Esplanade des Invalides et Champ-de-Mars : étude de cas de désinformation

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Saccager la capitale n’est pas la seule activité de la mairie de Paris. Elle a également une passion pour la négation des faits, pourtant vérifiables par tout un chacun. Curieusement néanmoins, les spécialistes du « fact-checking [1] » dans les journaux d’actualité ne se penchent que rarement sur ces mensonges presque quotidiens.

Twitter est un de leurs terrains de jeu favori. Remis en question quotidiennement par les membres du collectif informel ayant adopté le hashtag #saccageparis, ils sont ainsi à l’affût de toute information potentiellement erronée qui pourrait être diffusée par les réseaux sociaux, et qu’ils s’empressent de dénoncer aussitôt comme s’ils démontraient que leurs opposants racontaient n’importe quoi.
Mais si les informations fausses (qu’ils qualifient aussitôt immédiatement de « fake news ») concernant les actions de la mairie de Paris peuvent exister, elles sont excessivement rares. Et elles viennent souvent de comptes Twitter qui ne sont en aucun cas reliés au mouvement Saccage Paris dont tout le monde ou presque peut se réclamer sans en avoir l’éthique.



C’est ainsi que la dépose, incontestable, de réverbères sur l’esplanade des Invalides a été dénoncée par un tweet (voir ci-dessus) qui prétendait qu’Anne Hidalgo les faisait démolir dans le cadre des travaux pour les Jeux Olympiques. Ce tweet a été très largement liké, retweeté et cité depuis sa publication il y a trois jours, et la mairie de Paris a pris prétexte de celui-ci pour dénoncer, notamment dans un article du Parisien, les « mystifications de plus en plus nombreuses » dont se rendraient coupables ceux qui dénoncent les exactions de la mairie, laissant ainsi croire qu’elles n’existent pas.

Si le tweet en question est faux - nous reviendrons sur ce point plus loin - de qui émanait-il ? D’un membre régulier de #saccageparis ? Pas du tout. D’un compte nommé « Réalité actuelle », dont nous avons entendu parler à cette occasion pour la première fois. Celui-ci n’a en tout et pour tout publié que deux tweets ornés du #saccageparis. Et il n’a jamais à notre connaissance été retweeté régulièrement par les membres actifs de ce collectif. Ceux-ci n’ont d’ailleurs donné aucune visibilité particulière à ce message qui est cependant devenu très rapidement viral comme c’est parfois le cas sur les réseaux sociaux.
Le message initial était-il délibérément trompeur ? C’est possible, mais ce n’est même pas certain. Compte-tenu du passif de cette municipalité, tous les travaux menés dans la capitale sont forcément suspects, d’autant plus quand ils s’attaquent au mobilier urbain déjà bien malmené, et quand la mairie n’a pas une seconde communiqué à ce sujet.

Nous avons donc regardé de notre côté pour voir ce qu’il en était, en interrogeant la mairie du VIIe arrondissement. Celle-ci nous a répondu assez rapidement en nous précisant que si les réverbères avaient bien été enlevés par la mairie de Paris pour organiser l’épreuve de tir à l’arc organisée les 19 et 20 août, ce qui est en soi un scandale, authentique celui-ci, ils devaient être remontés rapidement. Ce qui a d’ailleurs été le cas, sauf pour certains dont on s’est aperçu - ce qui est un autre scandale lié au non entretien de ce mobilier - qu’ils étaient en mauvais état, notamment à cause de la rouille, et devaient être réparés ou changés (à partir de réédition d’après des moules anciens). Mais cela prend du temps, et tout ne sera pas remis en place avant la fin de l’année.

Il n’était donc pas question ici de supprimer ces réverbères, ce qui n’empêche pas que l’opération en elle-même est invraisemblable : une fois de plus, c’est Paris qui doit s’adapter aux JO (cette compétition servait, comme les épreuves de natation avortées dans la Seine, de répétition pour les Jeux), aux dépens de son patrimoine. Et il n’a jamais été question de faire d’une pierre deux coups, de profiter de cette compétition pour restaurer les réverbères : cela a été demandé par la mairie du VIIe et n’était pas du tout prévu, puisqu’il faut désormais, pour certains, subir des délais de livraison de plusieurs semaines, voire plusieurs mois.



Aussitôt que nous avons pu avoir confirmation de cela, le compte Twitter de La Tribune de l’Art - nous nous étions bien gardés d’intervenir jusque-là - a publié l’information juste (voir ci-dessus) plusieurs heures avant l’article du Parisien, et le compte Twitter personnel de l’auteur de ces lignes - qui se flatte d’appartenir à la « mouvance » #saccageparis - a publié à peu près en même temps que ce dernier article (et sans l’avoir lu) un fil avertissant des dangers à tweeter des informations non vérifiées.
Bref, si certains sympathisants de #saccageparis se sont peut-être fait abuser, on est bien loin d’une « fake news » qui aurait été créée et diffusée par ce mouvement.



Un autre tweet démontre, bien au contraire, que ces infox, comme il est préférable de le dire en français, sont une spécialité de la plupart des élus parisiens de la majorité.
Cela concerne cette fois le Champ-de-Mars, massacré depuis de nombreuses années par la municipalité. Dominique Dupré-Henry, cofondatrice du Groupe National de Surveillance des Arbres (GNSA), a en effet tweeté sur la disparition des pelouses au Champ-de-Mars (voir ci-dessus), photos prises le 27 août à l’appui. Tweet rapidement repris (voir ci-dessous) par Lamia El Aaraje, adjointe « accessibilité universelle/handicap » de la mairie de Paris et première secrétaire du parti socialiste à Paris, qui publie des photos de la conférence de presse de la mairie sur les Jeux paralympiques qui avaient lieu le 28 août et où l’on voit des pelouses qui semblent en bon état, expliquant ironiquement que « les pelouses sont revenues en moins de 24 h » et ajoutant que soit la Ville avait fait repousser les pelouses en une nuit, soit le tweet de Dominique Dupré-Henry était « une énorme fake news ».



Plus c’est gros, et plus cela passe semble donc se dire cette élue inféodée à Anne Hidalgo, dont le message a été retweeté et/ou liké par plein d’autres élus du même acabit (David Assouline, Paul Simondon, Rémi Féraud, Patrick Bloche, etc.), par de multiples courtisans et affiliés à la mairie de Paris et, primus inter pares, par Anne Hidalgo elle-même (voir ci-dessous). Les mêmes qui crient régulièrement aux « fake news » de #SaccageParis, sans honte aucune, alors qu’ils sont régulièrement, presque quotidiennement, les auteurs identifiables d’infox toutes plus grosses les unes que les autres.



Car nous nous sommes rendus, ainsi que beaucoup d’autres, sur place pour vérifier qu’évidemment, tout ce qu’avait écrit Dominique Dupré-Henry était exact, et que le gros mensonge venait bien de l’adjointe Lamia El Aaraje, « première secrétaire du parti socialiste à Paris » et de tous ces élus qui l’ont soutenue. Non, l’herbe n’a pas repoussé en une nuit, et non, le tweet n’était pas une « énorme fake news ». Tout simplement, et elle le savait évidemment parfaitement, ce que montraient les images de l’élue n’était pas du tout au même endroit que le tweet d’origine. Celui-ci représentait les pelouses près de la tour Eiffel, auquel elle opposait celles près du Grand Palais éphémère.

Premier mensonge, mais cela ne s’arrête pas là. Car en allant voir de près les pelouses du tweet de Lamia El Aaraje qui de loin semblaient bien vertes, on s’aperçoit que même celles-ci sont en réalité dans un état lamentable. Voici en effet les photos que nous avons pu prendre de la première pelouse (ill. 1 à 4), celle qui jouxte le Grand Palais éphémère. Elle est largement pelée, et en de nombreux endroits il n’y a plus d’herbe. Vue de près, elle est à peine digne d’un champ boueux à la campagne.


1. Première pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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2. Première pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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3. Première pelouse en partant du Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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4. Première pelouse en partant du Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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Continuons donc ainsi notre promenade dans le Champ-de-Mars [2], jusqu’à la tour Eiffel pour voir quel est l’état d’un des plus beaux jardins de Paris.
La deuxième pelouse est la seule à peu près en état correct (ill. 5 à 8). À peu près, mais même pas complètement comme on peut le voir sur nos photos.


5. Deuxième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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6. Deuxième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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7. Deuxième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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8. Deuxième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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La troisième pelouse est à peu près dans l’état de la première, c’est dire (ill. 9 à 12).


9. Troisième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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10. Troisième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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11. Troisième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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12. Troisième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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Même chose pour la quatrième (ill. 13 à 16).


13. Quatrième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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14. Quatrième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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15. Quatrième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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16. Quatrième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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Et la cinquième (ill. 17 à 20) se rapproche dangereusement de l’état de la première.


17. Cinquième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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18. Cinquième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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19. Cinquième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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20. Cinquième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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On peut ensuite voir la fontaine centrale (ill. 21), vide, évidemment, avec ses grilles en grande partie disparues. Lors de notre enquête sur l’état des fontaines parisiennes, en 2017 (il y a donc six ans !), les grilles manquaient déjà, mais il y avait des fleurs, et de l’eau (ill. 22). C’est terminé, et depuis longtemps déjà.


21. Fontaine du Champ-de-Mars sans eau,
sans fleur, et presque sans grille
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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22. Fontaine du Champ-de-Mars
(état en juillet 2017)
Photo : Didier Rykner
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La sixième pelouse est en grande partie râpée, et entourée de grilles provisoires pour les protéger… C’est absolument ravissant (ill. 23 à 26).


23. Sixième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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24. Sixième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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25. Sixième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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26. Sixième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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Quant aux septième et huitième pelouses, on ne peut évidemment plus les appeler ainsi, puisqu’elles n’existent plus. Ce sont deux terrains vagues boueux où des touristes peu regardants font des selfies devant la tour Eiffel. Deux photos suffiront donc pour chacune d’entre elles (ill. 27 à 30). La honte absolue. Une honte niée par Lamia El Agraje qui traite ceux qui la dénoncent de menteurs. Quel nom peut-on donner à de tels élus ?


27. Septième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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28. Septième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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29. Huitième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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30. Huitième pelouse en partant du
Grand Palais éphémère
(état le 29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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31. Les pelouses centrales, près de la tour Eiffel, état le 29 avril 2023
Photo : Didier Rykner
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Sur Twitter, la mairie du VIIe arrondissement a indiqué que le budget participatif serait notamment consacré à la restauration des pelouses. Mais à quoi sert de les replanter - ce qui est d’ailleurs fait plus ou moins chaque année, si c’est pour constater ensuite que les lieux sont gérés de la même manière, avec l’organisation fréquentes d’événements, sans interdire les pelouses aux touristes, sans faire surveiller le jardin ? Cela sera totalement coûteux et inutile. Voilà en effet l’état des pelouses près de la tour Eiffel le 29 avril dernier (ill. 31), il y a donc quatre mois ! Interdites d’accès par les horribles clôtures du modèle que l’on voit sur l’ill. 23, il a suffi d’un été pour les transformer en un terrain boueux. C’est chaque année la même chose (ce qui permet d’ailleurs à la mairie de Paris de prétendre qu’elle répare ce qu’elle abîme) et cela ne sert à rien.


32. Côté est du Champ-de-Mars, non loin de la tour Eiffel : pelouse disparue, poubelle et vendeur à la sauvette
(29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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33. Côté est du Champ-de-Mars,
non loin de la tour Eiffel
Il y avait là une pelouse, naguère
(29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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On complètera ce constat désolant de l’état du Champ-de-Mars par quelques photos de poubelles en plastique d’un modèle particulièrement peu adapté aux lieux, comme il en traine un peu partout dans ce jardin (ill. 32), d’autres pelouses qui se trouvent sur les côtés et qui n’ont, là encore, de pelouses que le nom (ill. 33 et 34) : il faut parfois deviner que, naguère, de l’herbe poussait ici et même celles qui sont encore entourées de clôtures caractéristiques des jardins parisiens ne sont plus entretenues et sont en grande partie pelées.


34. Côté est du Champ-de-Mars,
non loin de la tour Eiffel
Il y avait là une pelouse, naguère
(29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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35. Côté est du Champ-de-Mars,
non loin de la tour EiffeI
Pelouse théoriquement non piétinée mais pas davantage entretenue ou surveillée
(29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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Rappelons que les années précédentes, les élus parisiens et les défenseurs de cette mairie (il en reste quelques-uns) expliquaient cet état par la sécheresse et la canicule, ce qui était déjà faux et ne tient évidemment plus une seconde cette année où il n’y a eu à Paris ni sécheresse, ni canicule.


36. Vue sur la tour Eiffel avec mur de protection et poubelles
(29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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37. Vendeurs à la sauvette
près de la tour Eiffel
En prime au premier plan : bloc de béton provenant d’un chantier et jamais enlevé
(29 août 2023)
Photo : Didier Rykner
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Terminons cette triste promenade célébrée par Lamia El Agraje et Anne Hidalgo par quelques autres vues des alentours de la tour Eiffel, avec encore des poubelles (ill. 35), des vendeurs à la sauvette (ill. 36), sans compter les pickpockets prétextant la signature de fausses pétitions (nous les avons vus sans les prendre en photos), les joueurs de bonneteau (ils semblaient absents temporairement sans doute en raison de la présence de quatre agents de la police nationale), ou les tuk-tuks qui cherchent les touristes pour mieux les arnaquer. Une journée ordinaire au Champ-de-Mars. Paris est magique ! comme dirait Hidalgo.

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