Découvertes dans le domaine de la peinture religieuse du XIXe siècle en Île-de-France (III)

La possibilité d’actualisation offerte par Internet nous conduit à compléter encore une fois nos commentaires sur le tableau de Jean Murat, objet de notre première livraison. En effet, cette publication a aidé la municipalité de Vert-Saint-Denis à prendre conscience de l’intérêt de l’œuvre et à entreprendre sa restauration et son accrochage dans des conditions optimales qu’il nous semble importantes de décrire ici. Par ailleurs, les réactions à ma deuxième livraison, concernant Émile Signol, ont été encore plus nombreuses et rapides que précédemment et je remercie chaleureusement le collectionneur qui m’a fait découvrir deux nouvelles versions de Jésus-Christ et la Samaritaine que je suis heureux de présenter ici [1]. Enfin, j’ai souhaité publier trois œuvres monumentales d’un artiste, Eugène Hémar, dont l’identité demeure incertaine [2], toiles mineures certes, mais non dénuées d’originalité, conservées dans la collégiale Notre-Dame de Dammartin-en-Goële. Elles ont été remises au jour en 2013, lors d’une opération d’inventaire, en vue de leur rangement dans des conditions correctes, accompagnées de constats d’état en attendant une éventuelle restauration [3].

ADDITIF À :

1. Jean Murat (1807-1863)
Abraham et les trois anges (Genèse - chap. XVIII), 1849
Huile sur toile - 159 x 227,5 cm,
Vert-Saint-Denis, église Saint-Pierre
Photo : Département de Seine-et-Marne, Yvan Bourhis.
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Jean Murat (La Pisseloche, hameau de Felletin, 16 septembre 1807 - Paris, 19 septembre 1863)
Abraham et les trois anges (Genèse - chap. XVIII) (ill. 1)

Depuis nos deux premières livraisons, ce tableau a été classé au titre des Monuments historiques par arrêté du 21 janvier 2016. Sa restauration a été effectuée fin 2015-début 2016, sur une durée de cinq mois, par Quentin Arguillère, restaurateur titulaire d’un master de sciences et techniques de restauration des biens culturels à Paris I-Sorbonne, sous la maîtrise d’ouvrage de la commune de Vert-Saint-Denis et le contrôle scientifique et technique des services de l’État. L’œuvre avait déjà subi une restauration légère à une époque inconnue et était dans un bon état général de conservation hormis les déchirures, pertes et désordres nettement visibles mais, somme toute, assez limités. Les interventions ont consisté en une campagne photographique préliminaire réalisée avant dépose puis pendant le constat d’état en atelier. L’assainissement du revers encrassé et un premier nettoyage ont été tout d’abord réalisés. Au vu de l’état correct du support, il a été décidé une intervention légère, sans rentoilage, avec un doublage aveugle. En conséquence, des consolidations de la toile, en bordure des déchirures et des pertes ponctuelles essentiellement localisées sur la lisière inférieure, ont dû être effectuées avant le dépointage du châssis. Cette dernière opération menée à bien, le traitement du support a pu être exécuté : mise à plat et collage fil à fil des déchirures, résorption des reliefs nés de la présence de scrupules en partie basse du châssis, résorption des plis en bordure, scellage d’intissé polyester au revers des déchirures et pose de bandes de tension. Le châssis d’origine muni de clés, aux montants chanfreinés, était en bon état général de conservation ; il a donc pu être conservé après nettoyage et désinfection préventive. La toile a été ensuite mise en tension sur le châssis ainsi traité, après doublage aveugle à l’aide d’une toile polyester de 260 g/m2. Les repeints de la première intervention ont été amincis après un allégement prononcé du vernis. Les mastics ont alors été posés et structurés et un vernis d’isolation effectué. Pendant cette phase, une campagne photographique intermédiaire a été réalisée, couvrant les segments de dégagements. Il a été décidé, pour des raisons de lisibilité de l’œuvre, d’effectuer une réintégration picturale illusionniste pour les pertes et les déchirures repérées près du bord inférieur. Un second vernis a été pulvérisé en couche de protection. La campagne photographique finale a eu lieu avant réinstallation de l’œuvre, équipée, au revers, d’une protection par un intissé polyester posé au dernier moment, avant la remise en cadre. Ce dernier (sans doute pas la baguette originale, vu sa simplicité) peint en noir, en bon état, a été dépoussiéré et simplement nettoyé au White spirit, puis quelques retouches ont été faites près des bords par les services municipaux avec les conseils et le contrôle du restaurateur. L’accrochage a été assuré par quatre pattes munies de platines comportant quatre vis chacune, symétriquement disposées en haut et en bas. Le dessin de ces supports a été fourni par la CRMH sur des modèles élaborés par l’auteur de ces lignes et monsieur Christophe Wagner (architecte dans l’équipe de monsieur Jacques Moulin, architecte en chef des Monuments historiques, 2BDM), et la réalisation est due aux services techniques de la mairie. L’œuvre a été reposée à vingt centimètres du mur afin de permettre un nettoyage du revers à l’aide d’un plumeau doux, particulièrement en cas de présence de toiles d’araignées, vectrices d’humidité. Les clichés professionnels finaux ont été pris par Yvan Bourhis, photographe au Conseil départemental de la Seine-et-Marne, collaborateur des conservatrices des antiquités et objets d’art de ce département. L’ensemble de ces travaux a été mené sous maîtrise d’ouvrage communale et le contrôle scientifique et technique des services de l’État, DRAC Île-de-France, Conservation régionale des Monuments historiques. La ville propriétaire a bénéficié d’une subvention de l’État et du Conseil départemental de la Seine-et-Marne, à hauteur respective de 50% et 30%.du montant hors taxes de l’opération [4].


2. Émile Signol (1804-1892)
Jésus-Christ et la Samaritaine, 1843.
Huile sur toile - 98,3 x 79,5 cm
Trilbardou, église Saint-Pierre
Photo : Yvan Bourhis
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ADDITIF À :

Émile Signol (Paris, 16 germinal, an XII (6 avril 1804) - Montmorency, 4 octobre 1892)
Jésus-Christ et la Samaritaine (ill. 2)

Œuvres en rapport :


3. Émile Signol ou d’après Émile Signol (1804-1892)
Jésus-Christ et la Samaritaine, vers 1844
Huile sur toile – 22,8 x 17,5 cm
Collection Alain Guillot
Photo : Alain Guillot
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Anonyme

Jésus-Christ et la Samaritaine (ill. 3)
Vers 1844 [5].
Huile sur toile ; bois (châssis) ; bois stuqué et doré (cadre)
H. 22,8 ; L. 17,5
S.s.n.d.
Historique :
Cette toile a été achetée, par son propriétaire actuel, sur la brocante de Clermont-Ferrand en 2006.
Lieu de conservation :
Collection Alain Guillot


4. Émile Signol ou d’après Émile Signol (1804-1892)
Jésus-Christ et la Samaritaine, vers 1844
Huile sur toile – 37 x 30 cm
Lieu de conservation actuel inconnu
Photo : Aguttes, Neuilly-sur-Seine
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Anonyme

Jésus-Christ et la Samaritaine (ill. 4)
Vers 1844
Huile sur toile ; bois stuqué et doré (cadre)
H. 37 ; L. 30
S.s.n.d.
Historique :
Cette toile est passée en vente chez Aguttes, à Neuilly-sur-Seine, le 22 avril 2008.
Bibliographie :
Aguttes, Atmosphère et décoration, cat. vente, 22 avril 2008, n° 118.
Lieu de conservation :
Inconnu ; sans doute dans une collection privée.

5. Émile Signol ou d’après Émile Signol (1804-1892)
Jésus-Christ et la Samaritaine, vers 1844
revers du tableau monté dans un cadre.
Huile sur toile – 22,8 x 17,5 cm
Collection Alain Guillot
Photo : Alain Guillot
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Signalons tout d’abord que le tableau d’Émile Signol que nous avons précédemment publié vient d’être classé au titre des Monuments historiques par arrêté du 24 août 2017. Concernant les deux toiles retrouvées, il est bien difficile de les attribuer avec certitude au peintre, tout d’abord parce que nous n’avons pu les voir par nous-mêmes, ensuite parce que l’une d’entre elles au moins a été modifiée et peut-être en partie repeinte. Par contre, il semblerait bien qu’elles soient toutes les deux de mêmes dimensions, celles de l’œuvre passée chez Aguttes étant sans doute données avec le cadre dans le catalogue de la vente. Concernant la première version, pour laquelle nous avons reçu d’excellentes photographies par leur propriétaire actuel, plusieurs constatations peuvent en effet être faites. Structurellement, la toile a visiblement subi une intervention parfaitement visible au revers (ill. 5) où une tache ancienne d’humidité est discernable dans l’angle inférieur droit. Le châssis primitif pourrait paraître assemblé bout à bout à angle droit, mais la présence des clous dans les angles indique que nous sommes plutôt en présence d’un assemblage à mi-bois. Les bords extérieurs des tasseaux sont chanfreinés. Cette structure primitive a été agrandie en partie inférieure et à droite (lorsque l’on regarde le revers), par deux baguettes assemblées bout à bout. On peut lire parfaitement, à l’avers de l’œuvre, cette modification qui a été peut-être effectuée peu de temps après la partie « centrale » puisque cet élargissement permet de compléter la scène et d’éviter de couper, au niveau du cou de pied, la jambe gauche de la Samaritaine (ill. 3). Les baguettes d’agrandissement ont visiblement été enduites d’une préparation blanche, sur laquelle l’artiste a peint directement après un masticage, soit grossier, soit rétracté au niveau du joint avec le châssis.

6. Émile Signol ou d’après Émile Signol (1804-1892)
Jésus-Christ et la Samaritaine, vers 1844
Détail de la partie supérieure, des mastics grossiers
et des coups de pinceau débordants
Huile sur toile – 22,8 x 17,5 cm
Collection Alain Guillot
Photo : Alain Guillot
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En partie haute de la baguette latérale, il est évident que les coups de pinceaux débordent sur la toile mais il est impossible, sur le cliché, de voir s’il s’agit d’un premier jet ou d’un surpeint (ill. 6). La toile présente un tissage à gros grains extrêmement régulier à préparation blanche.
Ce qui est en tout cas certain, c’est que ces deux tableautins ont été réalisés d’après l’œuvre originale de Signol. Pour n’en donner qu’une seule preuve, la position des palmiers du second plan est déterminante. Sur l’esquisse de Tours, n’apparaît, au centre de la composition, qu’un seul et unique gros palmier. On le retrouve dans toutes les gravures connues (voir l’article) suivi, à droite, d’un congénère plus mince, alors que le tableau définitif présente une succession petit palmier-gros palmier que l’on ne retrouve que dans les deux compositions ici étudiées. La question principale reste donc : sommes-nous en présence d’études préliminaires à l’œuvre définitive, de reprises ultérieures ou du travail d’un autre artiste ? Tout d’abord, l’aspect du châssis, la toile à gros grains, la préparation blanche de la première des deux toiles, militent pour une datation proche du milieu du XIXe siècle. Sa qualité picturale évidente trahit une maîtrise du pinceau certaine et le niveau d’achèvement ne permet guère de lui conférer un statut d’esquisse mais celui d’une composition déjà aboutie sans être pleinement achevée. L’orientation de la tête de la Samaritaine est par ailleurs plus proche de celle de l’esquisse conservée au musée de Tours et ne possède pas le caractère sémite très marqué de l’œuvre définitive. Ces constatations pourraient conduire à voir ici « l’avant-projet sommaire » de Signol, « l’avant-projet définitif » étant plutôt représenté par la toile passée en vente chez Aguttes (ill. 4). En effet, sur cette dernière, la tête de la femme est plus proche du résultat final, ainsi que la longueur de la corde servant à attacher la cruche pour puiser l’eau, dans sa partie jetée au sol au premier plan. L’aspect hétérogène du châssis du premier tableau est tout à fait cohérent avec un bricolage d’atelier. Celui-ci fut-il le fait du maître, comme nous le soupçonnons, ou d’un(e) élève doué(e) ? Il nous est impossible de trancher et ce, encore plus pour celui que nous ne connaissons que par sa reproduction dans le catalogue de vente.
Le montage, dans un cadre ovale, du premier item (ill. 7) est bien postérieur et a nécessité une très grosse adaptation de la feuillure dudit cadre monoxyle, qui pourrait peut-être dater du XVIIIe siècle, et n’était pas conçu pour cet usage au vu des modifications qu’il a visiblement subies (ill. 5). Concernant la toile vendue chez Aguttes, il est possible que le cadre soit bien celui d’origine ou, en tout cas, spécialement réalisé pour elle.


7. Émile Signol ou d’après Émile Signol (1804-1892)
Jésus-Christ et la Samaritaine, vers 1844
Montage actuel du tableau dans un cadre
Huile sur toile – 22,8 x 17,5 cm
Collection Alain Guillot
Photo : Alain Guillot
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Toutes ces différentes étapes de l’élaboration d’une œuvre picturale, esquisse, études plus ou moins abouties, tableau définitif puis lithographies strictement contemporaines permettent de mieux appréhender le processus de création d’Émile Signol et le succès qu’une iconographie, jusqu’ici peu connue jusqu’à la découverte de la toile de Trilbardou, a pu avoir des dizaines d’années après la création originale. Espérons que d’autres découvertes de compositions picturales de l’artiste, jusqu’ici connues uniquement par l’estampe, permettront d’affiner encore cette connaissance.

Eugène Hémar [6] (Paris, 1848 - ?)

Nous savons par Victor Offroy, dans l’édition de 1873 de son Histoire de la ville de Dammartin (Seine-et-Marne) et aperçu sur les environs [7], qu’Eugène Hémar avait effectué la copie, pour l’oratoire du couvent des dames augustines de Notre-Dame-de-Miséricorde, d’un tableau représentant la sainte Vierge copié sur un original admiré par leur fondateur Antoine Yvan (1576-1653), conservé à Aix-en-Provence [8]. C’est ensuite grâce aux les livrets des Salons que nous apprenons qu’Eugène Hémar était l’élève d’Auguste-Barthélémy Glaize (1807-1893) et qu’il présenta à deux reprises des tableaux à cette manifestation. Il y exposa en effet Giotto (Salon de 1879, n° 1534) [9], Saint François d’Assise et sainte Claire (Salon de 1880, n° 1817) [10] et Sainte Marie l’Égyptienne (Salon de 1882, n° 1322) [11]. Enfin, lors d’une exposition des beaux-arts et photographie tenue à Dammartin en 1897, et commentée par Le Gaulois et Le Figaro du mardi 17 août 1897, il exposa Pifferaro et Giotto, sans doute son tableau du Salon de 1879 [12]. Voilà tout ce que nous connaissons de la production de ce peintre. Nous avons tout d’abord pensé qu’il pouvait s’agir de Félix-Marie-Eugène Hémar (Paris, 3 février 1830 [13] - Paris, 29 septembre 1910 [14]), maire de Dammartin-en-Goële de 1871 à 1881 puis de 1883 à 1910 qui avait épousé, le 9 février 1858, Marie-Césarine-Alix Carra de Vaux [15]. Mais ce personnage aurait alors eu quarante-neuf ans pour sa première présentation au Salon, ce qui serait assez inhabituel, l’âge moyen étant plutôt situé autour de trente ans. Par ailleurs, si c’était finalement bien lui, il aurait peint l’Apparition du Sacré-Cœur à Marguerite-Marie Alacoque, à l’âge de soixante-treize ans, en 1903 [16]. Nous avons essayé d’exploiter la piste de l’adresse donnée par l’artiste pour les catalogues des Salons : 99 rue de Vaugirard, non loin du 95 où demeurait le maître d’Hémar, Auguste Glaize [17]. Mais les annuaires de 1879 à 1881 ne mentionnent pas notre peintre à cette adresse où résidaient néanmoins de nombreux artistes, parmi lesquels les peintres Louis-Théodore-Eugène Glück (1820-1898), Eugène Guibbert, Alfred Loudet (1836-1898), Étienne Tournès (1857-1931) et les sculpteurs Adolphe-Louis Castex-Dégrange (1840-1918), Jean-François-Charles-André Flacheron (1813-1882) et Étienne Leroux (1836-1906), par exemple. Il semble qu’il y ait eu, à cette époque, un roulement important dans cet immeuble qui accueillait artistes et artisans, un commissaire de police et un rentier. Hémar était-il co-locataire d’une de ces personnes, voire parent avec l’une d’entre elles ? Nous n’avons pu trouver aucune trace de relations entre notre artiste et ces habitants. Par ailleurs, est-ce le Eugène Hémar, « amateur parisien » qui détenait quatre dessins de Christophe Huet (1700-1759) en 1904 [18] ? Est-ce le même qui possédait, sans doute dans les années 1890, une étude de la peintre américaine Elizabeth Nourse (1859-1938) [19] ? Ou est-ce, encore une fois, le maire de Dammartin-en-Goële qui avait une adresse parisienne au 12 rue de Paradis puis au 40 boulevard Malesherbes qui collectionnait à ses moments perdus [20] ? Il nous a été impossible de trouver des éléments pour trancher.
Maurice Pignard-Péguet qualifie l’artiste, en 1911, de « peintre amateur » ce qui est quelque peu abusif car l’homme a été à bonne école et sait manier un pinceau [21].


8. Eugène Hémar
Marie l’Égyptienne, 1882
Huile sur toile - 206 x 130 cm
Dammartin-en-Goële, collégiale Notre-Dame
Photo : Département de Seine-et-Marne, Yvan Bourhis.
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Marie l’Égyptienne (ill. 8)
1882
Huile sur toile ; bois résineux (châssis) ; bois stuqué et doré (cadre)
H. 206 ; L. 130 (toile) ; La de la baguette : 31 [22]
S.d.b.g. : E Hemar – 1882
Inscriptions :
Au revers, sur la toile, marques à l’encre ovale, à droite et à gauche de la partie inférieure, au centre de laquelle est imprimé : […] HARDY ALAN […] [23]
Au revers, sur la traverse horizontale supérieure du châssis, à la craie blanche, en chiffres manuscrits : 8200 8200H
Historique :
Ce tableau a été exposé au Salon de 1882 ; il fut sans doute donné à la collégiale par le peintre.
Exposition :
Salon de 1882, n° 1322.
Bibliographie :
Maurice Pignard-Péguet, Histoire générale illustrée des départements. Seine-et-Marne, Orléans, 1911, p. 511.
Lieu de conservation :
Dammartin-en-Goële, collégiale Notre-Dame, dépôt de la sacristie.

Inscrit au titre des Monuments historiques le 21 septembre 2015.
Propriété de la commune, dans l’état actuel de nos connaissances.

Ce tableau présente une iconographie traditionnelle de Marie l’Égyptienne, tirée de Jacques de Voragine paraphrasant Sophrone [24] : « Marie Égyptienne appelée Pécheresse passa 47 ans au désert dans une austère pénitence. Elle y entra vers l’an du Seigneur 270, du temps de Claude. Or, un abbé, nommé Zozime, ayant passé le Jourdain et parcouru un grand désert pour trouver quelque saint père, vit un personnage qui se promenait et dont le corps nu était noir et brûlé par l’ardeur du soleil. C’était Marie Égyptienne. Aussitôt elle prit la fuite et Zozime se mit à courir au plus vite après elle. Alors Marie dit à Zozime : « Abbé Zozime, pourquoi courez-vous après moi ? Excusez-moi, je ne puis tourner mon visage vers vous, parce que je suis une femme ; et comme je suis nue, donnez-moi votre manteau, pour que je puisse vous voir sans rougir. » En s’entendant appeler par son nom, il fut saisi : ayant donné son manteau, il se prosterna par terre et la pria de lui accorder sa bénédiction. « C’est bien plutôt à vous, mon père, lui dit-elle, de me bénir, vous qui êtes orné de la dignité sacerdotale. » Il n’eut pas plutôt entendu qu’elle savait son nom et son ministère, que son admiration s’accrut, et il insistait pour être béni. Mais Marie lui dit : « Béni soit le Dieu rédempteur de nos âmes. » Comme elle priait les mains étendues, Zozime vit qu’elle était élevée de terre d’une coudée. Alors le vieillard se prit à douter si ce n’était pas un esprit qui fît semblant de prier. Marie lui dit : « Que Dieu vous pardonne d’avoir pris une femme pécheresse pour un esprit immonde ! » Alors Zozime la conjura au nom du Seigneur de se faire un devoir de lui raconter sa vie » [25]. Marie lui raconte alors sa vie de débauche puis sa visite à Jérusalem pour vénérer la Sainte-Croix, faveur qui lui fut octroyée, après de nombreux contretemps, par l’intercession de la Vierge Marie. Elle franchit ensuite le Jourdain avec trois ou sept pains, selon les sources, qui lui suffirent pour se nourrir pendant ses quarante-sept années passées dans le désert. Elle présente alors une supplique à Zozime : « Je vous conjure de revenir aux bords du Jourdain le jour de la cène du Seigneur, et d’apporter avec vous le corps de J.-C. : quant à moi j’y viendrai à votre rencontre et je recevrai de votre main ce sacré corps ; car à partir du jour où je suis venue ici, je n’ai pas reçu la communion du Seigneur. » Le vieillard revint donc à son monastère, et, l’année suivante, à l’approche du jour de la cène, il prit le corps du Seigneur, et vint jusqu’à la rive du Jourdain. Il vit à l’autre bord une femme debout qui fit le signe de la croix sur les eaux, et vint joindre le vieillard. A cette vue celui-ci fut frappé de surprise et se prosterna humblement à ses pieds : « Gardez-vous, lui dit-elle, d’agir ainsi, puisque vous avez sur vous les sacrements du Seigneur, et que vous êtes décoré de la dignité sacerdotale ; mais, mon père, je vous supplie de daigner revenir vers moi l’an prochain. » Alors après avoir fait le signe de la croix, elle repassa sur les eaux du Jourdain pour gagner la solitude de son désert. Pour le vieillard il retourna à son monastère et l’année suivante, il vint à l’endroit où Marie lui avait parlé la première fois, mais il la trouva morte » [26].

L’artiste représente bien ici la communion de la sainte selon une composition basée sur deux axes différents :
 la répartition du paysage qui forme le décor de la scène selon un principe d’un tiers paysage/deux tiers ciel séparés par une ligne d’horizon strictement rectiligne ; cette « astuce » permet au peintre de mettre en évidence la partie haute des corps des deux personnages qui se détachent sur un ciel crépusculaire où luit le premier quartier de la lune, alors que leurs pieds sont fortement ancrés dans le sol du sommet d’un ravin ;
 la diagonale qui part de l’angle supérieur droit de la toile et relie les regards des deux acteurs de la scène, contrebalancée par la pente du sol sur lequel se tiennent Marie et Zozime ; le regard de ce dernier est fixé sur le visage de la sainte aux yeux clos en une fervente prière. Leurs têtes forment la base d’un triangle dont le premier quartier de lune est le sommet, comme une prémonition de la future auréole de la sainte.
Cette dernière est vêtue du « manteau », en réalité la robe de bure brune à capuchon que Zozime lui donna lors de leur première rencontre, ce qui lui confère un aspect très masculin. Ce n’est pas la carnation « noire et brûlée par l’ardeur du soleil » décrite par la Vie de Marie l’Égyptienne qui lui donne ici un aspect étrange mais la longueur démesurée de ses cuisses qui souligne le côté « échalas » de la silhouette. Sa figure, couleur bronze, est un masque mortuaire annonçant son proche décès. C’est d’ailleurs un viatique que lui tend le père abbé de sa main droite, la gauche tenant un ciboire. Il présente l’aspect général fréquemment conféré aux pères du désert (comme les saints Paul et Antoine, par exemple) : figure burinée par le soleil surmontée d’une longue chevelure grise clairsemée et d’une barbe blanche fournie. Il est vêtu du long manteau noir habituel sur une tunique gris-vert.

9. Eugène Hémar
Marie l’Égyptienne, 1882
Huile sur toile - 206 x 130 cm
revers
Dammartin-en-Goële, collégiale Notre-Dame
Photo : Département de Seine-et-Marne, Yvan Bourhis.
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Si la personnalité de Marie l’Égyptienne a souvent inspiré les artistes dès l’époque médiévale [27], cette scène se retrouva fréquemment représentée sous le pinceau des iconographes de l’église orthodoxe qui conférèrent à Marie un aspect érémitique squelettique, fidèle à la description de Sophrone [28], bien loin de la plupart des habitudes occidentales. Dans ce dernier contexte, quel que soit l’épisode illustré de la légende, la sainte est généralement, comme Marie-Madeleine avec qui elle fut souvent assimilée ou confondue, représentée sous les traits d’une jeune et jolie jeune femme ayant conservé la beauté, et souvent la semi nudité évocatrice de sa jeunesse dépravée. Qu’il s’agisse des artistes nordiques [29] ou des Italiens comme Marcantonio Franceschini [30], même si ce dernier émacie le visage de la sainte au profil sémite accentué, ou de l’École française, c’est en effet la beauté de la pécheresse qui est habituellement soulignée même fanée [31]. La représentation de la communion de la sainte n’est guère fréquente au XIXe siècle. Les achats de l’État en ce domaine sont au nombre de quatre, mais l’exemple le plus fameux est une commande de la préfecture de la Seine, qu’Hémar connaissait sans aucun doute : le décor de Théodore Chassériau pour une des chapelles nord de l’église Saint-Merry de Paris, dédiée à sainte Marie l’Égyptienne, effectué en 1841-1843 [32]. Chez Dominique Papety (1815-1849), vers la même époque, l’ermite exhibe une nudité totale volontairement voluptueuse [33]. Hémar se place ici plutôt dans l’esprit d’une des deux versions consacrées à cette sainte par Jusepe de Ribera [34] montrant une femme émaciée conservant néanmoins quelques vestiges de son ancienne beauté et d’une poignante dignité. Dans son tableau, Hémar va même plus loin, « momifiant » littéralement la sainte. Le fait que la scène se place dans une ambiance de crépuscule grisâtre, loin de l’éclatante lumière diurne, vive et crue, du désert égyptien évoqué par les aquarelles de Papety [35], accroît l’impression d’un deuil annoncé. Les deux personnages semblent ancrés dans une réalité réinventée des premiers temps chrétiens historiques, quasi archéologique, bien loin des scènes fantasmées ou figées, en ligne claire, d’un Dominique Papety et plus proche du réalisme d’Eugène Thirion (1839-1910) [36].

Il est impossible, dans l’état actuel de la couche picturale, d’analyser la palette de l’artiste comme sa touche. La toile de lin « industrielle », recouverte d’une préparation blanche, est en effet extrêmement encrassée, parsemée de déjections d’oiseaux et peut-être de peinture blanche. Elle est déclouée de son châssis dans sa partie supérieure et des scrupules menacent de percer le bord inférieur. Le châssis à clés, à traverses en croix de Lorraine, possède des montants chanfreinés assemblés par des tenons et mortaises.
Le cadre d’origine en bois est constitué, à l’extérieur, d’un tore stuqué et doré suivi d’un plat sablé doré, se terminant à la vue par une petite moulure de profil simple ; la dorure est réalisée à la feuille sur bolus rouge. Un panneau à oreilles est fixé sur la baguette inférieure, portant le titre de l’œuvre choisi par l’artiste : STE MARIE L’ÉGYPTIENNE. Son montage est d’une exceptionnelle qualité et solidité. Les angles des montants creux sont renforcés par des trapèzes formant triangle lors de l’assemblage assuré par des éclisses. Trapèzes et éclisses sont repérés par des chiffres romains incisés, de I à IV, à la façon d’un « kit » (ill. 9). Il s’agit visiblement d’une commande spéciale et sans doute très coûteuse, tant pour sa conception menuisée que pour l’utilisation du décor doré sablé, plus délicat à réaliser.


10. Eugène Hémar
L’Annonciation, 1889
Huile sur toile - 292 x 191 cm
Dammartin-en-Goële, collégiale Notre-Dame
Photo : Département de Seine-et-Marne, Yvan Bourhis
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11. Eugène Hémar
L’Annonciation, 1889
Huile sur toile - 292 x 191 cm
Dammartin-en-Goële, collégiale Notre-Dame
Photo : Atelier Bis
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L’Annonciation (ill. 10 et 11)
1889
Huile sur toile ; bois (châssis)
H. 292 ; L. 191 (toile)
S.d.b.d. : E Hemar – 1889
Inscriptions :
Au revers, sur la toile, marque à l’encre ovale, au centre de laquelle est imprimé : 54 RUE N.D. DES CHAMPS PARIS – PAUL FOINET – TOILES & COULEURS FINES [37].
Historique :
Ce tableau fut sans doute donné à la collégiale par le peintre.
Bibliographie :
Maurice Pignard-Péguet, Histoire générale illustrée des départements. Seine-et-Marne, Orléans, 1911, p. 511.
Lieu de conservation :
Dammartin-en-Goële, collégiale Notre-Dame, dépôt de la sacristie.

Inscrit au titre des Monuments historiques le 21 septembre 2015.
Propriété de la commune, dans l’état actuel de nos connaissances.

L’état actuel de ce tableau ne permet guère de se faire une idée complète de sa composition. Néanmoins, il présente une originalité dès à présent discernable. Marie est tout d’abord représentée comme une jeune paysanne vêtue d’un costume simple assez moyen-oriental : longue tunique sombre de type djellaba ou gandoura recouverte d’un ample manteau clair ; un voile diaphane recouvre sa tête et s’enroule autour des épaules. Son côté jeune et innocent est accentué par le geste de surprise qu’elle esquisse et le fait qu’elle détourne son regard de l’ange qui paraît l’effrayer, survenant alors qu’elle était en train de filer au rouet. Les représentations de la Vierge au rouet ou à la quenouille ne sont pas très fréquentes [38]. Elles ont pour source le Protévangile de Jacques qui précise [39] : « Or il y eut un conseil des prêtres, disant : « Faisons un voile pour le Temple du Seigneur. » Et le prêtre dit : « Appelez-moi les vierges sans tache de la tribu de David. » Et les serviteurs s’en allèrent et cherchèrent, et en trouvèrent sept. Et le prêtre se souvint de la jeune Marie : qu’elle était de la tribu de David et qu’elle était sans tache devant Dieu. Et les serviteurs s’en allèrent et l’amenèrent. Et ils les firent entrer dans le Temple du Seigneur. Et le prêtre dit : « Tirez au sort laquelle filera l’or, l’amiante, le lin, la soie, le bleu, l’écarlate et la pourpre véritable. » Et à Marie échurent la pourpre véritable et l’écarlate ; et, les ayant pris, elle s’en alla en sa maison. Or, à ce moment-là,, Zacharie devint muet et Samuel le remplaça jusqu’au jour où Zacharie parla de nouveau. Or Marie, ayant pris l’écarlate, se mit à filer ». Marie sort alors puiser de l’eau et l’ange de l’Annonciation l’interrompt. L’état du tableau ne permet pas de voir si une cruche est ici représentée. De même, il est à l’heure actuelle impossible de décrire la figure de Gabriel en raison des nombreuses déchirures de la toile. En dépit de ces dernières, il semble bien que tous les morceaux de l’œuvre soient présents. Pour la même raison, en dépit d’une incontestable réussite dans la figure de la Vierge, une analyse de la palette et de la touche de l’artiste est prématurée avant une restauration plus que nécessaire.


12. Eugène Hémar
Apparition du Sacré-Cœur à Marguerite-Marie Alacoque, 1903
Huile sur toile - 239 x 179 cm
Dammartin-en-Goële, collégiale Notre-Dame
Photo : Département de Seine-et-Marne, Yvan Bourhis.
Voir l´image dans sa page

Apparition du Sacré-Cœur à Marguerite-Marie Alacoque (ill. 12)
1903
Huile sur toile ; bois (châssis) ; bois peint et bronziné (cadre)
H. 239 ; L. 179 (toile) ; La de la baguette du cadre 18 ; Ép. du cadre 9,5
S.d.b.g. : E Hemar – 1903
Historique :
Ce tableau fut sans doute donné à la collégiale par le peintre.
Bibliographie :
Maurice Pignard-Péguet, Histoire générale illustrée des départements. Seine-et-Marne, Orléans, 1911, p. 511.
Lieu de conservation :
Dammartin-en-Goële, collégiale Notre-Dame, dépôt de la sacristie.

Inscrit au titre des Monuments historiques le 21 septembre 2015.
Propriété de la commune, dans l’état actuel de nos connaissances.

L’iconographie de cette apparition est traditionnelle. Elle illustre la troisième grande révélation, au début du mois de juin 1675, que reçut Marguerite-Marie Alacoque devant le Saint-Sacrement exposé, telle que décrite par La vie de sainte Marguerite-Marie Alacoque publiée en 1923 [40] : « Étant une fois devant le saint Sacrement, un jour de son octave, je reçus de mon Dieu des grâces excessives, de son amour, et me sentis touchée du désir de quelque retour et de lui rendre amour pour amour. Et il me dit : —Tu ne m’en peux rendre un plus grand qu’en faisant ce que je t’ai déjà tant de fois demandé. — Alors, me découvrant son divin Cœur : — Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’il n’a rien épargné jusqu’à s’épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour ; et pour reconnaissance, je ne reçois dé la plupart que des ingratitudes, par leurs irrévérences et leurs sacrilèges, et par les froideurs et les mépris qu’ils ont pour moi dans ce sacrement d’amour [...] » [41]. Des événements survenus lors des visions que la sainte avait tous les vendredis sont souvent associés à cette troisième apparition : « Ce sacré Cœur m’était représenté comme un soleil brillant d’une éclatante lumière, dont les rayons tout ardents donnaient à plomb sur mon cœur, qui se sentait d’abord embrasé d’un feu si ardent qu’il me semblait m’aller réduire en cendres, et c’était particulièrement en ce temps-là que ce divin Maître m’enseignait ce qu’il voulait de moi, et me découvrait les secrets de cet aimable Cœur. Et une fois, entre les autres, que le saint Sacrement était exposé, après m’être sentie retirée toute au-dedans de moi-même, par un recueillement extraordinaire de tous mes sens et puissances, Jésus-Christ, mon doux Maître, se présenta à moi, tout éclatant de gloire, avec ses cinq plaies, brillantes comme cinq soleils, et de cette sacrée Humanité, sortaient des flammes de toute part, mais surtout de son adorable poitrine, qui ressemblait une fournaise, et, s’étant ouverte, me découvrit son tout aimant et tout aimable Cœur, qui était la vive source de ces flammes. Ce fut alors qu’il me découvrit les merveilles inexplicables de son pur [amour] et jusqu’à quel excès il l’avait porté d’aimer les hommes, dont il ne recevait que des ingratitudes et méconnaissances. — Ce qui m’est beaucoup plus sensible, me dit-il, que tout ce que j’ai souffert en ma Passion ; d’autant que s’ils [me] rendaient quelque retour [d’]amour, j’estimerais peu tout ce que j’ai fait pour eux, et voudrais, s’il se pouvait, en faire encore davantage. Mais ils n’ont que des froideurs et du rebut pour tous mes empressements à leur faire du bien. Mais, du moins, donne-moi ce plaisir de suppléer à leurs ingratitudes autant que tu en pourras être capable. — Et lui remontrant mon impuissance, il me répondit : —Tiens, voilà de quoi suppléer à tout ce qui te manque. — Et en même temps ce divin Cœur s’étant ouvert, il en sortit une flamme si ardente que je pensai en être consommée ; car j’en fus toute pénétrée et ne pouvais plus la soutenir, lorsque je lui demandai d’avoir pitié de ma faiblesse » [42].

Ces révélations ont pour cadre la chapelle des Visitandines de Paray-le-Monial encore conservée aujourd’hui. Hémar, comme beaucoup de ses prédécesseurs, base sa composition sur la diagonale gauche-droite reliant les deux personnages et leurs regards. Si le Christ présente la silhouette traditionnelle de cet événement - figure auréolée aux longs cheveux châtains et à courte barbe, tunique rouge surmontée du manteau bleu, stigmates visibles et cœur incandescent désigné par la main gauche - celle-ci est volontairement peinte dans une sorte de sfumato qui lui confère irréalité et transparence. Marguerite-Marie, agenouillée, est vêtue du costume traditionnel des Visitandines quelque peu teinté de romantisme : présence d’un bandeau frontal, voile flottant, etc. Elle joint ses deux mains sur son cœur en signe d’adoration. Elle présente une silhouette émaciée où ressort un visage extatique particulièrement soigné et réussi par le peintre [43]. La domination de la figure du Christ est accentuée par le fait qu’elle se trouve sur le degré supérieur de l’emmarchement du maître-autel, sur lequel sont disposés de hauts cierges, adossé à un important retable néogothique. En arrière-plan de la sainte, un faisceau de colonnes divise la nef, isolant vers la droite une chapelle éclairée, au sud, par des vitraux et fermée par une grille ouvragée. Hémar a particulièrement soigné le rendu des verrières en utilisant une touche quasi impressionniste.
Comme Gérard Picaud nous l’a fait remarquer, le peintre, contrairement à de nombreux autres artistes, ne prend pas en compte la particularité du plan du sanctuaire de Paray-le-Monial, séparé du chœur des religieuses par la grille claustrale [44].
La réussite de cette œuvre, le plus beau tableau de cet artiste à ce jour retrouvé, est le côté intimiste de la scène. L’irradiation du cœur n’est pas triomphante comme souvent, mais sourde ce qui renforce la profonde impression de communion entre les deux acteurs de la scène.
Le tableau est en assez bon état. La couche picturale est certes encrassée, griffée en certains endroits et sporadiquement marquée de déjections d’oiseaux et de traces de peinture claire, mais bien lisible. La toile est déclouée de son châssis en partie haute et en partie arrachée sur le bord droit alors que quelques scrupules lestent la partie basse.
Le cadre est visiblement celui d’origine. Il est constitué depuis l’extérieur, d’un plat suivi d’une doucine rentrante, d’un tore, d’un grand plat concave, le tout peint en noir, et se termine, à la vue, par un mince tore de même couleur entouré de deux petits plats bronzinés. Il est extrêmement encrassé et sa polychromie usée.

Si nous n’avons pu résoudre le mystère de l’identité du peintre, il est possible d’affirmer, sans risque de se tromper, qu’il appartenait à la famille du maire Eugène Hémar (si ce n’est pas lui ?) et devait être marqué par les traditions familiales. En effet, depuis au moins trois générations, les hommes de la famille épousèrent des professions juridiques et y firent, semble-t-il, preuve d’opinions légitimistes et religieuses affirmées. En 1879, le frère de l’édile avait d’ailleurs été suspendu de ses fonctions d’avocat général en raison de ses opinions antirépublicaines. Il fut également un des membres du Comité de l’œuvre du Vœu national en 1872, dédié au Sacré-Cœur de Jésus, objet du tableau de 1903 conservé dans la collégiale de Dammartin. Dans une même tradition intégriste, en novembre 1906, « M. Eugène Hemar, maire de Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne), [venait] d’être suspendu de ses fonctions, par arrêté préfectoral, pour avoir replacé, dans les écoles publiques, les emblèmes religieux enlevés par ordre administratif » [45]. Enfin, dernier exemple, la famille de son épouse conservait, comme reliques, les chaînes hérissées de pointe, le cœur et la croix du diacre janséniste François de Pâris que le maire de Dammartin offrit au collège de Juilly dirigé par les oratoriens [46]. Il n’est pas étonnant, dans ce contexte, que les rares productions connues de l’artiste soient des iconographies religieuses.

Thierry Zimmer

Notes

[1Je remercie vivement madame Valérianne Pace, associée-responsable Aguttes, Lyon et monsieur Alain Guillot, collectionneur, pour leur aide.

[2Cette incertitude est en grande partie la cause de notre retard à publier cette troisième livraison, ayant toujours l’espoir de lever le voile sur l’identité de ce peintre. Un très grand nombre de pistes ont été explorées, sans résultat. J’espère désormais beaucoup de la présente mise en ligne qui attirera peut-être l’attention d’une personne détentrice de la solution. Je tiens, en tout cas, à remercier toutes ceux qui m’ont aidé dans ces recherches : Messieurs Bernard Cauchies, membre de la Société d’histoire et d’archéologie de la Goële ; Jean Foisselon, administrateur adjoint du musée de la Visitation à Moulins ; Gérard Lambert, président de la Société d’histoire et d’archéologie de la Goële ; Quentin Lepilliez, chargé de mission à la mairie de Dammartin-en-Goële ; Gérard Picaud, conservateur du musée de la Visitation à Moulins.

[3Cette opération a été subventionnée à 70% du montant hors taxes par le Conseil départemental de Seine-et-Marne. Elle a été menée à bien par Sylvie Hénocque et Maxime Kapusciak de l’Atelier Bis, en septembre 2013.

[4Le dossier final de restauration est conservé à la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Quentin Arguillère, Compte-rendu d’intervention. Abraham et les trois anges, 2016.

[5La date ici donnée est déterminée d’après celle du tableau de Trilbardou (voir l’article).

[6C’est à l’occasion d’un important travail de nettoyage et de rangement préliminaire à la première tranche de restauration de la collégiale Notre-Dame de Dammartin-en-Goële, que ces trois tableaux, connus par la bibliographie, ont pu être redécouverts fin 2013. Cette opération a été entreprise sous la direction de Jacques Moulin architecte en chef des Monuments historiques et l’auteur de ces lignes. Elle fut complétée à mon instigation et celle de la conservation des antiquités et objets d’art par un rangement correct, cartonnages ponctuels et emballages de tous les tableaux conservés dans l’édifice, accompagné de constats d’état et de propositions de restauration effectués par l’Atelier Bis (voir supra, note 3).

[7Victor Offroy, Histoire de la ville de Dammartin (Seine-et-Marne) et aperçu sur les environs, Lemarié Fils, Dammartin, 1873, p. 5, 50, 68 et 85. Cet auteur semble alors ne connaître qu’un seul monsieur Hémar, le maire. Jean-Baptiste-Victor Offroy (1799-1876) était un épicier autodidacte dammartinois, auteur de poèmes et d’ouvrages sur l’histoire de Dammartin, conseiller municipal de cette ville depuis les années 1820 puis sous la mandature du maire Eugène Hémar. Sa biographie publiée par Alfred de Longpérier-Grimoard, dans Comité archéologique de Senlis. Compte-rendus et Mémoires. 2e série/2 année 1876, Ernest Payen, Senlis, 1877, p. XXXIX-XLIII, précise que ses témoignages étaient surtout recueillis auprès de ses concitoyens, sans recherches livresques.

[8Ce tableau est évoqué dans Gilles Gondon, L’Imitateur de Iésus-Christ ou la vie du vénérable père Antoine Yvan, prestre instituteur de l’Ordre des Religieuses de Nostre-Dame de Miséricorde, Jean Boullard, Paris, 1662, p. 139-142 en ligne sur (consulté le 4 août 2017). L’œuvre est conservée dans le musée Estienne de Saint-Jean d’Aix-en-Provence, sous le n° d’inv. 2008.0.732, et classée au titre des Monuments historiques par arrêté du 05/10/1989.

[9Lieu de conservation actuel inconnu.

[10Lieu de conservation actuel inconnu.

[11Voir infra.

[12Sur cette exposition, voir : Paul Bartel, « En Province. Une exposition artistique », dans Le Gaulois, 5748, Paris, mardi 3 août 1897, p. 3 et Argus, « Télégrammes et correspondances du 16 août. Exposition des beaux-arts », dans Le Figaro, 229, Paris, mardi 17 août 1897, p. 4.

[13L’acte de naissance reconstitué (Archives de Paris, V3E/N1133) est consultable sur archives.paris.fr (consulté le 4 août 2017).

[14L’acte de décès est conservé aux Archives de la mairie du huitième arrondissement de Paris, , année 1910, n° 1802. Il habitait alors au 40 boulevard Malesherbes. Certains journaux, comme Le Parisien du 30 septembre 1910, signalent son décès.

[15Le meilleur résumé biographique concernant ce personnage et sa famille est donné sur le site de la Cour des comptes (consulté le 4 août 2017). Les époux sont inhumés dans le cimetière du Père Lachaise à Paris dans la division 40 : [voir ici] (consulté le 4 août 2017). L’acte de mariage (Archives de Paris, V3E/M490) est consultable sur archives.paris.fr (consulté le 8 août 2017).

[16Nous avons essayé de trouver un autre Hémar portant le prénom d’Eugène mais nous n’en avons repéré aucun dans cette famille dont la généalogie est bien connue et publiée. S’agit-il d’une branche collatérale que nous n’avons pu identifier ? Cela demeure possible. Au cours de nos recherches, nous avons effectivement pu repérer un Félix-Eugène-François Hémar qui, né en 1825, aurait été encore plus âgé que le maire de Dammartin (Archives de Paris, V3E/N1133, en ligne sur archives.paris.fr] -consulté le 8 août 2017). Nous avons également trouvé un autre Eugène Hémar, né le 12 juin 1848 dans le neuvième arrondissement de Paris sans que nous puissions établir un lien de parenté avec l’édile seine-et-marnais, mais dont la date de naissance aurait été plus conforme avec une première exposition au Salon, trente-et-un ans plus tard (Archives de Paris, V3E/N1133, en ligne sur archives.paris.fr - consulté le 4 août 2017). Malheureusement, ce jeune bijoutier est décédé le 7 décembre 1874, ce qui rend impossible tout rapprochement (Archives de Paris, 43E/3919, acte 3342, consultable sur archives.paris.fr). Enfin, un troisième personnage portant le patronyme de Eugène-Prosper Hémar, né le 29 juillet 1840, a été repéré, pour lequel nous n’avons pu trouver aucun autre renseignement (Archives de Paris, V3E/N1133, consultable sur archives.paris.fr – consulté le 7 août 2017).

[17Les renseignements donnés ici sont tirés des éditions de 1879 à 1881 de l’Annuaire-almanach du commerce, de l’industrie, de la magistrature et de l’administration ou almanach des 500 000 adresses de Paris, des départements et des pays étrangers (Didot-Bottin), 82e année, chez Firmin Didot et Cie, Paris.

[18Voir Louis Dimier, « Nouveaux dessins de Christophe Huet », dans La Chronique des arts et de la curiosité, 1, Paris, 2 janvier 1904, p. 2-3. L’auteur précise que cette série de sanguines complète celle conservée au musée des beaux-arts de Valenciennes, au nombre de dix, donnée autrefois par le peintre Charles Crauk.

[19Voir Mary-Alice-Heekin Burke, Elizabeth Nourse, 1859-1938 : A Salon Career, cat. exp., National Museum of American Art, Smithsonian Institution, 14 janvier-17 avril 1983, Cincinnati Art Museum, Cincinnati, Ohio, 12 mai-3 juillet 1983, National Museum of American Art by the Smithsonian Institution Press, Washington, 1983, p. 187.

[20Voir supra, notes 18 et 19.

[21Maurice Pignard-Péguet, Histoire générale illustrée des départements. Seine-et-Marne, Orléans, 1911, p. 511. La confusion entre les différents membres de la famille Hémar est aussi patente dans cet ouvrage qui désigne comme maire et propriétaire du château de la Corbie, l’avocat général Henri-Frédéric-Marie Hémar (1826-1898) au lieu de son frère Eugène Hémar (Pignard-Péguet, op. cit., p. 876).

[22Les dimensions sont données ici avec une marge de dix centimètres environ qu’il nous a été impossible de réduire, l’œuvre étant aujourd’hui emballée pour sa protection.

[23Les photographies prises par l’Atelier Bis sont de trop faible définition pour voir autre chose que la marque centrale du tampon (voir Guide Labreuche. Guide historique des fournisseurs de matériel pour artistes à Paris 1790-1960 - consulté le 5 août 2017). Le tableau étant emballé et les travaux de la collégiale en cours, nous n’avons pu vérifier les autres indications, lors de notre passage, le 7 août 2017.

[24Voir Jacques de Voragine, La légende dorée, 1, Garnier-Flammarion, Paris, 1967, p. 284-286. Concernant la Vita de Sophrone, on peut se référer à deux publications récentes : Hiéromoine Nico, Vie de Sainte Marie l’Égyptienne. Récit attribué à saint Sophrone de Jérusalem, Éditions du Cerf, Paris, 2008 et Jacques Lacarrière, Vie de sainte Marie Égyptienne pénitente suivie de Vie de saint Siméon stylite, coll. « Atopia », Éditions Jérôme Millon, 2014.

[25Voir Jacques de Voragine, op. cit ;, 1967, p. 284.

[26Voir Jacques de Voragine, op. cit., 1967, p. 285-286.

[27Pour un survol iconographique, on peut regarder ce site (consulté le 4 août 2017) qui ne donne malheureusement pas les références des œuvres reproduites.

[29Voir, par exemple, le Saint Zosime donnant la communion à sainte Marie l’Égyptienne et l’ensevelissant avec l’aide d’un lion attribué à Antoon Willemsens, passé en vente à Bruxelles le vendredi 21 mai 2008, sous le n° 214.

[301680 ; huile sur cuivre ; H. 42,5 - La 54,3 ; New-York, Metropolitan museum, inv. 1996.9.

[31On peut signaler, par exemple le tableau de Nicolas Loir (1624-1670), Sainte Marie Égyptienne aux pieds de la statue de la Vierge, Marseille, musée des beaux-arts, inv. 183 (JOCONDE 000PE014792).

[32Voir Stéphane Guégan, Vincent Pomarède et Louis-Antoine Prat, Chassériau. Un autre romantisme, cat. exp., Paris-Galeries nationales du Grand-Palais, Strasbourg-musée des Beaux-Arts, New-York-The Metropolitan Museum of Art, 26 février 2002-5 janvier 2003, Éditions de la Réunion des musées nationaux, Paris, 2002, p. 151, n° 70 et http://www.louvre.fr/oeuvre-notices/trois-scenes-de-la-vie-de-sainte-marie-l-egyptienne. Sur l’iconographie de la sainte au XIXe siècle, on consultera Bernard Berthod et Élisabeth Hardouin-Fugier, Dictionnaire iconographique des saints, Les Éditions de l’Amateur, Paris, 1999, p. 269. Les tableaux achetés ou commandés par l’État étaient la Sainte Marie l’Égyptienne de Louis-Joseph Noyal, commandé en 1845, aujourd’hui en dépôt à la mairie d’Attigny dans les Ardennes (FNAC, inv. PFH-7036) ; une Sainte Marie l’Égyptienne d’Émile Ollion, 1850, destinée à l’église de Gricourt dans l’Aisne (voir archives nationales, F21 48, dr 22) ; La dernière communion de sainte Marie l’Égyptienne de Jean-Baptiste-Marie dit Jean-Marius Fouque, 1859, pour l’église Saint-Firmin de Gordes dans le Vaucluse (FNAC, inv. PFH-4302).

[33L’ermite tendant en se détournant un vêtement à Sainte Marie l’Egyptienne, Montpellier, musée Fabre, inv. 892.4.36. Cette aquarelle fait partie d’une série consacrée à la sainte par le peintre marseillais comportant deux autres scènes : L’ermite et Sainte Marie L’Egyptienne s’entretiennent dans un paysage, Montpellier, musée Fabre, inv. 892.4.37 et Mort de Sainte Marie l’Egyptienne, Montpellier, musée Fabre, inv. 892.4.38. Ces œuvres ont été publiées dans Collectif, Le temps de la peinture. Lyon 1800-1914, cat. exp., Lyon, musée des Beaux-Arts, 20 avril-30 juillet 2007, Fage éditions, Lyon, 2007, p. 220, n° 100 à 102.

[34Montpellier, Musée Fabre, inv. 837.1.27. La seconde version connue (Chambéry, musée des beaux-arts, inv. M 245) se rattache plutôt à l’iconographie plus habituelle de la jeune et belle pécheresse.

[35Voir supra, note 33.

[36La mort de sainte Marie l’Égyptienne, Lisieux, musée d’art et d’histoire, n° 88 du catalogue d’Étienne Deville, Catalogue des œuvres de peinture, aquarelles, dessins et sculpture exposés dans le Musée de Lisieux, 6e édition, Lisieux 1925.

[37Voir Guide Labreuche.

[38Cette représentation n’a rien à voir avec la légende des « fils de la Vierge ». Ce sont, d’après Georges Dubosc, « Les fils de la Vierge », dans Journal de Rouen, 17 septembre 1899, « […] les fils provenant de la quenouille de la mère de Jésus-enfant. Pendant qu’il sommeille, la Vierge assise les file de ses doigts menus au bout de son fuseau, et les laisse s’éparpiller dans l’air, pour rendre plus chaud, l’hiver, le nid des oiselets » (en ligne ici, consulté le 4 août 2017).)

[39Protév Jc 10,1-2 ; voir François Bovon et Pierre Geoltrain, Écrits apocryphes chrétiens, Bibliothèque de la Pléïade, NRF, Éditions Gallimard, 1997, p. 91.

[40Voir Le Monastère de Paray-le-Monial, Vie de sainte Marguerite-Marie Alacoque de l’ordre de la Visitation Sainte-Marie, ancienne librairie Poussielgue - J. de Gigord éditeur, Paris, 1923 (consultable en ligne ici - consulté le 5 août 2017).

[41Le Monastère de Paray-le-Monial, op. cit., p. 93-94

[42Le Monastère de Paray-le-Monial, op. cit., p. 74-75.

[43Gérard Picaud, conservateur du musée de la Visitation à Moulins, nous a précisé, par courriel du 11 août 2017, qu’il n’avait jamais rencontré de représentation aussi intense du visage de la sainte.

[44Voir note précédente.

[45Voir Anonyme, « La séparation des églises et de l’État. La question des emblèmes », dans Le Petit Journal, lundi 26 novembre 1906, p. 3.

[46Voir Collectif, Juilly. Bulletin mensuel du collège et de l’association amicale, Abbeville, 25 décembre 1911, p. 10-11.

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