Privatisation aux Beaux-Arts : un camion détruit une architecture de Duban

5 5 commentaires

7/12/21 - Patrimoine - Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts - Félix Duban n’a décidément pas de chance à l’École des Beaux-Arts. L’arc de Gaillon, héritage de Lenoir qu’il avait tenu à conserver lors de son intervention sous la Monarchie de Juillet, et qui répondait parfaitement à la façade du Palais des Études a été démonté en 1980 pour être renvoyé à Gaillon où il n’a plus grand sens.


1. Hermès au Pavillon des Études
Photo : La Tribune de l’Art
Voir l´image dans sa page

Et voilà que lors de la privatisation de ce Palais des Études au profit de la société Hermès (ill. 1), un camion transportant du matériel a percuté l’un des soubassements qui se trouvaient de part et d’autres de ceux qui supportaient l’arc de Gaillon, le détruisant à peu près complètement : les débris gisent désormais dans la cour comme on peut le voir sur les photos (ill. 2 à 5) que nous avons pu prendre aujourd’hui.


2. La cour de l’École des Beaux-Arts aujourd’hui
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page
3. Le muret détruit par un camion dans la cour de l’École des Beaux-Arts
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

La datation de cette partie de l’architecture n’est pas claire. Il s’agit soit de fragments du XVIe siècle réemployés, soit d’une architecture néo-renaissance due à Duban. Nous avons interrogé David Van Zanten, professeur émérite d’histoire de l’art à l’université Northwestern à Evenston, dans l’Illinois, auteur de l’article Félix Duban et les bâtiments de l’École des beaux-arts (1832-1840) du catalogue de la rétrospective consacrée à cet architecte à Blois en 1996. Voici ce qu’il nous a écrit : « Théoriquement, les sculptures gothiques et Renaissance de cette cour de l’École sont des sculptures originales provenant du Musée des Monuments Français qui occupait les lieux dans les années 1790. Mais je dois dire aussi que les pierres, sur ces images, ressemblent à du calcaire d’Île-de-France, et non à la pierre jaunâtre plus familière aux sites gothiques. Les pièces originales, au fil des ans, ont sûrement été retaillées et réparées, et celles-ci en font peut-être partie. Je suis, néanmoins, très choqué de voir les dégâts montrés par vos images. Cette cour est unique et très joliment aménagée. Duban était un architecte très exigeant et les subtilités spatiales de cet espace sont merveilleuses ».

Peu importe en réalité. Il s’agit de patrimoine et cela ne change rien au constat : pour faire de l’argent, une institution culturelle, patrimoniale et éducative loue ses espaces pour n’importe quel usage, sans réellement prendre les précautions qui s’imposent, et cela aboutit à la destruction partielle d’un monument historique.


4. Fragments de l’architecture détruite par le camion
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

5. Fragments de l’architecture détruite par le camion
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

Certes, comme nous l’a dit Jean de Loisy, le directeur de l’École qui a répondu sans détours à nos questions, les privatisations qui avaient lieu tout au long de l’année ne se déroulent désormais plus que deux mois par an. S’il faut lui reconnaître ce progrès, c’est encore trop. Cette affaire aurait pu arriver à n’importe lequel de ses prédécesseurs mais cela ne change rien.
Nous ne sommes pas forcément opposé aux privatisations de monuments historiques publics ou de musées lorsqu’ils sont organisés dans des salles qui ne nécessitent pas d’être adaptées pour abriter ce type d’événement, et si cela n’est pas dangereux pour le patrimoine. Au Louvre, on peut privatiser les espaces sous la pyramide. On peut, à la limite, organiser un dîner pour des mécènes dans la chapelle de l’École des Beaux-Arts comme cela arrive parfois ou dans la galerie des peintures du Musée Condé de Chantilly, comme cela arrive aussi, du moment que cela se passe hors des périodes ouvertes à la visite et sans mettre en danger les œuvres. En revanche, il est insupportable de vider une galerie entière d’un musée pour la privatiser, comme au Petit Palais à Paris ou, justement, au Palais des Études à l’École des Beaux-Arts qui était conçu à l’origine pour abriter une collection de plâtres et qui n’a pas à accueillir des fêtes comme on a pu le lire dans un tweet, c’est « trop fun »...

Tout cela est absolument lamentable. Il ne faut pas réduire le nombre de privatisations du Palais des Études : il faut les supprimer complètement. Cette destruction - certes involontaire - de monument historique est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Si l’École des Beaux-Arts, à la fois une école supérieure et un musée (il est depuis peu Musée de France) n’a pas les moyens pour entretenir son patrimoine ou pour maintenir son fonctionnement, c’est à l’État, et donc au ministère de la Culture, son autorité de tutelle, de les lui donner.

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.