Un nouveau budget désastreux pour les monuments historiques et les musées

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1. Françoise Nyssen, ministre de la Culture
pendant la présentation du budget
Photo : Didier Rykner
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La présentation du budget du ministère de la Culture est toujours un moment extraordinaire d’auto-congratulation satisfaite et l’édition 2017 n’a pas manqué à cette tradition. Françoise Nyssen (ill. 1) est dans la lignée de ses prédécesseurs, et bien qu’issue de la société civile, elle a vite appris à utiliser la langue de bois. Les chiffres détaillés n’ont d’ailleurs été fournis qu’après la conférence de presse, ce qui a empêché les journalistes de poser les vraies questions. Mais le budget est « préservé », c’est bien là l’essentiel !

Alors certes, Emmanuel Macron a « préservé le budget de la Culture » comme il s’y était engagé, et Françoise Nyssen en est toute fiérote. Accordons au premier que le budget global, effectivement, ne baisse pas et augmenterait même de 0,4% par rapport à l’année dernière (augmenterait, il faut employer le conditionnel, car on sait qu’il ne s’agit ici que d’un projet de loi de finance, et que la réalité, loi de finance et exécution, est toujours différente, et jamais dans le sens d’une augmentation).
C’est donc Françoise Nyssen qui doit être d’abord tenue comptable de la répartition de ce budget entre ses différentes missions, et de l’abandon en rase campagne des musées qu’il traduit, sans d’ailleurs que cela profite aux monuments historiques.

La baisse considérable du budget des musées

Parlons d’abord, donc, des musées dont le budget est séparé en deux parties : « Patrimoine des musées de France » et « Acquisition et enrichissement des collections publiques ». Les crédits de paiement, c’est-à-dire ce qui sera théoriquement dépensé pour les musées en 2018, qui étaient prévus pour être de 358 millions d’euros en 2017, ne seront plus que de 350,6 millions en 2018, soit une baisse de 2,1%. Quant aux autorisations d’engagement, qui prennent en compte uniquement les dépenses décidées en 2018 mais dont les paiements seront répartis sur plusieurs années, la baisse est considérable puisqu’elle atteint 38,9 millions, en passant de 376,2 millions à 337,3 millions, soit une baisse de 10,3 %, sans que les documents ne donnent d’explication précise à cette baisse.


2. D’après un dessin de Jean-Louis Prieur ?
Bras de lumières
Bronze doré
Pour le petit appartement de Louis XVI à Compiègne
Photo : Sotheby’s
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Le budget « acquisitions », déjà sacrifié depuis de nombreuses années et qui avait été légèrement revalorisé l’année dernière (d’une manière très insuffisante), baisse à nouveau de 500 000 € pour 2018 [1]. 500 000 €, c’est beaucoup plus, par exemple, que les 331 500 € (frais inclus) qu’ont atteint ces deux bras de lumières provenant du château de Compiègne (ill. 2), passés en vente chez Sotheby’s France il y a quelques jours, et que le ministère de la Culture, qui n’a pas refusé le certificat d’exportation, n’a pas acheté alors que la pièce pour laquelle ils étaient conçus existe toujours et fait l’objet d’un début de remeublement ! La ministre ne fait que confirmer l’abandon des trésors nationaux qu’avaient déjà mené ses prédécesseurs.

Les monuments historiques vont encore souffrir

Les musées sont sacrifiés, mais les monuments historiques ne le sont pas moins. Non seulement les crédits de paiement baissent entre 2017 et 2018 (- 900 000 € qui équivalent à -0,3%), mais cette baisse intervient dans un contexte déjà très défavorable. Rappelons que selon toutes les associations de protection du patrimoine, le budget minimum nécessaire annuellement est de 400 millions d’euros (un chiffre qu’il faudra certainement revoir à la hausse tant l’abandon actuel augmente encore les besoins). On atteindra péniblement 332,9 millions d’euros de crédit de paiement en 2018 !
Remarquons que ces chiffres sont d’ailleurs terriblement trompeurs. Car le PLF de 2017 prévoyait des crédits de paiement de 336,6 millions d’euros, qui ont donc encore été baissés par la loi de finance initiale 2017 qui ne prévoyait plus que 333,8 millions. Que deviendront donc ces 332,9 millions dans le projet de loi de finance initiale 2018 ? Il baissera probablement encore.

Un budget trompeur par rapport à l’exécution

La situation est encore plus dégradée que ce que présente le ministère chaque année. Car les documents comparent des budgets projetés (PLF) et des budgets votés (LFI). Jamais les budgets finalement consommés. On peut cependant les trouver, en détail, dans le rapport sur la performance publique que le ministère du Budget met en ligne [2]. On peut y comparer les chiffres des lois de finance par rapport à la consommation réelle. Et ces chiffres sont désastreux pour le patrimoine qui fait toujours office de variable d’ajustement. Ainsi, en 2014, les crédits de paiement ont été inférieurs de 16,4 % à loi de finance, tandis que les autorisations d’engagement baissaient de 19,3%. En 2015, ces chiffres étaient respectivement de -6,5% et -5,5%, et en 2016 de -10,6% et -7%. Ainsi le budget réellement dépensé pour les monuments historiques tourne chaque année autour de 300 millions, contre les 400 millions qu’il faudrait. Cela sera, évidemment, exactement la même situation en 2017 et en 2018.
Le ministère de la Culture explique généralement cet écart considérable entre le prévu et le réalisé par le fait que certains chantiers sont bloqués et qu’il est impossible de dépenser tout cet argent. Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes, et c’est bien l’incompétence de la direction des Patrimoines et de certaines DRAC (dont se plaignent en interne de nombreux fonctionnaires empêchés d’agir) qui retient le ministère de dépenser un argent déjà rare. Rien ne changera en 2018, surtout si les mêmes personnes demeurent en charge.

Un ministère indifférent au patrimoine et aux musées

Comment s’étonner de cette situation ? Chacun a pu constater, à travers les déclarations publiques de la ministre, son indifférence complète pour les musées (elle ne prononce jamais ce mot) et plus généralement pour le patrimoine. Il est significatif que Frédérique Gerardin, sa conseillère en charge du patrimoine (qui vient du cabinet d’Anne Hidalgo, ce qui en soi est déjà révélateur), ait pour titre : « Conseillère en charge des questions européennes et internationales, de la francophonie et du patrimoine ». Non seulement le patrimoine vient en dernier, non seulement on ne voit pas bien le rapport entre les questions européennes et internationales, la francophonie, et le patrimoine [3], mais on ne voit nulle part le mot musée apparaître, ce qui est une première. Enfin, la lettre de mission donnée par le Premier ministre Édouard Philippe à Françoise Nyssen, qui détaille six priorités, cite à peine le patrimoine. Le budget ne fait hélas que le confirmer.
Comprennent-ils, d’ailleurs, de quoi ils parlent ? Le dossier de presse remis aux journalistes est un sommet de confusion, volontaire ou non. Prenons un seul exemple : on y lit en effet que « la subvention pour charges de service public du Centre des Monuments Nationaux sera consolidée en 2018, ce qui permettra de conforter la réalisation de son plan pluriannuel de restauration […] ». Cette phrase est simplement grotesque : la subvention pour charges de service public, qui vise à compenser certaines obligations du CMN comme la gratuité des jeunes de moins de 26 ans, n’a strictement rien à voir ni en montant ni en destination avec la « subvention d’investissement » qui, elle, permet au CMN de mener de grandes restaurations ! Or, cette subvention d’investissement n’a cessé de baisser ces dix dernières années, passant de 36 millions d’euros en 2008 à 18,5 millions d’euros prévus en 2017. Comme le signale un rapport du Sénat sur le projet de loi de finances 2017, les réserves du CMN (son fonds de roulement) « sont aujourd’hui pratiquement épuisées, sans que la subvention d’investissement ne soit revue à la hausse, alors même que les besoins du CMN en la matière sont évalués à 30 millions d’euros ». Il s’agissait alors du budget 2017 mais on ne voit pas bien comment, avec un budget tel que celui-ci, le CMN pourrait se voir d’un coup doté de 30 millions d’euros.

D’ailleurs, la liste des monuments en restauration cités dans le dossier de presse soit sont déjà financés et vont être inaugurés cette année (colonne de Juillet, cloître du Mont-Saint-Michel,château de Ferney-Voltaire…), soit n’ont strictement, mais alors strictement rien à voir avec le budget : c’est le cas de l’hôtel de la Marine dont la restauration est financée grâce à un emprunt souscrit par le CMN qui sera remboursé par la location des bureaux qui y seront installés. Peu importe après tout, que le ministère raconte n’importe quoi, l’essentiel est bien qu’on le croit. Et à lire la presse de ce jour, son pari est gagné.

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