Emmanuel Macron, Stéphane Bern et le patrimoine

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Stéphane Bern
Photo : Denis Probst (CC BY-SA 3.0)
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Certains applaudissent, d’autres se gaussent. Mais parmi ces derniers, nous n’en voyons pas beaucoup qui ont un jour manifesté leur intérêt pour le patrimoine, et encore moins qui ont cherché à le défendre. La mission donnée par Emmanuel Macron à Stéphane Bern de réaliser une liste de monuments historiques en péril et des ressources qu’il serait possible d’y affecter sans obérer davantage le budget de l’État mérite une analyse plus fine que ces applaudissements béats ou ces critiques systématiques.

En agissant ainsi, Emmanuel Macron reconnaît sa propre insuffisance dans ce domaine. Car la personne la plus à même de répertorier les monuments en danger et d’imaginer des solutions pour les sauver, ce devrait être, avant tout, le ministre de la Culture, et en second lieu le directeur des Patrimoines. Cela fait longtemps que le premier, quel qu’il soit, a abandonné le combat. Françoise Nyssen dont on espérait beaucoup - elle, au moins, lit des livres - se révèle aussi consternante que ses prédécesseurs. Elle ne parle jamais ou quasiment jamais des musées, elle ne s’intéresse jamais ou quasiment jamais aux monuments historiques. Et, surtout, elle ne fait rien lorsqu’il s’agit de les sauver. Le point d’orgue, ce fut son affirmation, à propos de la Corderie, cette carrière antique découverte à Marseille qui va être détruite par Vinci pour construire un immeuble, qu’il s’agissait « de traces, pas de vestiges ». Jean-Claude Bessac, archéologue et spécialiste des carrières antiques a déclaré au contraire que sa démolition serait « une perte irremplaçable ». On le croit davantage.

Ce constat sur la ministre vaut aussi pour certains des fonctionnaires en charge de mener concrètement la politique du ministère. Nous avons depuis longtemps écrit que Vincent Berjot, le directeur des Patrimoines, n’était pas à sa place. Il n’est pas le seul. Il est incroyable qu’on trouve encore, en France, des architectes en chef des monuments historiques qui détruisent le patrimoine qu’il sont censés restaurer, il est invraisemblable que certains conservateurs régionaux des monuments historiques (il en est d’excellents), ne soient là que pour entériner les destructions du patrimoine, il est anormal que des directeurs régionaux des affaires culturelles fassent de même. Certains de ces fonctionnaires semblent quasiment inamovibles, ce qui est d’ailleurs très étonnant dans une administration où la mobilité reste la règle. Comment protéger le patrimoine quand ceux qui sont chargés de le faire l’abandonnent ?

La politique patrimoniale française est de la responsabilité du Président de la République, et celui-ci aurait pu mettre un terme au naufrage actuel en nommant la bonne personne à la tête du ministère de la Culture et en tenant sa promesse de changer certains directeurs de l’administration.
Mais ce point acté, faut-il s’offusquer de la nomination de Stéphane Bern, et regretter, comme certains, que ce ne soit pas un universitaire ou un conservateur qui ait été nommé à ce poste ? Certes non.
Que l’on aime ou pas les émissions de Stéphane Bern, lui, au moins, ne reste pas inactif pour le patrimoine. Il a restauré et ouvert au public un monument historique. Combien de ses détracteurs l’ont fait ? Il a, à plusieurs reprises, exprimé publiquement son opposition à des projets destructeurs ou soutenu des monuments en péril. Combien de ses critiques peuvent en dire autant ? Et, surtout, sa grande popularité lui permet de transmettre à un large public son enthousiasme pour le patrimoine. Combien de fonctionnaires ou de conservateurs peuvent prétendre la même chose ? Il ne lui est pas demandé d’écrire un ouvrage savant ou de faire une étude fondamentale. Simplement de faire ce qu’un directeur des patrimoines aurait dû faire depuis longtemps.

Alors bien sûr, tout cela relève sans doute de la part d’Emmanuel Macron d’une opération de communication. Évidemment, nous doutons que celui-ci se soit soudainement converti à l’amour des vieilles pierres. Mais ce qui est certain, c’est qu’en nommant Stéphane Bern pour cette mission, il fait preuve aussi d’un certain courage car si tout le monde ou presque se fiche que le ministère de la Culture laisse le patrimoine s’écrouler, il n’en sera peut-être pas de même si le Président de la République ne retient rien de ce que Stéphane Bern proposera. Pour une fois, on va parler de patrimoine pas seulement pendant les journées qui lui sont consacrées. C’est déjà un résultat inespéré.

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