Une demeure irlandaise vend ses peintures

1. Russborough House, 1741-1755
Irlande, comté de Wicklow
Photo : Russborough House
Voir l´image dans sa page

Vaut-il mieux un château rénové mais vide ou bien un château délabré mais rempli de chefs-d’œuvre ? Vide et rénové, bien sûr. C’est du moins ce qu’affirme la Fondation Alfred Beit chargée de gérer Russborough House, en Irlande, dans le comté de Wicklow. L’édifice nécessite des travaux de restauration, alors comment les financer ? C’est bien simple, il suffit de vendre une demi-douzaine de toiles de maîtres, rien de bien méchant : deux Rubens - seulement des esquisses -, deux Guardi - des petits formats -, et quelques autres petites choses d’Adriaen Van Ostade, David Teniers le jeune, Boucher ou encore Grimshaw. De toute façon ces travaux sont indispensables et la plupart des œuvres n’étaient pas visibles du public, elles n’étaient même pas conservées dans les réserves du musée pour des questions de sécurité. Alors... Autant s’en débarrasser et gagner quelques sous.

Cette vaste demeure du XVIIIe siècle, bel exemple d’architecture palladienne, fut édifiée entre 1741 et 1755 par Richard Cassels à la demande de Joseph Leeson, comte de Milltown (ill. 1). Elle fut achetée en 1952 par un riche homme d’affaires anglais, Sir Alfred Beit (1903-1994) qui s’y installa avec son épouse et fit venir sa collection (en partie héritée de son oncle Alfred et de son père Otto Beit). La maison subit plusieurs cambriolages dans les années 1970 et 1980, mais les œuvres subtilisées furent heureusement retrouvées, plus ou moins rapidement. Les voleurs finalement, se sont montrés moins efficaces que les gérants du lieu aujourd’hui. C’est en 1976 qu’Alfred Beit créa la Fondation qui porte son nom, afin de préserver Russborough et sa collection. Elle exerce aujourd’hui son rôle d’une drôle de façon... Enfin, en 1978, la demeure fut ouverte au public.
En 1987, Sir Beit fit en outre un don majeur à la National Gallery d’Irlande : dix-sept peintures parmi lesquelles un Vermeer, un Velázquez, des toiles de Gabriel Metsu, Jacob Van Ruisdael, Goya, Gainsborough… Afin de le remercier, le gouvernement lui accorda en 1993 la nationalité irlandaise.


2. Peter Paul Rubens (1577-1640)
Tête d’homme barbu
Huile sur panneau - 50,9 x 41,2 cm
Russborough House
Photo : Christie’s
Voir l´image dans sa page
3. Peter Paul Rubens (1577-1640)
Venus et Jupiter
Huile sur panneau - 50,8 x 36,5 cm
Russborough House
Photo : Christie’s
Voir l´image dans sa page

On pourrait presque regretter qu’il n’ait pas tout donné à la National Gallery, les œuvres auraient davantage été préservées. Six peintures de Russborough House seront vendues chez Christie’s à Londres, le 9 juillet prochain. Parmi les deux études à l’huile sur panneau de Rubens (ill. 2 et 3), l’une peinte en 1620 représente un homme barbu, en buste, de trois-quarts, dont la vivacité et la spontanéité sont particulièrement séduisantes. Elle est estimée entre 2 et 3 millions de livres. L’autre est une esquisse pour Vénus et Jupiter qui a un temps appartenu à Joshua Reynolds et qui est estimée de 1,2 à 1,8 millions de livres.


4. David Teniers le jeune (1610-1690)
Kermesse
Huile sur cuivre - 56,9 x 77,5 cm
Russborough House
Photo : Christie’s
Voir l´image dans sa page
5. Adriaen van Ostade (1610-1685)
L’Adoration des bergers, 1667
Huile sur toile
Russborough House
Photo : Christie’s
Voir l´image dans sa page

David Teniers le jeune est l’auteur d’une Kermesse truculente (ill. 4), peinte sur cuivre dans les années 1640 (estimée 1,2 à 1,8 millions), passée dans des collections prestigieuses notamment celles de Lucien Bonaparte et du Comte de Pourtalès… Adriaen van Ostade, connu lui aussi pour ses scènes de genres, a peint quelques sujets religieux, en témoigne une rare Adoration des bergers de 1667 (estimée 600 à 800 000 livres) qui a appartenu à l’impératrice Joséphine (ill. 5). Le XVIIIe est incarné par Guardi et deux petites vues de Venise (ill. 6 et 7) qui montrent l’une la Basilique Saint-Marc, l’autre la piazetta avec le Palais des Doges et la Bibliothèque Marciana (estimées 3 à 500 000 livres).
Enfin, trois oeuvres seront intégrées dans des ventes différentes : de François Boucher, L’Aurore et un amour tenant une torche (30 000 à 50 000 livres) sera mise aux enchères le 7 juillet, et de John Atkinson Grimshaw, deux vues de Yew Court, Scalby, Scarborough (chacune estimée 50 à 70 000 livres) seront proposées le 16 juin prochain.


6. Francesco Guardi (1712-1793)
La Place Saint Marc vers la basilique
Huile sur toile
Russborough House
Voir l´image dans sa page
7. Francesco Guardi (1712-1793)
La piazzetta avec le palais des Doges et la bibliothèque
Huile sur toile
Russborough House
Voir l´image dans sa page

On estime à 11 millions la valeur de l’ensemble. La somme suffira-t-elle à rendre à la demeure son lustre d’antan, à financer les réparations du toit, de la maçonnerie, du système électrique, le chauffage, la rénovation du vaste parc, la restauration des intérieurs également, décorés de stucs et de boiseries, la restauration du mobilier et des œuvres d’art, du moins celles qui restent ? Parmi les objectifs annoncés, il est aussi prévu d’améliorer l’accueil des visiteurs... Le confort de la visite est donc plus important que son objet.
C’est un gouffre sans fin ; l’entretien de l’édifice exigera encore et encore que l’on vende des œuvres jusqu’à ce qu’il soit totalement vide. Car ce n’est malheureusement pas la première vente organisée par la Fondation : une vingtaine de pièces issues de la collection de porcelaines chinoises d’Aflred Beit a rapporté 1,2 millions d’euros chez Sotheby’s le 6 novembre 2013. Avant cela, le 7 décembre 2006, c’est un ensemble de bronzes italiens des XVe et XVIe siècles qui avait permis de récolter deux petits millions chez Christie’s. Quant au gouvernement irlandais, il regarde cela en spectateur...

Messieurs les collectionneurs, montrez-vous généreux et philanthropes, faites bénéficier vos concitoyens des œuvres que vous avez réunies pendant des années. Ils les contempleront au moins quelques années avant qu’on en tire un profit plus lucratif.

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.