L’ouverture du Louvre-Lens

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1. Vue de la Galerie du Temps
Louvre-Lens
Photo : Didier Rykner
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Dans The Art Newspaper de décembre, Vincent Pomarède, directeur du département des peintures du Musée du Louvre, répondait avec humour à nos critiques sur le Louvre Lens, notamment sur la « Galerie du Temps » dont il est un des commissaires, en expliquant qu’on ne pouvait pas critiquer un film sans l’avoir vu, et encore moins tant que le montage n’était pas fait.

Le film est désormais sorti, et nous pouvons donc en juger sur pièces. Vincent Pomarède avait d’ailleurs raison, il n’était pas question de critiquer l’architecture et la muséographie tant que nous ne les avions pas vues, ce que nous n’avions d’ailleurs pas fait. Sur le premier point, l’architecture, nous distinguerons l’extérieur et l’intérieur. L’extérieur n’a rien de particulièrement séduisant. Ces façades basses, en aluminium dépoli, sont assez monotones, ni belles ni laides, sans grand intérêt. En revanche, indubitablement, l’architecture intérieure est plutôt réussie. Et particulièrement celle de la « Galerie du Temps », éclairée de manière zénithale ce qui donne une très jolie lumière qui met bien les œuvres en valeur. La vision, à partir de l’extrémité de cette immense salle (ill. 1), des objets ici réunis, est plutôt spectaculaire. Une belle installation tout de même un peu chère : 150 millions au bas mot, plutôt 200 d’après Claire Bommelaer du Figaro qui a refait précisément les calculs et n’a pas été démentie sur ce point. Soit le double du budget prévu à l’origine.

La « Galerie du Temps »

Sur le fond, notre jugement sur le vide intellectuel du projet, qui se basait sur la liste des œuvres retenues, nous semble parfaitement avéré. La « Galerie du Temps », c’est un peu le zapping de l’histoire de l’art, ou l’histoire de l’art en 30 minutes pour les Nuls. On passe, en 205 œuvres, de 3300 avant Jésus-Christ à 1850 après, et nous mettons au défi ceux qui ne visitent jamais les musées – le principal public explicitement visé par le projet – d’y comprendre quelque chose. Alors que la chronologie est plus ou moins négligée par les programmes d’histoire, au Louvre-Lens, elle fait figure d’alpha et d’oméga. Les deux approches sont absurdes. La chronologie est évidemment essentielle, mais lorsqu’elle est le seul point d’entrée, sans être accompagnée de davantage d’explications, elle devient totalement incompréhensible. Ce n’est pas parce que deux œuvres ont été produites à la même époque que le lien entre elles est avéré ou simple à comprendre. D’ailleurs, la chronologie de la « Galerie du Temps » est bien malmenée. Une statue égyptienne de 1700 avant Jésus-Christ est présentée au même niveau qu’une œuvre mésopotamienne exécutée entre -1200 et -1100. Manifestement, on n’est pas à 500 ans près. Comment le visiteur pourrait-il y comprendre quelque chose ? D’autant que l’histoire de l’art « traditionnelle » n’est pas moins mise à mal : les œuvres égyptiennes sont uniquement situées par rapport à Jésus-Christ : les notions de Moyen Empire ou d’Ancien Empire ont totalement disparu. Trop compliqué à expliquer sans doute…

2. Mercure flûteur par Baccio Bandinelli et
Saint Sébastien par le Pérugin
Photo : Didier Rykner
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Le discours du Louvre est rempli d’éléments de langage initiés par Henri Loyrette que les principaux auteurs de ce projet ont pris bien soin de reprendre ad nauseam dans tous les journaux, tous les supports de communication, à la télévision comme à la radio. Ainsi, les œuvres tout à coup pourvues de paroles, « dialogueraient entre elles ». On comprend bien ce qu’ils veulent dire, mais rien n’est plus faux, en réalité. Les œuvres ne dialoguent pas si les visiteurs n’ont pas les clés pour comprendre les rapprochements ou au contraire les antagonismes. Mettre côte à côte une statue de Baccio Bandinelli et un Saint Sébastien de Pérugin (ill. 2) fait certes comprendre que ces œuvres ont quelque chose à voir l’une avec l’autre. Mais faute de vrai discours, le visiteur pourrait penser que l’une est influencée par l’autre, alors qu’elles se réfèrent toutes deux à l’Antique. Oui, mais voilà : l’accrochage purement chronologique empêche de rapprocher les uns et les autres. Autre exemple, encore plus frappant car il concerne des œuvres proches chronologiquement, en tout cas beaucoup plus proches que la statue égyptienne et l’objet mésopotamien dont nous parlions plus haut : les deux petits bronzes attribués à Barthélémy Prieur représentant Henri IV et Marie de Médicis « dialogueraient » volontiers avec Jupiter et Junon également en bronze d’après Michel Anguier. Oui mais pas de chance : ils se tournent le dos, à quelques mètres de distance, sans qu’on puisse les rapprocher d’une manière ou d’une autre.

Que ne lit-on pas à propos du Louvre-Lens : il s’agirait d’un « laboratoire » pour le Louvre. Magie des mots qui n’ont pas besoin d’être explicités pour faire effet. Dans un laboratoire, on fait des expériences, et parfois celles-ci ratent. Tout cela est très cher pour une expérience ratée. Que le Louvre soit « une chance pour Lens », on veut bien le croire. L’inverse proféré sans relâche par le président du Louvre est plus dur à prouver.
Privé de ce qui était censé faire l’intérêt principal de cette présentation, la compréhension immédiate et instinctive des rapports entre les objets, l’accrochage n’a en réalité plus aucune raison d’être. Les œuvres ont été enlevées des murs du Louvre pour rien.

Les réserves et les expositions temporaires

3. Les réserves d’un musée sans collections
Photo : Didier Rykner
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Nous nous étions étonné qu’un musée sans collection permanente possède des réserves. L’explication est la suivante : il s’agit d’un décor. Un décor hyper réaliste puisqu’il fonctionne et que ces réserves peuvent effectivement accueillir des œuvres (ill. 3). Sauf qu’elles ne servent à rien puisqu’il n’y a pas de collections. Lorsque l’on pense aux nombreux musées en France (et beaucoup dans le Nord) qui ne disposent pas de réserves dignes de ce nom, on ne peut s’empêcher de penser qu’il aurait été certainement plus logique que la Région dépense cet argent pour les en doter…
Ces réserves sont donc en partie vides, ou ornées de tableaux médiocres dont même les réserves du Louvre ne voudraient pas… Elles serviront, paraît-il, au moment où les accrochages seront changés, comme zone de transit.

A la « Galerie du Temps », aux réserves visitables, s’ajoutent deux espaces d’expositions temporaires.
Le premier, où se déploie actuellement celle intitulée « Renaissance », est constitué de vraies salles, à la différence de la « Galerie du Temps ». En tant que tel, il est donc plutôt réussi, suffisamment modulable nous dit-on et d’une taille correcte pour accueillir tout type de rétrospective. Le projet se serait-il contenté de proposer des expositions temporaires ambitieuses, comme le fait le Centre Pompidou de Metz, nous n’aurions rien eu à y redire.
La réussite de cet espace sera celui de la programmation, à condition que les expositions témoignent d’une véritable politique scientifique. Nous réservons pour l’instant notre jugement sur celle concernant la « Renaissance », faute d’avoir pu encore lire le catalogue. Même si nous pouvions craindre une exposition fourre-tout (comment en effet résumer la Renaissance dans une exposition), cela n’est pas le cas, et le propos (montrer les principales innovations artistiques qu’a connu la période) a au moins une réelle ambition et témoigne d’une véritable réflexion, avec un vrai catalogue. L’exposition présente en outre des œuvres par nature non exposées au Louvre, comme L’Arc de Maximilien de Dürer, gravé sur trente-six pièces, et reconstitué pour la première fois. Mais il reste que ce sujet a été choisi uniquement pour pouvoir montrer la Sainte Anne de Léonard dont nous révélions dès 2006 qu’elle devait être envoyée à Lens pour l’ouverture et qu’il n’était nul besoin d’envoyer des œuvres aussi insignes pour illustrer le propos.
La seconde exposition temporaire, organisée par Pierre-Yves Le Pogam dont on connaît la rigueur scientifique, semble également avoir un véritable thème (le passage du temps). Celle-ci est basée à la fois sur les collections du Louvre et sur celles des musées du Nord. Malheureusement, lors de l’inauguration, les panneaux d’information n’étaient pas prêts, et le catalogue n’était pas paru, ce qui en rendait le propos un peu abscons.

Et pendant ce temps là, au Louvre

4. Le Balthasar Castiglione de Raphaël
enlevé un mois et demi avant la fermeture
de l’exposition Le dernier Raphaël
Photo : Didier Rykner
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Alors que le Louvre-Lens est inauguré en grandes pompes, le Louvre lui même en subit les conséquences. La grande galerie, privée de nombreux tableaux essentiels, en est réduite à montrer certaines œuvres de qualité très modeste.
Quant au visiteur qui viendrait à Paris pour voir quelques-uns de ses chefs-d’œuvre, comme Monsieur Bertin d’Ingres ou la Liberté de Delacroix, il n’aura qu’à revenir ! Et puis, il pourra toujours se consoler avec l’audio-guide, loué pour tout de même 5 euros, où ces deux tableaux sont décrits comme s’ils étaient présents sur les cimaises ! A défaut de les voir, il pourra les chercher.
Le vrai problème est donc cette « Galerie du Temps » où l’on juxtapose sans discours cohérent un grand nombre de pièces maîtresses du Louvre qui manquent aux collections permanentes. Qu’on ait osé décrocher le Balthazar Castiglione de Raphaël (ill. 4) qui avait tout son sens dans l’exposition consacrée au peintre plus d’un mois et demi avant que celle-ci ne se termine témoigne de la victoire du futile sur l’essentiel. Un vrai symbole pour le Louvre-Lens.


Sous la direction de Geneviève Bresc-Bautier, Renaissance, 2012, Somogy Éditions d’Art, 352 p., 39 €. ISBN : 9782757205778.


Collectif, Louvre-Lens, le guide 2013, Somogy Éditions d’Art, 296 p., 19 €. ISBN : 9782757206058.


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