À Antananarivo, la situation patrimoniale empire

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Nous avions publié il y a quelques mois des articles sur le patrimoine de Madagascar, fortement mis à mal par l’État Malgache et son président de la République Andry Rajoelina. Malheureusement, les choses ne vont pas en s’arrangeant, et le massacre continue. Voici en effet quelques photos des monuments dont nous avions parlé, qui montrent que la situation s’est encore dégradée.

1. Le président Rajoelina dans le Palais de Besakana, le 6 novembre 2020
Photo : Présidence de la République de Madagascar
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Nous commencerons notre tour par la Ville Haute d’Antananarivo, dont l’UNESCO rappelle qu’elle est : « un site urbain d’une qualité exceptionnelle qui n’a pas d’équivalent en Afrique subsaharienne. Le mélange d’éléments architecturaux typiquement malgaches et d’éléments issus de la présence coloniale a façonné une architecture unique de grande qualité. »
Fleuron de la Haute Ville, le Rova d’Antananarivo abritait dans son enceinte plusieurs palais d’une très grande valeur historique, culturelle et architecturale. Il a été ravagé par un incendie en 1995. Certains palais ont totalement disparu, tandis que le bâtiment principal (le Palais de la Reine) a perdu tous ses intérieurs. Lors de son élection, le président Rajoelina a suscité un grand espoir en annonçant la restauration et la réouverture du site au grand public. 
Malheureusement à l’exception du petit palais en bois appelé Besakana (ill. 1), le plus ancien du site, qui semble avoir été plutôt bien reconstruit, le reste est pour le moment tout simplement catastrophique.



2. L’intérieur du Palais de la Reine avant l’incendie de 1995
Photo ancienne
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3. L’intérieur du Palais de la Reine après la récente « restauration »
Photo : Présidence de la République de Madagascar
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La « restauration » menée à l’intérieur du Palais de la Reine n’a plus grand-chose à voir avec l’état avant l’incendie (ill. 2 et 3). Ce n’est pas le plus grave : après tout, même refait à l’identique, il s’agirait d’une reconstruction davantage que d’une restauration, et au moins celle-ci ne se voit pas à l’extérieur. En revanche, le « colisée » construit à côté du monument est terminé (ill. 4), et d’une vulgarité, d’un anachronisme et d’une absurdité tels que même la présidence de Madagascar paraît en avoir honte. Devant le scandale et le tollé qu’il a occasionné, elle cherche désormais à cacher l’étendue des dégâts : la photo qu’elle a diffusée (ill. 5) prend en effet bien soin de masquer, grâce à l’angle de vue, ce bâtiment de béton. Mais nous pouvons ici montrer la réalité de celui-ci. L’association des Amis du Patrimoine de Madagascar (APM) en dit qu’ : « Il apparaît de façon évidente que, outre son incongruité, cette structure [le Colisée] n’a rien à voir avec l’architecture initiale du site, ni avec l’histoire de Madagascar, encore moins avec sa culture ». L’évidence se voit sur cette photo sans qu’il y ait vraiment besoin d’en rajouter… La visite du Rova est désormais interdite, ce qui démontre s’il le fallait que le président de Madagascar n’assume pas sa construction… Et pendant ce temps, les abords du Rova sont totalement négligés et ne sont pas entretenus (ill. 6). 


4. Photo diffusée par la Présidence de Madagascar. L’angle est soigneusement choisi pour ne pas montrer le colisée en béton.
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5. La réalité de la situation, en juillet 2021
Photo : La Tribune de l’Art
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6. Les abords du palais, à l’abandon
Photo : La Tribune de l’Art
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Deux autres palais du Rova, qui avaient également brûlé en 1995, doivent désormais être reconstruits. On ne sait pas vraiment comment, car rien n’a été communiqué. Les informations dont nous disposons nous font craindre le pire, notamment l’utilisation de matériaux non conformes à la tradition (béton et plexiglass).

Mais, toujours selon nos informations, les abords immédiats du Palais de la Reine sont à nouveau menacés par un autre projet : la construction d’une télécabine, qui passerait entre le Palais de la Reine, et celui du Premier Ministre, surplombant par la même occasion Antsahatsoroha (ill. 7), un des quartiers les mieux conservés et les plus patrimoniaux de la ville, qui abrite notamment les célèbres maisons jumelles en bois, parmi les plus anciennes d’Antananarivo. Cette télécabine s’installera donc au cœur de la zone « protégée » de la Haute Ville - une autre station est prévue sur la place d’Andohalo, à proximité immédiate de la cathédrale (ill. 8) -, quartier que Madagascar souhaiterait faire inscrire au patrimoine mondial de l’UNESCO, une perspective qui ne semble pas près de se réaliser.


7. Le quartier protégé d’Antsahatsoroha
Photo : La Tribune de l’Art
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8. Cathédrale d’Andohalo, construite en de 1873 à 1890 par Alphonse Taïx. La station de télécabine est prévue juste au-dessus, sur la place historique d’Andohalo
Photo : La Tribune de l’Art
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L’une des stations sera construite juste devant le palais de justice d’Ambatondrafandrana, datant de la royauté malgache. Elle enjambera carrément la rue Ramboatiana, qui relie le Rova et le Palais du Premier Ministre. Non seulement le site sera défiguré à jamais, mais il faut ajouter que les sols y sont notoirement instables, avec des éboulements et des glissements de terrain qui font régulièrement des victimes. Nous avons pu obtenir ces informations de source sûre, mais il est scandaleux que les sites d’implantation des stations ne soient pas publics. Au contraire, l’emplacement exact des stations est maintenu soigneusement secret, comme l’était le projet du colisée, ce qui laisse une nouvelle fois augurer du pire et mettra la population devant le fait accompli une fois les travaux achevés.
La France n’est pas neutre dans cette affaire : ce sont en effet deux entreprises du BTP de notre pays, Colas et Poma, qui sont en charge de la maîtrise d’œuvre, et le financement est assuré grâce à un prêt de l’État français à l’État malgache.


9. Maison du XIXe siècle détruite illégalement en 2018
Photo : La Tribune de l’Art
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10. Construction remplaçant illégalement la maison détruite en 2018
Photo : La Tribune de l’Art
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11. Frise sculptée subsistante sur le mur d’enceinte
Photo : La Tribune de l’Art
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Mais les scandales ne s’arrêtent pas là. Comme nous l’avions écrit, les attaques contre le patrimoine de la Haute Ville d’Antananarivo sont innombrables. Parmi celles dont nous n’avions pas parlé lors de nos précédents articles, nous pouvons signaler, par exemple, la destruction en 2018 d’une belle maison du XIXe siècle (ill. 9), non loin du Palais, désormais remplacée par un bâtiment en béton (ill. 10). Pour cette opération, il n’y a eu ni permis de démolir, ni permis de construire et aucun respect de la Zone de Protection du Paysage Architectural, Urbain et Paysager (ZPPAUP), une protection de ce quartier qui reste malheureusement trop souvent théorique. Une seule frise sculptée à l’extérieur du monument (ill. 11) a pu être sauvegardée, et on ignore ce que sont devenus d’autres éléments patrimoniaux intéressants qui se trouvaient à l’intérieur de celui-ci. Si l’on souligne que cet édifice était la propriété du ministère de l’Éducation nationale, on comprendra à quel point le patrimoine malgache est menacé par ses dirigeants même. On ne sait trop ce que l’on doit attendre du ministère de la Communication et de la Culture qui avait néanmoins obtenu l’interruption - trop tardive hélas - des travaux.
Simultanément, une tour en béton est en construction aux abords immédiats de la cathédrale (ill. 12 et 13), toujours en infraction avec l’arrêté, sans que le ministère de la Culture n’intervienne (en tout cas à notre connaissance).


12. Tour en construction dans le quartier historique d’Andohalo, Haute Ville d’Antananarivo
Photo : La Tribune de l’Art
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13. Tour en construction dans le quartier historique d’Andohalo, Haute Ville d’Antananarivo
Photo : La Tribune de l’Art
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La législation malgache de protection du patrimoine, qui existe pourtant, n’est pas respectée (et la France, sur ce point, n’aurait guère de leçons à donner). Il faut savoir en effet que l’arrêté 43.32/2018 du ministère de l’Aménagement du Territoire et des Travaux Publics interdit la délivrance de permis de construire dans les quartiers de la Haute Ville. Il semble que cela n’empêche ni la destruction de bâtiments anciens, ni l’érection d’une tour, ni la construction d’édifices ou de « colisée » en béton, et même pas celle de stations de télécabine. 


14. Palais d’Ambohitsorohitra d’Antananarivo
État 2019 : les deux ailes à gauche et à droite sont encore debout
Photo : La Tribune de l’Art
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15. Constructions devant le Palais d’Ambohitsorohitra ayant remplacé les anciens pavillons
Photo : La Tribune de l’Art
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16. Détail de la figure 15. On admirera la qualité de la construction où le béton (au centre) n’est pas aligné avec les fenêtres, et les bouche en partie
Photo : La Tribune de l’Art
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La Haute Ville d’Antananarivo n’est pas la seule partie de la capitale malgache touchée par des scandales patrimoniaux. Nous avions dénoncé déjà la destruction des pavillons du palais présidentiel d’Ambohitsorohitra (ill. 14), un bel ensemble architectural construit entre 1890 et 1892. Ils ont été reconstruits, et comme cela était à prévoir, sans aucun respect du site, avec des édifices d’une grande médiocrité (ill. 15 et 16). Non seulement le site a perdu l’harmonie de style et de matériaux qui prévalait jusqu’alors, mais cette opération est choquante et absurde. Détruire des bâtiments en bon état, pour en reconstruire d’autres a bien entendu un coût que l’un des pays les plus pauvres du monde ne devrait pas avoir à supporter.
 Autre dossier dont nous avions parlé : celui de la poste Art déco (ill. 17). Celle-ci était en travaux et l’on peut désormais voir le résultat, catastrophique (ill. 18). Et pendant que l’on dépensait beaucoup d’argent pour vandaliser ce monument, les travaux essentiels de restauration de ses couvertures n’ont même pas été entrepris comme le montre cette photo (ill. 19).


17. Grande poste d’Antananarivo (état ancien, qui était encore celui qui existait récemment)
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18. Grande poste d’Antananarivo aujourd’hui
Photo : La Tribune de l’Art
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19. Couvertures de la grande poste d’Antanarivo, état actuel
Photo : La Tribune de l’Art
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Nous terminerons ce survol des destructions patrimoniales en cours à Antananarivo par le siège de l’Office National de l’Environnement (ill. 20), le plus ancien bâtiment du quartier d’Antaninarenina dont l’architecture mêle maisons traditionnelles des hauts plateaux et influences européennes. Cet édifice a été victime d’un incendie (décidément, les monuments anciens brûlent facilement et souvent à Madagascar). Alors que sa reconstruction à l’identique pourrait être faite aisément, les murs ayant très bien résisté au feu, ce bâtiment est pour l’instant abandonné, sans protection. Nul doute que la prochaine saison des pluies, qui débute en novembre, risque de dégrader rapidement ce bâtiment sans toiture pour le protéger. En tous cas, les autorités ont là une opportunité, si elles souhaitent faire un pas dans la bonne direction en matière de patrimoine, de restaurer à l’identique cet intéressant bâtiment, pour un coût raisonnable.


20. Ancien siège de l’Office National de l’Environnement, état actuel, après l’incendie. On voit que l’extérieur du bâtiment est intact et pourrait être restauré si on le mettait à l’abri des intempéries
Photo : La Tribune de l’Art
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Afin de tenter de comprendre la logique et les motivations des autorités publiques, nous avons, pour cet article, contacté la Présidence de la République de Madagascar. Pas davantage que pour le précédent article, celle-ci n’a souhaité nous répondre….

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