La crédibilité du rapport sur Roland-Garros mise à mal par des conflits d’intérêts

Le jardin des Serres d’Auteuil avec les grandes serres de Formigé
Photo : Didier Rykner
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Le cabinet Egis, mandaté et payé par la Fédération française de tennis, a donc rendu son rapport sur les avantages et les inconvénients du contre-projet porté par les opposants à l’extension de Roland-Garros sur les Serres d’Auteuil. Ce rapport, s’il estime faisable la solution proposée par les associations, lui attribue cependant tellement de défauts que sa conclusion est claire : le projet de la FFT est le meilleur.
Nous publierons dans les prochains jours un article détaillé démontrant de quelle manière cette étude est biaisée.

Mais ces conclusions sont en réalité nulles et non avenues : il existe en effet un conflit d’intérêt entre Egis et Marc Mimram, l’architecte mandaté par la Fédération française de tennis pour assurer la maîtrise d’œuvre du court de 5000 places qui sera créé sur le jardin des Serres d’Auteuil, et qui cristallise évidemment les oppositions au projet.

Qu’on en juge plutôt : « la maîtrise d’œuvre [de la future gare de Montpellier] est composée des architectes Marc Mimram et Emmanuel Nebout et d’EGIS », comme on peut le lire sur ce site, une information d’ailleurs corroborée partout dans la presse et sur le site d’Egis. Ce concours a été gagné par Egis et Marc Mimram très récemment, le 24 juillet 2014 ce que rapporte Batiactu. Quelques mois plus tard, Egis devait juger un projet dont Marc Mimram est le maître d’œuvre…

Ces liens entre l’architecte et l’entreprise ne sont pas nouveaux : une simple recherche internet permet de constater, par exemple, qu’au 1er janvier 2013, Marc Mimram est membre permanent du Comité d’Orientation Développement Durable Egis (voir ici). « Mis en place en 2010, présidé par la Direction générale d’Egis, ce Comité réunit quelques référents internes du groupe Egis et une vingtaine de personnalités externes d’horizons diversifiés […]. Cette instance de dialogue a pour vocation de nourrir et d’enrichir la stratégie développement durable d’Egis ». Tout cela crée des liens, forcément.

Mais ce n’est pas tout : Marc Mimram est l’architecte, pour le compte d’Icade, d’un immeuble-pont franchissant les voies de la gare d’Austerlitz (15 000 m2 de bureaux, 1000 m2 de commerces), dont la livraison aura lieu en 2018, et d’un immeuble avenue Jean Jaurès à Lyon (12 418 m2), livré en mars 2014. Mais qu’est-ce qu’Icade ? C’est une société immobilière, filiale de la Caisse des Dépôts comme Egis, et qui travaille en étroite collaboration avec elle. Icade est le promoteur de la gare de Montpellier dont Egis et Mimram sont maîtres d’œuvres. Et, quelle coïncidence !, « Icade intervient sur l’extension du Nouveau Stade de Roland Garros » comme nous l’apprend le site de la Caisse des Dépôts. Elle intervient « en qualité de maître d’ouvrage délégué pour le compte de la FFT et a, entre autres, géré le concours international d’architecture. Le 10 décembre 2008, un premier jury a autorisé quatre équipes à concourir. Le 13 mai 2009, après délibération du jury, la FFT a déclaré lauréat du concours le projet de Marc Mimram. » On est, décidément, « entre-soi » pour reprendre l’expression d’Anne Hidalgo (voir ici) !

Le conflit d’intérêt entre Egis et Marc Mimram directement intéressé au projet de la FFT est patent, comme celui entre Egis et Icade, ces deux sociétés étant toutes deux filiales de la Caisse des dépots, et Icade étant également employée par la FFT sur Roland-Garros. Cela suffit à ruiner la crédibilité du rapport commandé par cette fédération.
Interrogé par nos soins, Egis a répondu avoir été désigné lauréat pour l’étude selon une procédure normale et qu’il n’y a donc aucun problème [1]. Ils ajoutent avoir « concouru sans succès sur plusieurs opérations lancées par la FFT dans le cadre de ce projet ». Et alors ? C’est cette seule opération, exigeant une indépendance totale par rapport aux parties concernées, qui est en cause. Était-il si difficile de trouver un cabinet, à l’étranger si nécessaire, n’ayant jamais travaillé avec Marc Mimram et n’ayant aucun lien avec Icade ?
La FFT, que nous avons sollicité également, a répondu avec peu ou prou les mêmes arguments [2].

Yves Contassot, conseiller de Paris Europe-Écologie Les Verts, que nous avons contacté, nous a indiqué qu’il allait de soi que la société chargée de mener l’étude devait être indépendante des parties en présence. Il nous a d’ailleurs précisé que touts ceux ayant travaillé sur ce rapport avaient signé une lettre indiquant qu’elles n’avaient aucun conflit d’intérêt avec la FFT. Une personne travaillant pour le groupe Egis, qui travaille avec Marc Mimram, qui travaille avec Icade, cette dernière société travaillant avec la FFT et Egis, qui travaille elle-même pour la FFT… Pas de conflit d’intérêts ? « Sincèrement, on n’est pas surpris [des conclusions du rapport] », a déclaré Gilbert Ysern, directeur général de la FFT et du tournoi parisien rapporte une dépêche AFP. Sincèrement, on n’est pas surpris de l’absence de surprise de Gilbert Ysern.

Didier Rykner

P.-S.

Un lecteur de La Tribune de l’Art nous signale une autre association Mimram/Egis pour la construction d’une passerelle à Perpignan, livrée fin 2014. On ne sait probablement pas encore tout !

Notes

[1Voici le texte exact de leur réponse : « La désignation d’Egis pour la prise en charge de cette mission a été faite suite à une mise en compétition et a fait l’objet d’une procédure normale de mise en concurrence. La désignation s’est faite par une commission ad hoc. A l’instar de ses concurrents, Egis, comme acteur majeur de l’ingénierie, participe à des centaines d’opérations, avec de nombreux architectes, parmi lesquels Marc Mimram. Cette situation est classique dans nos métiers et garantit notre indépendance.
Pour votre complète information, nous avons concouru sans succès sur plusieurs opérations lancées par la FFT dans le cadre de ce projet.
 »

[2Voici le texte intégral de la réponse de la FFT : « Le choix du cabinet Egis a été effectué par la FFT après un appel à candidatures sur la base d’un cahier des charges établi en concertation avec les présidents de groupe du Conseil de Paris. Marc Mimram n’a, à aucun moment, participé à ce choix.
Le cabinet Egis, l’un des quatre grands cabinets de conseil en ingénierie français, présent de le monde entier avec plus de 12000 collaborateurs, est sollicité en permanence sur des projets architecturaux d’ampleur. Il est donc parfaitement normal que les cabinets d’architectes de la taille de celui de Marc Mimram qui dessine des édifices publics comme le Palais de Justice de Paris, la gare TGV de Montpellier, l’école normale de Cachan ou le Pont Jin Liu Lu à Singapour travaille avec Egis à un moment ou à un autre.
Enfin, tous les grands architectes de renom font partie de comités de réflexion, en l’occurrence de façon bénévole, comme d’autres personnalités qualifiées issues des administrations ou de la vie civile. Et il est rassurant de savoir que le cabinet Egis se préoccupe de solliciter des experts sur des questions d’environnement d’une part, et que l’un de ses maitres d’ouvrage, Marc Mimram, soit identifié comme un sachant sur le développement durable en matière d’architecture d’autre part
. »
Nous avons, pour écrire cet article, contacté Egis, la FFT et Marc Mimram. Ce dernier ne nous a pas répondu. En revanche, nous n’avons pas contacté Icade, n’ayant découvert leurs liens avec la FFT qu’en fin de journée de vendredi. Nous n’avons donc pas non plus demandé à Egis ni à la FFT leur position sur cet autre conflit d’intérêt. Ils peuvent, bien sûr, nous envoyer un droit de réponse par mail que nous publierons immédiatement.

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