Musée Gadagne : une synthèse...

16 16 commentaires Toutes les versions de cet article : English , français
1. Une salle du Musée Gadagne
(celle avec le plafond peint)
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

En quatre articles, nous avons parcouru l’intégralité du Musée Gadagne (ill. 1). Et le constat est affligeant. Nous avions pu rencontrer, le jour de notre visite, Xavier de la Selle, le conservateur directeur du musée. À nos critiques, celui-ci nous a fait plusieurs réponses, et d’abord que le Musée Gadagne est un « Musée de ville », pas un musée de Beaux-Arts. Musée de ville, un concept selon lui qui serait désormais la règle à l’étranger, et pour lequel il nous renvoie aux travaux de Jean-Louis Postula qui a écrit Le musée de ville, histoire et actualité publié en 2016 par la Documentation française et à un livre récent, que l’on peut consulter en ligne qui selon lui « fait le point sur les musées de ville européenne et leurs transformations de ces dernières années » : European City Museums de Tim Marschal et Joan Roca, que l’on peut lire en ligne ici.

Soyons clair : nous n’avons aucune envie de lire ces deux livres, car nous n’avons pas besoin de théories fumeuses pour savoir ce que doit être un musée. Un musée doit d’abord se baser sur ses collections et les exposer. C’est une des missions essentielles que lui donne la loi musée, qui doit s’appliquer en France, davantage que les théories de Jean-Louis Postula, Tim Marschal et Joan Roca.

Voici ensuite, toujours communiqué par Xavier de la Selle, « un extrait de [leur] projet scientifique et culturel approuvé à l’unanimité par le Conseil municipal de Lyon en mai 2022 et validé par le ministère de la Culture » :

« 1. Réaffirmer le Musée d’Histoire de Lyon comme musée de la ville
La vocation du musée d’histoire de Lyon est réaffirmée comme musée de territoire, dont la mise en récit des collections, le discours scientifique et sa mise en scène muséographique doit permettre à ses visiteurs, habitants et touristes, de comprendre leur ville et de situer eux-mêmes dans l’espace et le temps, en reliant l’histoire urbaine à leur propre parcours personnel. Il s’agit bien, en définitive, de retrouver le projet politique initial : comme le notait Emile Leroudier, en introduction à son Projet d’un plan d’organisation du musée historique de Gadagne (1923), « cet établissement doit être le musée de l’histoire de Lyon. L’ensemble des collections exposées doit moins tendre à présenter au visiteur une série de pièces artistiques ou non mais ayant un intérêt local, qu’à retracer à son esprit, l’histoire de notre cité tant au point de vue des transformations successives de la ville, qu’à celui de la vie publique et privée de ses habitants, en même temps qu’à lui donner une idée exacte de son développement économique et social ».
 »

Inutile de dire que même ce « projet politique initial » n’est pas tenu, puisque de « l’ensemble des collections exposées » il n’y a en réalité presque aucune collection, essentiellement des reproductions. Quant aux pièces « artistiques », nous avons vu qu’il n’y en avait pratiquement aucune, et l’on peut mettre au défi quiconque de « comprendre la ville » à partir de ce qui est exposé.

Xavier de la Selle ajoute : « Le Musée d’Histoire de Lyon est donc d’abord un musée de ville, comparable aux autres musées de ce type en France (Musée Carnavalet-Histoire de Paris, musées d’histoire de Nantes, de Strasbourg et de Marseille) et en Europe (musée de Londres, d’Amsterdam, Barcelone, etc.). Sa thématique est la ville elle-même, c’est-à-dire un objet géographique. La discipline historique reste prédominante, dans la mesure où la mise en récit demeure le principal levier de médiation ».

2. La partie du Musée Gadagne consacrée à Lyon à l’époque romaine
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

La discipline historique est prédominante ? Pourtant, outre les erreurs (trois collines à Lyon, alors qu’il n’y en a que deux [1]), les omissions sont pourtant innombrables. Pourquoi n’y a-t-il rien sur Lyon à l’époque romaine, à l’exception d’un misérable panneau (ill. 2) où l’on apprend notamment que « les qualités du site de Lyon [...] n’échappent pas aux Romains qui décident d’y installer une colonie », une semelle de chaussure d’enfant et un ensemble de clés gallo-romaines ? À quel moment parle-t-on de l’importance de Lyon comme ville religieuse, qui dès le XIe siècle est nommée par le pape « Primat des Gaules », un aspect essentiel de la cité (mais qui ne plait sans doute pas à la municipalité) ? Que voit-on sur l’urbanisme lyonnais et par exemple l’existence des traboules ? Sur l’architecture des monuments lyonnais ? Sur la gastronomie lyonnaise ? Nous pourrions multiplier les exemples : ce musée ne nous apprend en réalité presque rien sur Lyon et son histoire.

Quand bien même les autres musées cités par Xavier de la Selle seraient de la même eau que le Musée Gadagne, cela ne serait pas une justification. Nous ne connaissons pas - mais nous ne manquerons pas de les visiter dès que possible - les musées de Londres, d’Amsterdam et de Barcelone. Nous avons visité il y a très longtemps le château des ducs de Bretagne (où se trouve le musée d’histoire de Nantes) et n’avons gardé aucun souvenir de celui-ci, à l’exception de la restauration épouvantable dont le monument a été victime.
En revanche, nous connaissons le Musée Carnavalet, le Musée d’histoire de Strasbourg et celui de Marseille.


3. France, fin XIIIe-début XIVe siècle
Vierge (?)
Pierre
Marseille, Musée d’Histoire
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page
4. France, vers 1599
Pierre de Libertat
Marbre
Marseille, Musée d’Histoire
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

Malgré toutes les critiques que avons faites lors de sa réouverture (voir cet article), et même si sa muséographie et le nombre d’œuvres exposées sont très décevants, les collections du musée sont tout de même présentées. Il n’a absolument rien à voir avec le Musée Gadagne.
Le Musée de Strasbourg, même s’il est également très critiquable, surtout du point de vue de sa muséographie - ce que nous ne nous étions pas privé de faire (voir l’article) - n’a là encore rien de commun avec le « nouveau » Musée Gadagne…
Le Musée d’histoire de Marseille, quant à lui n’a rien à voir avec celui de Lyon. On y voit en effet de nombreuses œuvres d’art comme les quelques photographies qui illustrent cet article (ill. 3 à 6) le démontrent. Peut-être y-a-t-il des critiques à lui faire, mais nous l’avions visité en 2020 sans songer un seul instant à écrire un article pour dénoncer le scandale qu’il constituerait.


5. France, XVIIe siècle
Deux anges tenant une urne
Marbre
Marseille, Musée des Beaux-Arts
(en dépôt au Musée d’Histoire de Marseille)
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page
6. Eugène Guillaume (1822-1905)
Le Commerce et La Navigation, 1857
Plâtre
Marseille, Musée des Beaux-Arts
(en dépôt au Musée d’Histoire de Marseille)
Photo : Didier Rykner
Voir l´image dans sa page

Répétons ce qui devrait être le b.a.-ba pour un conservateur : un musée doit se baser sur ses collections. Et celles de Gadagne sont paraît-il d’une grande richesse. « Paraît-il » parce qu’elles sont pour une grande part inédite et parce qu’aucune base de données n’est disponible en ligne, et aucun catalogue papier.
Selon nos sources donc, le musée conserve une collection exceptionnelle de sculptures médiévales provenant des abbayes de la région lyonnaise. Seul point positif : Xavier de la Selle nous a assuré que ces œuvres seront présentées lors d’une exposition en 2025 et que celle-ci sera pérennisée, les sculptures revenant ainsi (au sous-sol où elles sont entreposées) dans le parcours permanent.

7. Pierre Marie Mongis
Plat circulaire aux lambrequins, 1739 ou 1759
Faïence
Lyon, Musées Gadagne
Voir l´image dans sa page

Mais où seront exposées les faïences de Lyon (ill. 7), le mobilier lyonnais du XVe au XIXe siècle dont le musée possède un ensemble très important, l’étain ou l’argenterie dont le Répertoire des musées et collections publiques de France de 1982 nous apprend que le musée conserve une collection importante ? Pour ne rien dire de la collection de faïence de Nevers pour lequel le musée est également très riche. Nevers n’est pas Lyon, donc cela n’a pour le directeur aucune raison d’être présenté dans ce musée. C’est absurde. Un musée doit montrer toutes ses collections, qui sont aussi le témoignage de son histoire, un concept qui devrait être parlant pour un musée… d’histoire.

Or, comme nous l’a dit Xavier de la Selle, son objectif est l’inverse d’un musée : les collections permanentes n’ont pas vocation à être présentées dans le parcours et seront montrées uniquement dans des expositions temporaires qui reprendront donc en 2025 !
Que le Conseil municipal et le maire soient ravis d’un tel programme ne nous étonnera pas. Mais que le ministère de la Culture, via la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, ait pu le valider laisse pantois.
Surtout dans une ville qui a déjà vu récemment un musée fermé et mis en caisse, celui de l’Hôtel-Dieu (voir l’article), un scandale qui perdure, qui a failli perdre son Musée des Tissus et des Arts décoratifs (voir les articles), qui n’a pas été sauvé par la ville (Gérard Collomb s’en fichait bien, lui qui avait dit à son propos : « j’ai déjà fermé un musée, je peux bien en fermer deux ») mais par la région et son président Laurent Wauquiez.

Terminons néanmoins sur une note positive : « l’équipe du musée travaille actuellement à un projet de mise en ligne de la base de données des collections à l’horizon 2025 ». La méconnaissance de ses collections, en espérant que cette base soit complète, devrait donc prendre fin. Espérons que cela forcera les responsables politiques à exiger qu’on montre au public les richesses de ce musée, de manière permanente. Car le pire dans cette affaire, c’est sans doute le mépris qu’il témoigne aux Lyonnais et aux autres visiteurs en pensant que des collections d’œuvres d’art sont trop bien pour eux.

Didier Rykner

Notes

[1Addendum 28/12/23 : un de nos lecteurs lyonnais, Patrice Béghain, nous a écrit dans les commentaires qu’il y avait bien trois collines : ce point semble, au moins, discuté car nous avons trouvé d’autres références à deux collines seulement ; il s’agit quoi qu’il en soit d’un détail qui ne change hélas rien à notre constat.

Mots-clés

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.