Trois tableaux vendus par une préfecture...

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18/9/23 - Vente des Domaines - La vente, uniquement en ligne, se termine demain à 11 h. Il est donc bien tard pour en parler, mais nous n’en avons eu connaissance qu’hier dimanche, et nous n’avons eu une réponse complète (autant que faire se peut manifestement) des Domaines qu’en fin de journée, alors que nous sommes actuellement en déplacement. Nous ne pouvons publier donc cette brève que très tard, bien trop tard probablement pour empêcher la vente, mais sait-on jamais.


1. Félix Ziem (1821-1911)
Venise. La réception du Doge sur l’embarcadère
Huile sur panneau - 38 x 60 cm
Tableau appartenant à une préfecture vendue par les Domaines le 19 septembre 2023
Photo : Domaines
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Nous avons déjà, à plusieurs reprises, dénoncé certaines ventes de l’État, très récemment encore à propos du mobilier de Grignon. Notre objectif n’est pas ici de mettre en cause les Domaines, qui semblent avoir fait leur travail puisqu’ils ont demandé, comme c’est la règle, l’avis du ministère de la Culture [Correction (19/9/23) : contrairement à ce que nous avions écrit, car nous avions mal compris la réponse des Domaines, pour les tableaux, ce qui est logique, ce n’est pas le Mobilier national qui est contacté mais la direction des patrimoines et de l’architecture.]. Nous ne mettrons pas en cause ce dernier non plus faute d’avoir eu le temps de l’interroger, et sans savoir quelles investigations il a mené à ce sujet. Mais l’affaire semble une fois de plus très contestable, de quelque côté qu’on la prenne.


2. Félix Ziem (1821-1911)
Fête de l’Assomption dans le bassin. Venise
Huile sur panneau - 66,5 x 72 cm
Tableau appartenant à une préfecture vendue par les Domaines le 19 septembre 2023
Photo : Domaines
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Il s’agit en effet de la vente de trois tableaux du XIXe siècle, deux par Félix Ziem, et un par Eugène Isabey. Si le premier peintre ne fait pas partie de nos artistes favoris, il reste estimable et bénéficie même d’un musée qui lui est consacré à Martigues. D’autres, comme le Petit Palais à Paris, conservent plusieurs de ses œuvres. Il s’avère qui plus est que - d’après les photos - ces toiles semblent de grande qualité (ill. 1 et 2).
Le second nous paraît encore plus intéressant. Il s’agit de l’œuvre d’un artiste romantique, essentiellement peintre de marines, dont les tableaux sont recherchées par les musées et les collectionneurs. Celui mis en vente (ill. 3) est une scène vénitienne (comme d’ailleurs l’un des deux Ziem) représentant la galère du doge. La mauvaise photographie que nous pouvons publier laisse deviner un beau tableau, notamment dans son traitement du ciel. Une toile, quoi qu’il en soit, qui pourrait intéresser un musée.


3. Eugène Isabey (1803-1886)
La Galère du Doge de Venise
Huile sur toile - 84 x 125 cm
Tableau appartenant à une préfecture vendue par les Domaines le 19 septembre 2023
Photo : Domaines
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Comment donc l’État peut-il mettre en vente des œuvres d’art lui appartenant ? Les Domaines nous ont répondu que ces trois peintures provenaient d’une préfecture sans nous dire laquelle et sans pouvoir préciser d’où elle les tenait. On ne voit que trois possibilités :

 soit - et on espère que ce n’est pas le cas - il s’agit d’œuvres d’un musée qui les aurait déposées là et oubliées, ce qui arrive… On peut espérer que toutes les recherches ont été faites et que cette hypothèse a été écartée… Mais on a vu pire ;
 soit il s’agit d’œuvres acquises par la préfecture (ou qui lui ont été données, mais par qui ou comment ?) et qui faisaient partie de son domaine privé, auquel cas elles peuvent être vendues,
 soit il s’agit d’œuvres acquises par ou données à la Préfecture, qui faisaient partie de son domaine public ; elles ne peuvent alors être vendues qu’après déclassement du domaine public ; a-t-il eu lieu ?

Éliminons le premier cas, qui serait totalement illégal, et admettons que toutes les recherches ont été faites. Mais les deux autres ne seraient pas beaucoup moins scandaleuses : pourquoi l’État qui possède trois œuvres susceptibles d’intéresser des musées s’en sépare-t-il plutôt que de les proposer à des collections publiques ? Comment le ministère de la Culture peut-il négliger de demander l’affectation de ces trois œuvres à des musées alors qu’au moins la toile d’Isabey intéresserait un musée de province que nous avons interrogé ?

Mais ce n’est pas tout : alors que le ministère de la Culture ne cesse de mettre des bâtons dans les roues des marchands et des musées en exigeant un historique remontant désormais quasiment à la création de l’œuvre (nous reviendrons sur ces délires dans un prochain article), l’État vend des tableaux sans dire d’où ils viennent (même l’appartenance à une préfecture n’est pas signalée) et sans communiquer sur l’historique de l’acquisition par cette même préfecture ! On se moque d’une provenance alors qu’elle est justement problématique.

Tout cela n’est guère glorieux. Nous nous efforcerons désormais de regarder systématiquement et fréquemment les ventes des Domaines. Elles sont un excellent indicateur de la manière dont l’État s’intéresse à son patrimoine.

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