Inquiétudes pour Chantilly après la démission de Didier Selles

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Le Canard Enchaîné publie dans son édition du 21 juillet un article consacré à l’Institut, à la suite du rapport de la Cour des comptes. Dans un encart, il rapporte également la démission, quinze jours à peine après sa prise de fonction, de Didier Selles, qui venait d’être nommé administrateur du domaine de Chantilly (voir notre article). Nous reviendrons bien entendu de manière plus approfondie sur l’étrange conception que se fait du patrimoine l’Institut de France, qui manifestement n’a pas beaucoup changé depuis que l’Académie des beaux-arts (qui fait, rappelons-le, partie de l’Institut) avait laissé vendre une partie des collections du Musée Marmottan (voir nos articles).


Château d’Enghien, domaine de Chantilly
Chantilly
Photo : The Supermat (CC BY-SA 3.0)
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Revenons néanmoins rapidement sur le court passage de Didier Selles à ce poste. Sa démission est en effet très inquiétante, comme les extraits de la lettre qu’il a envoyée au Chancelier de l’Institut, Xavier Darcos, le démontrent. L’un des points majeurs de désaccord de l’ex-nouvel administrateur était le sort réservé au château d’Enghien, que l’Institut aimerait transformer en hôtel de luxe depuis déjà plusieurs années. Ce projet, dont nous avait parlé Christophe Tardieu dans l’interview qu’il nous avait accordée, ne nous choquait pas a priori. Nous n’avions cependant pas suffisamment étudié la question, et nous avions tort à ce sujet : le château de Chantilly ne dispose pas des espaces nécessaires pour un musée qui souhaite accueillir ses visiteurs dans les meilleures conditions. Le château d’Enghien, à 150 m du château principal, est le lieu idéal pour créer ces espaces d’accueil, les ateliers pédagogiques pour les scolaires, un restaurant pour les visiteurs, mais aussi des espaces pour des expositions-dossiers et tous les espaces annexes qui pourraient être utiles pour le musée.

Les conditions de l’appel d’offre sont, par ailleurs, très discutables. Résumons-les : un seul candidat est en lice pour cette concession [1] qui serait accordée pour pas moins de 50 ans, et pour un montant absolument ridicule. Or, et l’exemple de Versailles et de la concession de l’hôtel du Grand Contrôle (voir l’article) le démontre (15 offres avaient été reçues) : le fait qu’il n’y ait qu’un seul candidat pose de nombreuses questions sur la légitimité du processus, qui pourraient mettre en cause la responsabilité du chancelier comme de l’administrateur, ce que ce dernier souligne dans sa lettre. Cette concession ne permettrait même pas de couvrir le coût de restauration du château d’Enghien estimée à 4,5 millions d’euros, une somme que l’Institut demande désormais au ministère de la Culture et à celui des Finances. Comme le fait remarquer Didier Selles, cette somme aurait dû - là encore comme au Grand Contrôle - être couverte par le concessionnaire. Bref : un coût minimal pour une occupation maximale (une grande partie du parc et des dépendances est aussi concernée par cette concession), et pour 50 ans. Il s’agit évidemment d’un marché de dupe qui serait scandaleux s’il était accepté. Et cela ne ferait que poursuivre une tradition de mauvaise gestion qui ne semble pas neuve, « certains baux concédés de longue date à prix faibles [étant déjà] une perte considérable pour le domaine » écrit encore l’ex-administrateur.

Un autre point n’est pas abordé dans la lettre de Didier Selles à Xavier Darcos qui, à terme, devrait poser au moins autant de problèmes déontologiques. L’Institut ne rêve en effet que d’une chose : casser le testament du duc d’Aumale interdisant notamment le prêt des œuvres. On ne peut que s’inquiéter du sort de ces collections si l’Institut pouvait en disposer à sa guise, et même de celui du reste du domaine dont l’intégrité voulue par le duc d’Aumale ne serait plus assurée.

Comme Didier Selles l’écrit : « Il aurait fallu également, comme nous y invite la Cour des comptes, s’interroger sur le modèle économique du Domaine dans la fidélité à son histoire et au testament du duc d’Aumale. Or ce modèle ne peut reposer sur la privatisation toujours plus considérable d’espaces, dont cette opération d’hôtel de luxe est l’acmé. Le Domaine est un lieu qui appartient à tous, ainsi que l’a voulu le duc d’Aumale, il doit servir à l’édification des générations futures et ne peut continuer à être mise à l’encan pour des intérêts privés ». Nous ne saurions dire mieux [2].

La conclusion est encore plus claire : « Le modèle économique du Domaine de Chantilly doit reposer, comme pour Fontainebleau, Versailles et d’autres châteaux musées, sur une subvention socle importante de l’État ou de la Région qui, en contrepartie d’engagements forts sur le développement des publics, la politique scientifique, la préservation et la mise en valeur de ses collections et de son patrimoine, la recherche de mécénats etc. lui permettent de s’inscrire à sa place, l’une des premières en France, comme un joyau de notre patrimoine national, ouvert à tous les publics. Pour ce faire, il faudrait également mettre en place une autonomie forte du Domaine, voire la création d’un établissement public, au sein duquel l’Institut serait représenté en tant que propriétaire, même s’il ne dispose manifestement ni des moyens ni des compétences pour s’en occuper. »

Finalement, on peut se demander si le problème de Chantilly, ce n’est pas l’Institut. Pendant des décennies, il s’en est désintéressé et l’a laissé sans moyens. Grâce au mécénat inespéré de l’Aga Khan, le domaine a bénéficié depuis 2005 de plus de 70 millions d’euros. Mais cette manne s’étant tarie, l’Institut revient à son indifférence pour ce patrimoine et pour son public, ne voyant dans le château, le musée et le domaine, qu’un actif qu’il s’agit de louer ou de vendre, raison pour laquelle il aimerait casser le testament du duc d’Aumale. Il ne faut pas le laisser faire.

Didier Rykner

Notes

[1Deux autres candidatures sont qualifiées d’« anecdotiques » dans la lettre de Didier Selles.

[2Le Canard Enchaîné explique avoir contacté Xavier Darcos sans obtenir de réaction de sa part. Nous avons écrit cet article très rapidement sans interroger le Chancelier, qui nous aurait probablement fait la même absence de réponse. Il est bien entendu le bienvenu pour nous envoyer une réponse. Nous aurons, quoi qu’il en soit, l’occasion de le contacter prochainement à ce sujet.

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