Un peintre douaisien au XVIIIe siècle : Pierre Henry Lesieur (Douai, 1757 - Tournai, 1809)

Biographie :

Pierre Henry Lesieur est né à Douai le 9 décembre 1757 [1].Sa famille est d’origine valenciennoise : petit fils de Jérome Lesieur, orfèvre à Valenciennes et fils de Laurent-Jérome Lesieur, orfèvre à Douai, il est le frère de Laurent-Gérome-Joseph Lesieur, maître orfèvre à Douai en 1780 [2].

En 1772, il entre à l’École gratuite de dessin de Douai [3]. Instituée le 1er décembre 1769, l’école est dirigée par le sculpteur Charles Pierre Wacheux et fonctionne à partir de janvier 1770. Théry de Gricourt, prévôt de Saint-Pierre, est membre du jury d’octobre 1772 [4]. Le jeune Lesieur, âgé de 15 ans, reçoit un accessit en décembre 1772 en même temps que le sculpteur Corbet. En 1773, il passe le concours de 2e classe et obtient une 6e médaille de peinture. En janvier 1774, il demande à concourir à la 1ère classe, ce qui lui est accordé et en décembre, il obtient un accessit en 1ère classe. A partir de 1775, il ne figure plus sur les listes.

On le retrouve en 1775 à Paris où il est élève à l’Académie Royale [5] de peinture et figure sous le nom de : « Henry Le Sueur. P. de Douait en flandre agé de 16 ans. Elève de M de la Grenée. Demeure rue de l’arbre Secque à l’hôtel de Bourbon ».
Théry de Gricourt, prévôt de la collégiale Saint-Pierre, qui avait passé commande de deux tableaux à Louis Lagrenée en 1759 et 1760, obtient sans doute avec facilité que son jeune protégé entre dans l’atelier de Jean Jacques Lagrenée, frère cadet de Louis.

On ignore combien de temps il reste à Paris et quand il est de retour à Douai. En 1783, il épouse Marie Anne Panié à l’église Saint-Pierre le 10 juin 1783 [6]. A cette date, il est déjà « maître peintre », ce qui laisse supposer qu’il exerce ce métier depuis plusieurs années. C’est durant cette période et avant 1789, que Théry de Gricourt lui commande trois peintures pour la collégiale : le Martyre de saint Sébastien, le Martyre de saint Laurent et une Crucifixion, toutes trois conservées à Saint-Pierre.

Il semble avoir quitté Douai pour s’installer à Tournai vraisemblablement au moment de la Révolution. La disparition de sa clientèle ecclésiastique et de celle de la haute société douaisienne, ses liens compromettants avec ces milieux et ses convictions religieuses sont autant de raisons qui purent l’inciter à émigrer [7]. Pourtant ce n’est pas en tant que peintre qu’il continue sa carrière mais comme marchand de vin. En effet, en 1796, veuf de sa première épouse, il est déclaré « marchand de vin domicilié à Tournai » dans l’acte de son second mariage avec Caroline Joseph André qui eut lieu à Saint-Pierre le 9 floréal en IV [28 avril 1796] [8].

Dans la séance du Conseil municipal de Douai, du 2 vendémiaire an IX [24 septembre 1800], il est arrêté « qu’il sera écrit au citoyen Demonteville, bibliothécaire de la commune, pour l’inviter à mettre à la disposition des commissaires-artistes nommés par la mairie pour l’exposition, un des tableaux qui se trouvent au museum, dont le citoyen Lesieur, de Douai, est auteur, en l’informant que le choix desdits artistes s’est fixé sur un saint Sébastien, pour être exposé au salon de la maison commune » [9].

Il décède à Tournai le 9 mai 1809, où il est toujours mentionné comme « revendeur » [10].
Sa seconde épouse « marchande » continue le commerce et décède en 1825 à Tournai [11].

Œuvres :


1. Pierre Henry Lesieur (1757-1809)
Le Martyre de saint Laurent
Huile sur toile - 280 x 174 cm
Douai, collégiale Saint-Pierre
Photo : Françoise Baligand
Voir l´image dans sa page

Le martyre de saint Laurent

Huile sur toile
H. 2,80 m ; L. 1,74 m
Signé en bas à droite : Lesieur
Armes des Théry de Gricourt en bas à gauche

Douai, église Saint-Pierre.

Historique
Offert à la collégiale par François-Joseph Théry de Gricourt, prévôt de la collégiale ; déposé à la Révolution au Collège national (Avisse n° 133, « copie d’après Brenet ») ; restitué en 1802 avec les 6 tableaux appartenant à l’église Saint-Pierre avant 1789 [12].

Bibliographie
Inventaire de 1815, p. 97 ;
Anon., Guide de l’étranger dans Douai, 1861, p. 85 ;
Preux, 1866, p. 71 ;

Anon., L’église Saint-Pierre de Douai, 1868, p. 21 ;
Asselin, 1875, p. 30 ;
Dechristé, 1878, p. 128 ;
Dubois, 1893, p. 103 ;
Anon., Guide pour la visite, [ap. 1910 – av. 1918], p. 19

Saint Laurent est représenté, dévêtu, au moment où il va être étendu par ses bourreaux sur la cathasta [13]. Les charbons placés sous la grille sont brûlants. Un vieillard vêtu de blanc désigne de la main une statue de Jupiter et de son aigle sur un piédestal. La présence d’une divinité romaine évoque l’époque où les premiers chrétiens étaient confrontés dans leur foi à des croyances païennes encore bien vivantes, statue que Laurent devait adorer pour obtenir le salut. Dans le ciel, un ange tient une couronne de lauriers.

Le tableau est construit sur la diagonale du corps du saint reprise par le geste du bourreau et le mouvement du vieillard .La composition est claire et puissante. Les expressions sont variées, de la dignité du martyr à la cruauté des bourreaux dont les visages grimacent dans l’effort.

La répartition des couleurs est harmonieuse : couleurs vives du premier plan, bleutées au second plan, accords de la tunique bleu vif du bourreau de gauche, l’écharpe rouge contrastant avec le casque du soldat de droite.

C’est chez son maître Jean-Jacques Lagrenée qu’il faut chercher l’origine de cette composition. Un tableau du même sujet bien que de dimensions réduites, signé et daté « J.J. Lagrenée 178 ? » est conservé à l’hôpital Récamier de Belley [14]. Nul doute que cette peinture a servi de modèle à Lesieur, tout est identique dans la composition à l’exception de la statue assise sur le piédestal dans l’angle supérieur droit qui, dans la version de Bellay, n’apparaît pas [15].

Faute de plus de précisions sur la date exacte du tableau de Belley, on peut situer la copie de Lesieur après 1780 et avant 1789, période à laquelle il était de retour à Douai où il se marie en 1783.


2. Pierre Henry Lesieur (1757-1809)
Le Martyre de saint Sébastien
Huile sur toile - 148,5 x 117 cm
Douai, collégiale Saint-Pierre
Photo : Françoise Baligand
Voir l´image dans sa page

Le Martyre de saint Sébastien

Huile sur toile
H. 148,5 m ; L. 117 m.
Signé en bas à droite : « Lesieur »

Historique
Commandé pour la collégiale Saint-Pierre (sans doute par François-Joseph Théry de Gricourt, prévôt de la collégiale) avant 1789 ; déposé à la Révolution au Collège national (Avisse n° 134, « école française ») ; restitué en 1802 avec les 6 tableaux appartenant à l’église Saint-Pierre en 1789 [16].

Bibliographie
Anon., Guide de l’étranger dans Douai, 1861, p.85 ;
Anon., L’église Saint-Pierre de Douai, 1868, p. 21 ;
Asselin, 1875, p. 30 ;
Dubois, 1893, p. 104 ;
Anon., Guide pour la visite, [ap. 1910 – av. 1918], p. 19.

Douai, église Saint-Pierre.

Né vers 260 à Narbonne, Sébastien s’engage dans l’armée romaine afin de venir en aide aux chrétiens martyrisés. L’empereur Dioclétien lui reproche sa conduite et tente de le persuader d’abjurer sa foi. Devant son refus, Dioclétien ordonne à ses archers de le mettre à mort. Attaché à un arbre, il reçoit les flèches qui le laissent pour mort. C’est alors qu’une femme nommée Irène, veuve de saint Castulus martyr, s’approche du mourant pour lui donner une sépulture. S’apercevant qu’il est vivant, elle enlève les flèches et, avec l’aide de sa servante, le transporte chez elle et le soigne. Sébastien guéri se rend devant l’empereur pour lui reprocher son incroyance. Celui-ci le fait alors assommer à coups de massue avant de jeter son corps dans les égouts de Rome. L’épisode d’Irène qui retire les flèches du corps de saint Sébastien apparaît au XVIIe siècle.

Lesieur suit fidèlement le récit du martyre, se limitant à la représentation de saint Sébastien encore attaché à l’arbre par les cordes et d’Irène accompagnée de sa servante qui porte les onguents sur un plateau. La composition bâtie sur un jeu de diagonales est empreinte de calme et de dignité, l’artiste évitant tout pathétisme exagéré.

Peint par Lesieur à son retour à Douai et avant 1789, ce tableau est-il une composition de l’artiste ou une copie d’après un original perdu ? Le thème du martyre de saint Sébastien a été peu représenté dans les dix années qui précèdent le tableau de Douai. Parmi les œuvres envoyées au Salon, on relève un Saint Sébastien de Brenet en 1771 (aujourd’hui perdu) mais d’après la description qu’en donne Diderot, Irène n’y est pas représentée : « Je ne pense pas cependant que ce soient des bourreaux qui l’aient placé devant cet arbre, car il semble n’y faire que le rôle d’un modèle que l’on a dessein d’observer à son aise ». Berthélémy présente un Saint Sébastien en demi figure en 1777 et Suvée en figure académique en 1779. Ménageot peint une version académique vers 1770-1775( [17] proche de celle de Vincent de 1789 [18].

Le modèle le plus proche dont aurait pu s’inspirer Lesieur est un Saint Sébastien soigné par Irène et une servante peint par Simon Vouet en 1622 (Naples, coll. Condorelli) mais si la composition est identique, bien qu’inversée [19], la ressemblance s’arrête là. Le peintre encore jeune, il a moins de trente ans, conjugue les influences des maîtres qu’il a pu regarder lors de son séjour à Paris, notamment dans la figure d’Irène très proche des modèles féminins de Brenet alors que l’anatomie du corps du martyr reste tributaire des exemples de son maître Jean-Jacques Lagrenée. En revanche, le visage de la servante est un souvenir rembranesque.

Jusqu’à preuve du contraire, on considèrera cette peinture comme une composition originale de Pierre Henry Lesieur nous faisant d’autant plus regretter que les conséquences de la Révolution l’aient obligé à s’exiler et à renoncer à son métier de peintre.


3. Pierre Henry Lesieur (1757-1809)
La Crucifixion
Huile sur toile - 250 x 130 cm
Douai, collégiale Saint-Pierre
Photo : Françoise Baligand
Voir l´image dans sa page

Le Christ en croix avec la Vierge et saint Jean

Huile sur toile
H. 2,50 ; L. 1,30
Inscriptions : armes de François Joseph Théry de Gricourt en bas à gauche

Historique :
Commandé pour la collégiale Saint-Pierre par François-Joseph Théry de Gricourt, prévôt de la collégiale ; déposé à la Révolution au Collège national (Avisse n°215) ; restitué en 1802 avec les 6 tableaux appartenant à Saint-Pierre en 1789 [20].

Douai, église Saint-Pierre, autel de la chapelle de semaine.

S’agissant d’une œuvre de commande, Lesieur s’est soumis aux choix imposés par son commanditaire, Théry de Gricourt, dont on voit les armes au bas du tableau. Le format étant lui-même défini par son emplacement dans les boiseries de l’autel de la chapelle. Tenant compte de ces contraintes, Lesieur réalise une œuvre d’une grande sobriété où seuls Marie et saint Jean entourent la croix.

Sur un arrière-plan obscur se détachent les trois personnages de la Crucifixion. L’artiste, sans doute à la demande de son commanditaire, représente le Christ selon les préconisations jansénistes : les bras dressés attachés très haut et un clou planté dans chaque pied. La tête est affaissée en signe d’épuisement. A ce dépouillement s’oppose l’attitude théâtrale de saint Jean et de Marie dont la gestuelle accuse la tension dramatique de la scène.

Le très mauvais état de conservation de la toile ne nous permet pas de juger de la qualité de la peinture mais les harmonies de rouge et de vert du vêtement de saint Jean et le rose décoloré associé au bleu de la robe de la Vierge laissent imaginer un coloris raffiné.

Françoise Baligand

Notes

[1AMD Registre des baptêmes, Paroisse Saint-Pierre 1757.

[2Nicole Cartier, Les orfèvres de Douai, Musée de Douai, 1995, p.88.

[3AMD GG. 1 NC 84, fol.29 à 33.

[4Id. fol.28.

[5ENSBA Ms 45, fol.144.

[6AMD Registre des mariages, 10 juin 1783 : « Lesieur Pierre Henry Joseph, maître peintre, 25 ans et demi, fils de feu Laurent Jérôme et de Marie Louise Lambert et, Panié Marie Anne Joseph, 26 ans ».

[7Il ne figure pas sur la liste des suspects de 1793. AMD D2/27.

[8AMD Registre des mariages, 9 floréal an IV : « Lesieur Pierre Henry âgé de 38 ans, né le 9/12/1757 à Douai, marchand de vin domicilié à Tournai, veuf de Marie Anne Panier, fils de défunt Laurent Jérôme et de Marie Louise Lambert domicilié à Douai avec André Caroline Joseph âgée de 25 ans, née le 3/9/1770 à Douai ».

[9Dechristé, 1878, p.288 note 1.

[10Archives de Tournai, registre des décès 1809-1813, acte n° 253.

[11Archives de Tournai, registre des décès 1825.

[12AD Nord 1 T 273 n° 3.

[13La cathasta est un gril de fer au-dessous duquel on mettait du feu pour torturer les criminels.

[14Huile sur toile, H.102 cm ; L.82 cm. Catalogue exposition Trésors de l’Ain, Bourg-en-Bresse, Monastère Royal de Brou, 2011, n° 30.

[15Seule une restauration de la toile pourrait confirmer ou non la présence de la statue de Jupiter.

[16ADN 1 T 273 n° 3.

[17Milwaukee, Haggerty museum, 2000.6.

[18Montpellier, Musée Fabre.

[19On ne connaît pas de gravure d’après la peinture de Vouet.

[20AD Nord 1 T 273 n° 3.

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