Quel avenir pour l’Hôtel-Dieu de Lyon ?

L’Hôtel-Dieu de Lyon construit par Soufflot au XVIIIe siècle, mais qui fut fondé au XIIe siècle (ill. 1 et 2), est l’un des monuments les plus beaux et les plus importants de cette ville, et certainement pourtant l’un des plus méconnus. Il fut en effet dès l’origine et encore récemment un hôpital, et l’on ne fréquente ce genre d’établissement que fort peu pour les visiter, si ce n’est à son corps défendant.
Véritable ville dans la ville, il n’a ainsi jamais été considéré comme il le devrait, c’est-à-dire un de ses principaux atouts culturels ou touristiques.


1. Vue aérienne de l’Hôtel-Dieu de Lyon
le long du Rhône
Photo : Google Maps
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2. Vue de l’Hôtel-Dieu de Lyon par Jacques-Germain Soufflot
Façade sur le Rhône
Photo : Frachet/Licence Creative Commons
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3. Jacques-Germain Soufflot (1713-1780)
Cloitre de l’Hôtel-Dieu de Lyon
Au fond : clochers de la chapelle
Photo : Didier Rykner
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C’est pour cette raison que sa désaffectation récente, en 2010, avait occasionné beaucoup d’inquiétude parmi les associations de protection du patrimoine ou les Lyonnais conscients de son importance. Les pires rumeurs circulaient, souvent basées sur des projets réels, qui heureusement n’aboutiront pas. L’avenir de l’Hôtel-Dieu est désormais en grande partie tracé et sa réhabilitation devrait être faite dans les règles de l’art.
Un très beau cloitre (ill. 3), plusieurs cours (ill. 4), un petit dôme qui sera décloisonné pour être rendu à ses espaces d’origine, un grand dôme au volume exceptionnel (ill. 5), reconstruit à l’identique après les destructions par une bombe pendant la seconde guerre mondiale, de nombreux escaliers remarquables dont un, à la stéréotomie si complexe qu’elle laisse les architectes perplexes... Il s’agit incontestablement d’un édifice essentiel dans l’histoire de l’architecture au XVIIIe siècle. Nous avons eu la chance de le visiter de fond en comble en compagnie de Didier Repellin, architecte des monuments historiques, dont nous avons pu apprécier à la fois la grande attention qu’il porte à ces lieux et la qualité du projet proposé au maître d’ouvrage, et finalement validé. La restauration telle qu’elle nous a été présentée devrait être en effet respectueuse de son histoire et de son architecture.
Il n’y a donc, de ce côté là on l’espère, pas beaucoup à craindre. Un architecte qui prend sur ses jours de repos pour faire visiter à qui le veut un monument, comme c’est le cas tous les samedis matin par Didier Repellin est une chose suffisamment rare pour qu’on la souligne.


4. Jacques-Germain Soufflot (1714-1780)
Grand Dôme vu de la cour
du réfectoire des sœurs
Photo : Didier Rykner
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5. Vue intérieure du Grand Dôme de Jacques-Germain Soufflot
Photo : D. R.
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Il ne suffisait pas de réhabiliter et de restaurer ce monument. Encore fallait-il ne pas le privatiser entièrement comme par exemple l’ancien Hôpital Laënnec à Paris. Là encore, le projet tel qu’il a été retenu est très rassurant : toutes les parties historiques importantes de l’Hôtel-Dieu seront ouvertes au public. Si l’opération prévoit notamment d’installer un hôtel de luxe, celui-ci sera situé dans une partie où la création de chambres n’empêchera pas la visite des plus beaux endroits. Ancien hôpital, l’Hôtel-Dieu était par nature destiné, d’une certaine manière, à l’hébergement. La création d’un hôtel est une réutilisation qui, à la condition de laisser un large accès aux visiteurs, ne contredit pas son histoire.
De même, l’ancien réfectoire (ill. 6 et 7) sera transformé en salle de restaurant, une destination là encore logique. En revanche, il est indispensable que les œuvres de Daniel Sarrabat (voir l’article), commandées pour cet emplacement et qui étaient encore in situ récemment, y retournent. [Addendum (1/8/12) : Benoît-Henry Papounaud, administrateur du Monastère royal de Brou, nous précise que, contrairement à ce que nous avions compris, les trois tableaux de Daniel Sarrabat déposés à Bourg-en-Bresse proviennent du bureau de l’hôpital et non du réfectoire ; il faut, quoi qu’il en soit, que tous les tableaux encore naguère conservés à l’Hôtel-Dieu, y soient replacés après les travaux.].


6. Vue ancienne du réfectoire des sœurs
de l’Hôtel-Dieu de Lyon
Photo : D. R.
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7. Hôtel-Dieu de Lyon
Réfectoire des sœurs
Vue actuelle
Photo : D. R.
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8. Hôtel-Dieu de Lyon
A gauche, entrée de l’ancien musée
Au fond, chapelle, aujourd’hui église paroissiale
Photo : Didier Rykner
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Il reste qu’une véritable incertitude règne à propos du Musée de l’Hôtel-Dieu, dit aussi Musée des Hospices Civils, aujourd’hui fermé, qui était naguère abrité dans ces lieux (ill. 8). Avant sa fermeture en raison des travaux , il s’étendait sur environ 1000 m2. Ses collections, qui conservent de nombreuses œuvres d’art, touchaient tant à l’histoire du bâtiment qu’à celle de la médecine. Rappelons que Lyon est historiquement un centre très important pour cette discipline.
La fermeture de l’hôpital devrait être une occasion unique de créer à Lyon un grand musée de la médecine. L’opportunité est double : d’une part, le promoteur Eiffage à qui a été confiée la réhabilitation et l’exploitation de l’Hôtel-Dieu est d’accord pour donner 4000 m2 à ce musée, en restaurant le gros œuvre mais à condition que les aménagements muséographiques soient pris en charge par la tutelle du musée, d’autre part en raison de l’existence à Lyon de quatre collections qui ont vocation à se joindre à celles du Musée des Hospices Civils (trois musées universitaires de santé et une collection d’appareils exceptionnelle de radiographie).
Lyon pourrait ainsi exposer au mieux ces richesses dans un très grand musée de la médecine qui, en renforçant l’intérêt de la visite de l’Hôtel-Dieu, servirait la cause du patrimoine lyonnais tout en constituant une attraction touristique de première importance.

La question fondamentale reste, évidemment, le financement de ce musée. Selon Gérard Collomb, maire de Lyon, le budget total se monterait à environ 19 millions d’euros.
Dans un premier temps, celui-ci affirmait à qui voulait l’entendre, notamment aux promoteurs de ce projet, qu’il ne mettrait pas un sou dans celui-ci et que ceux-ci devraient se débrouiller pour trouver l’argent.
Mais cette position, de notre point de vue, était intenable. Le maire de la deuxième ville de France, qui bénéficie avec l’Hôtel-Dieu d’un patrimoine exceptionnel, laisserait privatiser l’intégralité de celui-ci sans lever le petit doigt ? Nous avons demandé à le rencontrer, et il nous a fort aimablement reçu. Sa position, en réalité, est plus nuancée. Il nous a dit ne pas pouvoir prendre en charge intégralement le projet, ce que personne n’avait songé à lui demander. Il nous a dit être prêt à en financer 20%, ce qui est déjà un début. D’autant qu’un certain nombre de mécènes, notamment chez les industriels pharmaceutiques de la région, sont également prêts à participer par le biais du mécénat. Il est probable que l’on pourrait ainsi réunir au minimum 50% de la somme nécessaire.

Ceci n’est hélas pas suffisant. Nous avons également interrogé la région et le département. L’un et l’autre nous ont confirmé qu’ils ne voulaient pas mettre un euro dans ce musée de l’Hôtel-Dieu. N’hésitons pas à l’écrire : tout cela est scandaleux, pour la même raison que le désintérêt de la ville l’aurait été. Quel monument est plus important pour le Rhône ou la région Rhône-Alpes que celui-ci ?
Une autre source de financement importante pourrait bien sûr venir du ministère de la Culture. En raison du changement de gouvernement, nous ne l’avons pas encore interrogé à ce sujet. Mais il serait intéressant de connaître l’avis de la ministre et nous ne manquerons pas de lui poser prochainement la question. De même, les Hospices Civils qui dépendent du ministère de la santé ont une responsabilité dans cette affaire. Que l’état de leurs finances ne permette pas de financer ce projet, on le comprend parfaitement. Qu’ils semblent s’en désintéresser totalement est en revanche inadmissible. Le temps presse, car l’offre d’Eiffage, qui n’est pas engagé contractuellement (ce qu’il faut d’ailleurs regretter) ne durera pas éternellement. Lyon va-t-elle manquer ce rendez-vous ? La municipalité, qui semble vouloir faire preuve de davantage de compréhension, semble passive dans cette histoire. Elle devrait aller plus loin et reprendre à son compte ce projet, en démarchant elle-même les différents acteurs potentiels.


9. Essai de nettoyage à l’intérieur de la chapelle
de l’Hôtel-Dieu de Lyon
Photo : Didier Rykner
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10. Chaire baroque de la chapelle
de l’Hôtel-Dieu de Lyon
Photo : Didier Rykner
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Signalons enfin que l’avenir d’une autre partie de l’Hôtel-Dieu reste également en suspens : sa chapelle, aujourd’hui église paroissiale, dont la restauration est urgente tant elle est sale (ill. 9) et dégradée, malgré les richesses qu’elle renferme (ill. 10). Là encore, la mairie ne semble pas prête à mettre l’argent nécessaire pour sa réhabilitation. Le projet de Didier Repellin existe mais les fonds restent à trouver, et le montant n’est pas minime : environ 7,6 millions d’euros. Une association, Les Amis de l’Hôtel-Dieu de Lyon, a été créée afin de trouver des mécènes, par l’intermédiaire de la fondation du Patrimoine, habilitée à recevoir les dons des particuliers (voir sur leur site Internet).

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