Gustave Moreau et Œdipe : Une image de l’artiste face à son destin

« Le pays, dont les œuvres d’art sont ainsi des apparitions fragmentaires, est l’âme du poète, son âme véritable, celle de toutes ses âmes qui est le plus au fond, sa patrie véritable, mais où il ne vit que de rares moments. C’est pour cela que le jour qui les éclaire, les couleurs qui y brillent, les personnages qui s’y agitent, sont un jour, des couleurs et des êtres intellectuels. » [1]

Marcel Proust, Gustave Moreau

Lorsque Marcel Proust, dans ses pages pénétrantes consacrées à Gustave Moreau, dépeint les tableaux du peintre comme des fragments d’un « pays », selon l’expression qui lui est chère, dont ils ne seraient que des « apparitions fragmentaires », c’est bien de l’âme de l’artiste et de sa vie qu’il est question : les toiles de Moreau seraient alors, dans une sorte d’avatar psychologique de la vue albertienne, comme des fenêtres ouvertes sur le lieu secret de la méditation et du sens, une intrusion en pointillé dans ce pays que l’auteur de La Recherche qualifie de « patrie profonde ». Comment, à la lumière de cette conception de son œuvre, ne pas considérer chez Moreau la récurrence de certains sujets comme le lieu privilégié d’exploration dudit pays ? Si l’on sait que l’artiste s’est plu à reprendre certains thèmes tout au long de sa carrière et même à retravailler ses tableaux sur une longue période, il semble que cette relation au long cours soit particulièrement significative dans le cas de la figure d’Œdipe. Depuis l’œuvre phare du Salon de 1864 Œdipe et le Sphinx (ill. 1) jusqu’à l’Œdipe voyageur de 1888 (ill. 3), en passant par Le Sphinx deviné (ill. 2) et quelques études éparses, le corpus œdipien n’est certes pas le plus conséquent de l’œuvre de Moreau : en y regardant de plus près, cette parcimonie ne vient que renforcer la densité du sens et ériger ces toiles en des jalons d’autant plus significatifs qu’ils s’échelonnent sur environ vingt-cinq ans de création. Que l’aventure d’Œdipe dans sa confrontation au Sphinx puisse être considérée comme une image forte de l’aventure du peintre lui-même semble presque évident ; cet aspect du thème n’a pourtant jamais été évoqué.

L’enigme du sphinx, le matin : « Seras-tu un grand artiste ? »

1. Gustave Moreau (1826-1898)
Œdipe et le Sphinx, 1864
Huile sur toile - 206 x 105 cm
New York, Metropolitan Museum
Photo : Wikipedia Common
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Si l’on convient du fait que l’Œdipe et le Sphinx de 1864 (ill. 1), œuvre qui apporta à Moreau la célébrité, est effectivement resté son opus le plus connu et le plus reproduit, on ne peut qu’être surpris de la constante superficialité des commentaires qui ont émaillé sa bibliographie comme celle des autres œuvres liées à ce thème. Depuis les regards des contemporains de l’artiste jusqu’aux analyses savantes les plus récentes, on n’en finit pas de retracer les sources antiques, l’origine de l’urne ou le dessin des pieds des victimes du monstre tout comme on n’ignore plus rien de l’histoire des tableaux, des collectionneurs, des marchands, voire des clous grâce auxquels ont été suspendus les tableaux… Sur le sens profond de l’œuvre, en revanche rien ou presque sinon des analyses hâtives, faiblement psychanalytiques ou qui se limitent à des paraphrases de Moreau lui-même comme si ce Sphinx avait été si bien conçu par le peintre qu’il ne se contentait pas de tenter de « coller » Œdipe mais qu’il parvenait aussi à méduser les historiens et les critiques frappés de stupeur et de paralysie. Comme souvent, c’est ainsi à un critique d’art « non-professionnel » qu’il revient de faire des remarques judicieuses et c’est Barbey d’Aurevilly dans son étude de 1864 qui souligne la posture originale du héros, son attitude combative et dominante même s’il y discerne aussi plus loin l’expression de la fatalité antique :

« L’attitude d’Œdipe est belle ; il est impassible devant l’étreinte de cette question vivante ; il a dans le regard une assurance pleine de foi ; il domine le monstre par l’imperturbable sang-froid avec lequel il l’accueille. » [2]

On a comparé d’emblée l’œuvre du salon de 1864 à la toile d’Ingres mais si cette mise en rapport se révèle partiellement parlante sur le plan plastique, l’iconographie les sépare irrémédiablement : la pose paisible et réfléchie du héros tel que l’a peinte le maître de l’Odalisque reflète une conception littéraire et classique dont est exempte la toile de Moreau et en aucun cas on ne peut parler d’une « scénographie assez semblable » [3] au point même que s’il fallait vraiment appliquer le complexe œdipien à cette relation, ce serait pour envisager le « meurtre » du maître incontesté par le jeune artiste, une distance prise irrémédiablement. A l’agression brutale du Sphinx qui s’agrippe à lui, Œdipe répond en effet par un geste de défi et de certitude, s’appuyant sur une lance dans une posture d’affrontement que l’on peut aisément rapprocher de la situation du peintre lors de cette première confrontation majeure de son œuvre avec le public. Lorsqu’on sait l’importance que revêtait pour la carrière d’un artiste cet unique jalon annuel qu’était le Salon, il semble en effet difficile d’ignorer la dimension autobiographique d’une telle image. Henri Dorra reconnaissait en 1973 la possibilité d’un tel investissement personnel dans l’iconographie de l’Œdipe, soulignant combien les victimes du Sphinx pouvaient être assimilées à une sorte de Vanité (honneurs académiques, pouvoir, argent détruits par la vie) [4]. Il faut se souvenir qu’après des années de travail infructueux et l’échec de ses envois dans les années 1854-1855 , Moreau s’était en quelque sorte retiré des expositions ; l’Œdipe de 1864 constituait ainsi son retour à la vie artistique publique et prenait pour lui sans aucun doute le sens d’une confrontation décisive pour la suite de son destin artistique. La force conflictuelle de l’image ne prend-elle pas sous cet éclairage social et contextuel une dimension plus satisfaisante que celle d’un glissement du mythe classique vers un terrain qui serait celui de « l’ambiguïté de la relation amoureuse » ainsi que l’avance Monique Halm-Tisserant dans une étude qui privilégie la validité du schéma grec de la « sphinx amoureuse » au détriment de paramètres contemporains qui nous paraissent beaucoup plus pertinents [5] ? Que la confrontation d’Œdipe avec le Sphinx prenne chez Moreau en 1864 la forme d’un combat physique doit certes retenir l’attention. Le dialogue immobile du Sphinx poseur d’énigme et de l’Œdipe réfléchissant (comme chez Ingres) cède ici le pas à une lutte autrement violente. Imaginer cependant que cette « matérialisation » de l’affrontement signifie un passage du monde des idées à celui de la chair semble pourtant bien contestable. Ce corps à corps du héros avec la figure ailée et dévorante n’est-il pas plutôt celui du peintre lui-même s’affrontant à son art et à la réception de ses œuvres ? Il est surprenant que Monique Halm-Tisserand, évoquant la postérité de ce thème chez les symbolistes de la fin du siècle, n’y trouve qu’une « résonance sexuelle » [6] chère à la psychanalyse alors que la métamorphose du Sphinx en Chimère signifie au contraire combien le monstre incarne alors de plus en plus un idéal artistique exigeant et parfois fatal, fût-ce sous les traits d’une femme elle-même fatale, révélatrice de la mythologie du moment ; la liste serait longue de ces œuvres de la fin du siècle dans lesquelles le Sphinx figure un idéal « chimérique » désormais emblématique de toute une génération et de ses revendications esthétiques [7] ; dans ce cas si répandu, l’aspect charnel du Sphinx-Chimère ne fait qu’incarner les menaces opposées par l’adversité à la créativité souveraine de l’artiste, dans la plus pure tradition baudelairienne [8].

Dans le commentaire rédigé à propos de la toile de 1864, Gustave Moreau souligne la dimension combative de son héros : « Mais l’âme forte défie les atteintes enivrantes et brutales de la matière et, l’œil fixé sur l’idéal, il marche confiant vers son but après l’avoir foulée aux pieds [9]. » On voit bien dans ce texte combien la dimension « sensuelle » de l’affrontement relève d’un symbolisme métaphysique plus que d’une hypothétique lutte des sexes et l’affirmation de l’idéal à atteindre occupe clairement la première place dans l’esprit de l’artiste. Il n’est pas non plus indifférent de souligner que Moreau a choisi de situer l’épisode à une heure du jour qui est « le matin », signe évident de la jeunesse de l’artiste « en Œdipe », dont on verra qu’elle s’oppose à la dimension crépusculaire de l’Œdipe voyageur de 1888 (ill. 3). Ces indices et l’observation minutieuse du tableau accréditent bien l’idée d’une auto-représentation, l’image générique du combat mené par le peintre avec le public pour défendre son idéal artistique dans un contexte précis, celui des années 1860. Au moment où l’Académisme hérité d’Ingres apparaît épuisé, un an après la création du salon des refusés, le retour de Moreau devant le jugement de ses pairs prend donc la forme d’un manifeste personnel qui ramène le mythe à une dimension individuelle. Parmi les notes du peintre, on relève cette réflexion déterminante : « Que les grands mythes antiques ne soient pas continuellement traduits en historiographes, mais en poètes éternels, car il faut enfin sortir de cette chronologie puérile qui force l’artiste à traduire les temps limités au lieu de traduire la pensée éternelle. Pas la chronologie du fait, mais la chronologie de l’esprit [10]. » Un témoignage comme celui d’Odilon Redon, qui affirmera en 1900 avoir trouvé dans l’œuvre de 1864 le courage de poursuivre sa voie [11], révèle également la dimension manifeste de cette démarche et le succès sans précédant remporté par la toile qualifiée de « coup de tonnerre » et de « lion du salon » [12], ainsi que son acquisition par le Prince Napoléon confirment le rôle déterminant d’une image bel et bien conçue comme la rencontre décisive de Moreau avec son propre destin d’artiste.

L’enigme du Sphinx, le soir : « Ton œuvre survivra-t-elle ? »

2. Gustave Moreau (1826-1898)
Le Sphinx deviné, 1878
Huile sur toile - 105 x 62 cm
Collection particulière
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Il est frappant que, contrairement à Salomé, Sapho, Hercule ou Saint Sébastien, dont le corpus de Moreau comprend de très nombreuses déclinaisons, Œdipe n’apparaisse qu’en de rares moments de la carrière du peintre et avec une pertinence révélatrice. Après la peinture conquérante de 1864, qui inaugure une série continue de succès et la célébrité, il faut attendre 1878 pour retrouver le thème avec deux peintures intitulées Le Sphinx deviné [13]. Dans ces œuvres rarement montrées et de dimension petite ou moyenne, l’artiste représente le héros précipitant le Sphinx dans les abîmes. L’importance accordée au paysage rocheux, la « légèreté » du geste avec lequel Œdipe pousse du pieds le monstre ailé vers la crevasse évoquent une liberté de mouvement assez inhabituelle ; ne peut-on associer cette version triomphante du thème avec l’allégresse du peintre alors au sommet de sa gloire ? Ayant donné les années précédentes plusieurs chefs-d’œuvre (dont une Salomé etL’Apparition), Moreau est autorisé par le marquis de Chennevières à montrer onze tableaux (dont un Sphinx deviné) à l’Exposition universelle. C’est aussi en cette année 1878 que l’artiste entre en contact avec la princesse de Caraman-Chimay et sa fille la jeune princesse Elisabeth, future Comtesse Greffulhe, une des représentantes les plus fortunées de l’aristocratie parisienne et dont le soutien à Moreau ne se démentira pas, jusque dans l’exposition posthume de 1906 placée sous son patronage. Jalon intermédiaire, le Sphinx deviné reflète la pensée d’un artiste en pleine possession de ses moyens, maîtrisant le paysage institutionnel et poursuivant une carrière menée sans encombres. L’énigme semble résolue, la dimension combative mais songeuse de l’Œdipe de 1864 laisse place à une certitude, celle de la vie qui s’accomplit ; c’est bien ici, pour reprendre la métaphore proustienne, l’apparition fragmentaire d’un pays heureux et serein.

3. Gustave Moreau (1826-1898)
Œdipe voyageur ou
L’égalité devant la Mort, 1888
Huile sur toile - 124 x 93 cm
Metz, Musées de la Cour d’Or
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A l’exception de petites répliques faites sur commande [14], il faut encore attendre 1888 pour que Moreau revienne à Œdipe avec l’importante toile aujourd’hui conservée au Musée de la Cour d’Or de Metz : Œdipe voyageur ou l’Egalité devant la mort. La juxtaposition de ce tableau avec la toile de 1864 est éloquente. Au matin succède le soir tandis qu’à l’Œdipe dominant (à droite) de la toile la plus ancienne, se substitue un Œdipe modeste et « soumis » (à gauche) dont la lance est devenue un bâton. Le Sphinx n’agresse plus le héros mais il l’attend, en majesté, au centre de la composition, sur une sorte de trône naturel tandis que les victimes, peu présentes en 1864 sont précisément représentées (prince, guerrier, poète) en 1888. Au combat qui occupait toute la place de l’huile première succède enfin une composition qui met en exergue une dimension narrative, l’arrivée d’Œdipe sur la scène d’un théâtre qui va se jouer et dont le décor importe autant que ses protagonistes. Cette spatialisation de la dramaturgie élargit en effet le thème et signifie plus encore qu’en 1864 son devenir générique. Certes, près de vingt cinq ans ont passé et la facture picturale de l’artiste a aussi évolué, amplifiant la singularité de son style tout comme la richesse de son iconographie. Cette simple évolution artistique ne suffit cependant pas à expliquer les différences majeures qui permettent de considérer ce « diptyque » comme éminemment parlant. Le texte consacré par l’artiste à l’huile de 1888 peut guider notre réflexion :

« Courbé sous le poids de la vie, il a gravi la grande montée, il arrive sur la plate-forme, autel naturel où se tient le monstre à tête de femme qui l’attend. L’Enigme est là pour tous. C’est l’épreuve dernière triomphante ou fatale. Des cadavres gisent de tous côtés, victimes de cette force terrible et mystérieuse qui donne la mort aux faibles et dont l’âme forte peut triompher. Les grands rochers thébains, la sobre mer, ferment de tous côtés l’horizon voilé, l’abîme est au pied de cet autel de la vie et de la mort devant lequel passe l’humanité tremblante [15]. »

Ainsi Moreau parle du « poids de la vie », dans ce texte écrit un an avant sa mort, à propos d’un Œdipe dont l’apparence physique n’est cependant pas celle d’un vieillard. C’est tout juste d’ailleurs si le traitement du héros n’est pas plus juvénile dans la peinture de 1888 que dans celle de 1864 ! La posture modeste et presque « fatiguée » du personnage, ainsi que le bâton sur lequel il s’appuie (évoquant l’énigme de la tradition antique et l’animal qui marche à trois pattes le soir : l’homme avec sa canne) pourraient pourtant suggérer l’idée d’un homme au bout de son existence et c’est bien du voyage de la vie qu’il est question dans le premier titre de l’huile. Ces contradictions ne sont qu’apparentes. Sans doute, le peintre résume-t-il un parcours qui s’achève mais, loin de le réduire à une vision de la vie humaine, il le transcende en considérant l’œuvre accomplie et c’est donc sous une apparence idéale de héros intemporel, celle d’un Œdipe toujours jeune physiquement, qu’il figure l’artiste emblématique, dont l’éternelle jeunesse est celle de la création qui échappe à la putrescence. Si l’on retrouve la Vanité constituée par les corps de victimes, celle-ci paraît particulièrement mise en valeur au centre du tableau et partiellement exposée sur le socle de ce Sphinx-statue dont il faut aussi signaler les ailes déployées et blanches (celles de 1864 étaient grises et noires) qui constituent au centre de la toile comme une apothéose en forme de « v » et de victoire. La jeunesse du héros est reprise en 1906 par Robert de Montesquiou qui s’appuie aussi sur la présence de ces corps de guerrier, de poète et de roi, pour désigner un Sphinx qui serait « représentatif de l’égalité devant la mort » [16]. On sait que ce titre fut dès lors utilisé couramment, en particulier lors de la vente du tableau en 1914 et jusqu’à aujourd’hui. Si Montesquiou fut un critique habituellement clairvoyant, il semble qu’il ait pourtant commis dans ce texte un contresens dont la preuve figure dans le commentaire de Moreau lui-même. Le peintre ne parle-t-il pas en effet de « victimes de cette force terrible et mystérieuse qui donne la mort aux faibles et dont l’âme forte peut triompher » ? L’idée même de l’égalité devant la mort se trouve ainsi rejetée par cette possibilité donnée aux « âmes fortes » de triompher d’elle et la composition du tableau de 1888 confirme cette vision par l’issue qu’elle laisse entrevoir sur la droite du paysage où un défilé plus clair et des nuages blancs laissent espérer un ailleurs salvateur. Le lieu central où trône le Sphinx n’est ainsi qu’un site de passage et non un cul-de-sac et il faut reconnaître que Monique Halm-Tisserand semble seule à avoir remarqué que « dans l’esprit du peintre la victoire sur le Sphinx appartient peut-être au champ du possible » [17]. Le mythe antique vient ici au secours de notre interprétation puisqu’Œdipe sait répondre à l’énigme du Sphinx et échappe donc à la mort. Cette notion d’une égalité devant la mort dans la peinture de 1888 apparaît ainsi doublement absurde.

Si la figure d’Œdipe se voit érigée en symbole de l’artiste, ce n’est donc plus de la vie humaine qu’il est question dans l’épreuve du passage devant le Sphinx ; reste donc une autre vie, celle du travail accompli. Sous la figure idéalisée du jeune homme paisible à la tête penchée et au regard serein (un regard en coin d’ailleurs étrangement complice avec le spectateur), c’est bien le peintre arrivé à la fin de son existence qui apparaît ainsi soucieux d’affronter « l’épreuve triomphante ou [18] fatale » qui doit décider de l’oubli ou de la survie de son œuvre. Le Sphinx serait alors comme une image de la postérité, le jugement porté sur un destin artistique après cette « grande montée » qu’est une vie et une carrière de peintre. Les artistes se partagent donc bien, aux yeux de Moreau, en faibles voués à la mort et en forts qui peuvent triompher d’elle. Il ne fait guère de doute, si l’on en juge par la sérénité de son ultime Œdipe, que le peintre était conscient d’appartenir à ces derniers.

Tout au long de son existence, Gustave Moreau aura ainsi identifié le pays où l’on peint avec les « grands rochers thébains » et le repaire du monstre, image s’il en fut de la difficulté d’œuvrer mais aussi vision pénétrante, ainsi que l’écrivait Marcel Proust, de cette âme qui n’est autre que « sa patrie véritable, mais où il ne vit que de rares moments ».

Addenda : Peter Cooke, Maître de conférences à l’Université de Manchester nous a fait part de son intérêt pour cette étude et a bien voulu attirer notre attention sur ses travaux consacrés à Gustave Moreau. Citons en particulier l’article suivant : Peter Cooke, « Gustave Moreau’s ‘dipus and the Sphinx : Archaism, Temptation and the Nude at the Salon of 1864 », Burlington Magazine, vol. 146, n° 1218 (septembre 2004).
Si cet article ne recoupe que fort peu la lecture à laquelle nous nous sommes livré, il est évidemment essentiel dans l’appréhension du tableau de 1864 et nous y renvoyons fort volontiers.
Par ailleurs, Peter Cooke relève avec justesse que nous avons cité, s’agissant des textes de Moreau, l’édition de Paul-Louis Mathieu et non celle établie par ses soins, plus récente. Il semble en effet que la transcription des écrits de Moreau soit malheureusement imparfaite dans la publication la plus ancienne. Bien que cela ne concerne pas les citations auxquelles nous nous sommes référé, nous en prenons volontiers acte et recommandons l’édition de Monsieur Cooke : Écrits sur l’art par Gustave Moreau, éd. Peter Cooke, 2 vols, Fontfroide, Fata Morgana, 2002.

Jean-David Jumeau-Lafond

Notes

[1Marcel Proust, « Gustave Moreau », Contre Sainte-Beuve, suivi de Nouveaux mélanges, Paris, Gallimard, 1954, p. 389-390.

[2Jules Barbey d’Aurevilly, « Des Tendances de l’art contemporain à l’occasion de l’exposition des Beaux-Arts de 1864 », L’Amour de l’art, Paris, Séguier, 1993, p. 123.

[3Expression employée par Pierre-Louis Mathieu, Gustave Moreau, monographie et nouveau catalogue de l’œuvre achevé, Courbevoie, ACR, 1998, p. 50.

[4Henri Dorra, « The Guesser guessed, Gustave Moreau’s Œdipe », Gazette des Beaux-Arts, mars 1973.

[5Monique Halm-Tisserant, « La Sphinx amoureuse. Un schéma grec dans l’œuvre de Gustave Moreau », Revue des archéologues et historiens d’art de Louvain, XIV, 1981, p. 34.

[6Idem , p. 36.

[7On pourrait se contenter de citer les chimères d’Alexandre Séon, qui ne sont ni plus ni moins que des manifestes de l’Idéalisme artistique ; c’est le cas en particulier du Désespoir de la Chimère, cf. notre étude dans Les Peintres de l’âme, le symbolisme idéaliste en France, Anvers, Pandora, 1999, p. 169 ; nous y abordons aussi l’Œdipe de Gustave Moreau.

[8Voir à ce sujet notre étude « De la femme animal à l’animalité de l’art, figures de la matière au temps du Symbolisme », Revue d’esthétique, T. 40, 2001, p.104-111.

[9Gustave Moreau, L’Assembleur de rêves,écrits complets, texte établi par Pierre-Louis Mathieu, Fontfroide, 1984, p. 61.

[10Idem, p. 134.

[11Dans sa lettre à Mme de Holstein le 29 janvier 1900, citée par Geneviève Lacambre dans le très complet « Dossier Œdipe et le Sphinx », cat. de l’exp. Gustave Moreau, Paris, Galeries nationale du Grand Palais, 1998, p. 77.

[12Voir Geneviève Lacambre, op. cit., p. 77.

[13Huile sur toile (ancienne collection Hayem), et petite huile sur bois (ancienne collection Roux), respectivement n° 203 et 204 du catalogue de l’œuvre par Pierre-Louis Mathieu, op.cit , p. 337-338.

[14Dont celle faite encore pour Hayem à l’aquarelle en 1880, conservée au Musée du Louvre, Cabinet des dessins, fonds du Musée d’Orsay (R .F. 2131).

[15Gustave Moreau, L’Assembleur de rêves, op.cit., p. 61.

[16Robert de Montesquiou, « Un peintre lapidaire », Exposition Gustave Moreau, Paris, Galerie Georges Petit, 1906, p. 20.

[17Monique Halm-Tisserand, op.cit., p. 58. L’auteur n’en tire cependant aucune conclusion dans l’analyse du traitement du mythe par le peintre.

[18C’est nous qui soulignons tant il est évident que ce « ou » voulu par Moreau est crucial.

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