protégé, et cette absence de classement - et même d’inscription - du Sacré-Cœur n’est qu’un exemple parmi des milliers d’autres. C’est ainsi qu’à Paris même, on ne compte pas les édifices qui mériteraient soit un classement, soit une inscription, et qui n’ont ni l’un, ni l’autre [3]


3. André Aubert (1905-1987)
Palais de Tokyo
Photo : 4net (CC BY 3.0)
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Nous n’en citerons ici que quelques-uns. Le Palais de Tokyo, chef-d’œuvre de l’Art déco, n’est pas protégé. L’Hôtel-Dieu, fort menacé aujourd’hui, n’est pas protégé. La Mairie du Ier arrondissement, édifice de Jacques-Ignace Hittorf, l’un des plus grands architectes du XIXe siècle, n’est pas protégée, pas davantage d’ailleurs que douze autres mairies d’arrondissement dont la plupart conservent de beaux décors du XIXe siècle. L’église Notre-Dame-des-Champs, où la COARC vient de terminer la restauration du décor de l’abside par Joseph Aubert (nous en parlerons bientôt), n’est pas protégée. La fontaine Molière de Louis Visconti, avec des sculptures de James Pradier et Bernard Seurre n’est pas protégée, pas davantage qu’une grande partie des fontaines parisiennes comme celles de Hittorf - encore lui - dans les Jardins des Champs-Élysées, la fontaine du Puits-de-Grenelle, la fontaine des Arts et Métiers, la fontaine de la porte de Saint-Cloud de Paul Landowski, la fontaine Louvois, etc. La Chapelle Saint-Vincent-de-Paul de la rue de Sèvres n’est pas protégée. La Chapelle des Missions Étrangères, non loin de là, ne l’est pas davantage. Le lycée Hélène Boucher, bel exemple d’Art déco, notamment pour son pavillon d’entrée, n’est pas protégé, et très peu d’établissements scolaires qui le mériteraient le sont. De nombreuses églises ne sont qu’inscrites. Nous ne citons ici que quelques monuments, et cette liste que nous avons établie très rapidement est loin d’être exhaustive. Nous pourrions parler également des monuments hors Paris dont un nombre incalculable n’est pas du tout protégé.

Le patrimoine français n’est pas seulement menacé par le manque d’argent, il l’est aussi par sa sous-protection.

Didier Rykner

Notes

[2Nous n’entrerons pas ici dans le débat sur le rapport avec la Commune, dont Pierre Téqui a parfaitement démontré l’inanité dans cet article. Le classement inclura d’ailleurs - et c’est très bien car il fait partie de l’ensemble urbain - le square Louise Michel, qui porte le nom d’une communarde. On saluera l’attitude courageuse de Karen Taïeb, adjointe au patrimoine de la Mairie de Paris (la ville est propriétaire) qui a déclaré « Si la Ville de Paris a émis un avis favorable à l’inscription de l’édifice au titre des monuments historiques, c’est que nous voyons là l’occasion de réconcilier ces deux histoires. » (voir cet article du Point).

[3Nous ne prenons pas ici ce qui est protégé par le PLU, qui n’est qu’une fausse protection très peu contraignante.

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