Une Scène de bénédiction de l’atelier de Vouet

1. Ici attribué à Michel Dorigny (1617-1665)
Scène de bénédiction
Huile sur toile - 200 x 150 cm (environ)
Droué, église
Photo : M. Weil-Curiel
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Ce tableau (ill. 1 et 2), conservé dans l’église paroissiale de Droué (Loir-et-Cher), a été classé au titre des Monuments Historiques, en 1947, sous une attribution aujourd’hui difficilement soutenable à Jean Jouvenet [1]. Il est traditionnellement décrit comme représentant « La remise des clefs de l’église de Droué par Isaac du Raynier [dont il porte les armes] à l’évêque de Chartres », ce qui est impossible, tant du point de vue historique que du point de vue iconographique. En effet, Droué, situé dans la Généralité d’Orléans, ne dépendait pas de l’évêché de Chartres mais de celui de Blois, et plus précisément de l’archidiaconé de Châteaudun et de son Élection. De plus, en l’absence évidente de clefs, il s’agit plutôt ici d’une scène où un officier, en présence de ses hommes, demande à un prélat d’accepter et de bénir un livre et des instruments du culte. Or, si la vie de saint Nicolas, vocable de l’église et de la chapelle où se trouve aujourd’hui le tableau, n’offre aucun épisode comparable, celui-ci trouverait aisément sa place dans la vie du seigneur de Droué dans la première moitié du XVIIe siècle.

I- Son probable commanditaire

En effet, Isaac du Raynier (c. 1581-1647), seigneur de Droué et plus tard de Bourgerin, la châtellenie voisine [2], était avant tout un homme de guerre. Parmi ses sept fils qui vont atteindre l’âge adulte [3], plusieurs suivent ses traces dans la carrière militaire : l’aîné, Charles, sera tué au siège de Montpellier en 1622, un deuxième, prénommé Valentin, mourra lui-aussi au combat dix ans plus tard, tandis qu’un troisième sera, comme son père, et l’un de ses frères [4], capitaine des Gardes Françaises. Entre temps, Isaac, qui semble disposer d’une certaine aisance financière [5], doit avoir fait preuve d’un réel talent pour le métier des armes puisqu’il est devenu, à l’orée des années 1630, gouverneur de Royan [6], puis, en novembre 1640, Maréchal des Camps & Armées du Roi.

Même si les documents notariaux qui le concernent demeurent encore assez rares, l’une des particularités d’Isaac du Raynier, est d’avoir sans doute passé plus de temps dans la capitale [7] que ne le font habituellement ces seigneurs de province, qui se retirent plutôt sur leurs terres en dehors des périodes de guerre. On peut même envisager qu’il ait entretenu des liens étroits avec certains cercles de la noblesse de robe parisienne. Ainsi, en septembre 1646, sur le contrat de mariage de son fils Louis avec Marie Coutel, fille d’un conseiller aux Aydes, on remarque la présence, parmi les témoins, d’Anne Forget, épouse de Thomas Comans, sieur d’Astry, alors présentée comme "tante maternelle" [8]. Or, Thomas Comans est l’un des commanditaires de Le Vau dans l’Ile Saint-Louis. Plus tard, en 1674, c’est toujours à Paris que l’une de ses petites-filles, Marie du Raynier, épouse Charles d’Estampes, chevalier, marquis de Mauny et de la Ferté-Imbault [9]. La promise, qui apporte une dot assez conséquente de 120 000 livres, devient ensuite, par héritage maternel [10], la nouvelle dame de Droué.

D’autres éléments nous permettent sans doute de préciser les circonstances de la commande de ce tableau. Après les guerres de religion, le culte catholique est rétabli à Droué au tournant du XVIIe siècle. On sait même qu’en 1597, une chapelle « de distinction » est édifiée, au niveau du chœur, par Jehan du Raynier, le père d’Isaac. Six ans plus tard, l’église Saint-Nicolas « nouvellement couverte et réédifiée », fait l’objet d’une transaction avec le seigneur de Droué pour sa desserte et ses aménagements [11]. Mais ce sont les travaux achevés en 1631 qui sont pour nous les plus importants, car ils sont tous dus à la générosité d’Isaac. Outre la prolongation d’une dizaine de mètres du vaisseau de l’église et l’édification d’un portail, du Raynier offre aussi un retable (brisé en 1793), orné de lions de pierre de taille, qui occupait toute la largeur de l’abside. C’est donc peut-être pour cet emplacement qu’avait été commandé le tableau aujourd’hui relégué dans une des chapelles latérales reconstruites au XIXe siècle.

2. Ici attribué à Michel Dorigny
(1617-1665)
Scène de bénédiction (détail)
Huile sur toile - 200 x 150 cm (environ)
Droué, église
Photo : M. Weil-Curiel
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3. Ici attribué à Michel Dorigny
(1617-1665)
Scène de bénédiction (détail)
Huile sur toile - 200 x 150 cm (environ)
Droué, église
Photo : M. Weil-Curiel
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II- Quelques hypothèses sur son auteur

Le nom de Jean Jouvenet resta longtemps l’une des attributions de convention des Monuments Historiques. Pourtant, le style de cette œuvre apparaît, dès le premier examen, bien antérieur à celui de cet artiste. Même si son aspect actuel pâtit sans nul doute d’usures anciennes, ou d’un délavement des coloris, on peut raisonnablement envisager que sa date d’exécution soit contemporaine d’Isaac du Raynier, sinon des travaux d’embellissement des années 1630. Cela ne suffit pas pour retirer à l’œuvre ses nombreux mystères. L’impression générale, le choix de couleurs assez vives (ill. 2 et 3), le traitement de la plupart des figures, et l’usage qui est fait du porte drapeau en contraposto, nous ramènent à Vouet. Cependant, le maître n’use jamais de ces drapés un peu trop amples, de ces visages aux traits « contournés », de ces mentons en galoche, que l’on retrouve toutefois chez l’un des serviteurs du Poliphile assistant au Cortège de Bacchus d’Eustache Le Sueur, conservé au Mans [12].

Dans un premier temps, nous avions cru déceler dans la disposition d’ensemble du tableau de Droué, avec la figure très typée du diacre et ses effets de lumière, un certain nombre d’affinités avec l’un des plus beaux tableaux encore anonymes de l’entourage de Vouet : l’élément principal du décor de la Salle des Actes du Collège de Pharmacie (remonté à l’Université Paris-VI) autour duquel flotte souvent le nom de Michel I Corneille. Toutefois, plusieurs incompatibilités avec son style, qui est désormais assez bien cerné, nous ont fait abandonner cette première hypothèse. Pour les mêmes raisons, nous avons écarté assez vite les noms de Nicolas Chaperon ou de Charles Poërson. La réflexion que nous avons menée à partir de certaines suggestions qui nous ont été faites, renforcées entre temps par d’autres éléments stylistiques, nous amène désormais à envisager que la paternité du tableau de Droué puisse revenir à Michel Dorigny dont il constituerait ou plutôt témoignerait, dans son état actuel, du souvenir d’un de ses premiers ouvrages chez Vouet.

Il y a, d’une part, cette manière d’utiliser des drapés enveloppants mais placés assez loin du corps, et l’usage de couleurs assez soutenues : ce rose assez curieux ou cette juxtaposition de rouge et d’orange pour la figure du porte lance, que Dorigny utilise, par exemple, pour l’habit d’un des vieillards de sa Suzanne au bain [13]. Il y a surtout, dans la figure du prélat et d’un des hommes placés au second plan (celui qui présente un vase), ce visage expressif aux yeux ombrés par l’arcade sourcilière, où n’apparaît presque pas la paupière. C’est, avec le traitement des mains [14]., une particularité que l’on retrouve dans plusieurs de ses tableaux, notamment le Repos de la Sainte Famille du Musée Magnin et les deux Annonciation (celle de Sillery, dont l’aspect apparaît modifié par des repeints, et celle de Florence). De même, l’arrondi donné ici au bras du porte-étendard, est celui qui est offert, de façon symétrique, par sa Suzanne.

Toutefois, outre une nécessaire prudence, l’un des principaux obstacles à cette hypothèse tient dans le fait suivant : à la mort d’Isaac du Raynier, Dorigny n’a encore que trente ans, et quatorze ans en 1631, date d’achèvement de l’église. Ce qui pourrait sembler un peu précoce pour l’exécution d’une telle œuvre et laisserait donc la porte ouverte à un autre membre, encore non identifié, de l’atelier de Vouet [15].

Moana Weil-Curiel

Notes

[1Huile sur toile. 200 x 150 cm. Classé Monument Historique le 26 avril 1947. Ce tableau, apparemment en bon état général, a été restauré en 1961. Une verrière d’axe reprenant sa composition est actuellement masquée par le maître-autel (Cf. F. Lesueur, Les églises du Loir & Cher, Paris, 1969).

[2Il ne reste rien du château de Bourgevin et de celui de Droué, bâti par Isaac, il ne subsiste qu’un pavillon et des vestiges de l’aile Nord.

[3Dans le même temps, Isaac aura eu au moins deux filles : Marie, qui épouse, en 1632, mais en secondes noces, Charles d ’Angennes, et Anne, qui sera religieuse.

[4Ce dernier, prénommé Louis, reprendra la compagnie paternelle, en 1634, avant d’abandonner, sans gloire, la carrière militaire dans les années 1650. Il sera, plus tard, conseiller du Roi et gentilhomme ordinaire de sa Chambre. Les trois autres fils d’Isaac seront, respectivement, page du Roi, chevalier de Malte, et abbé de Saint-Jean d’Angely (cf. C. Léger, Droué. Recueil de textes pour servir à l’histoire de la commune, Blois, 1985 ; et La vie quotidienne dans le Perche avant la Révolution. L’exemple de la région de Droué (Loir & Cher) à travers les documents, Luisant, 1988.).

[5En quelques années, Isaac va notamment faire reconstruire le château familial et la chapelle devenue église paroissiale. De même, dès 1629, on le voit recevoir 1 500 livres de rente assises sur la vente des offices de conseiller & intendant des villes et communautés du royaume (c f. R. Mousnier, d’après A. N., E 110B, fol. 303).

[6C’est ce que rappelle l’inscription commémorative ("Isaac Duraynier, capitaine des Gardes du Roy et gouverneur pour sa Majesté en ville et marquisat de Royan, a faict allonger cette église et faict faire ce portail en 1631. Priez Dieu pour luy") qui est toujours visible au pignon du portail de l’édifice actuel.

[7Ainsi, en 1633, on le voit vendre un petit corps de logis sis à Fontainebleau dont l’acquéreur n’est autre que François Sublet des Noyers, Intendant et Contrôleur Général des Finances du Roi (cf. A. N., Min. cent., XXIV, 337, à la date du 7 mars).

[8A. N., Min. cent., LXXIII, 384, à la date du 9 septembre.

[9A. N., Min. cent., LXXIII, 497, à la date du 12 mars (document ruiné).

[10La donation "à cause de mort" mais sous réserve d’usufruit (10 février 1688) est manquante dans les liasses de l’étude LXXIII. Elle nous est connue par une copie conservée dans les fonds du Châtelet de Paris (A. N., Y 252, fol. 292, cf. C. Léger, op. cit. à la note 4).

[11A. D. Eure-et-Loir, H 4595 (référence citée par C. Léger, Ibidem).

[12Inv. 18.20 (MNR 34). Huile sur toile, 095 x 155 cm. Dépôt du musée du Louvre en 1957.

[13Cette composition est connue en plusieurs exemplaires, notamment celui de la collection La Caze, déposé à Annecy, et celui passé en vente au Dorotheum de Vienne, publié par A. Brejon de Lavergnée (cf. "Nouveaux tableaux de chevalet de Michel Dorigny", Actes du colloque Simon Vouet [éd. S. Loire], Paris, 1992, p. 417-433, ici p. 430).

[14Ainsi, le geste de l’évêque de Droué jusqu’à la forme de sa main se retrouve presque à l’identique dans la voussure de Port-Marly où Dorigny a représenté une allégorie de l’Hiver

[15Par exemple, Noêl Quillerier même s’il apparaît plus statique ou, à l’Arsenal, plus musculeux, ou François Tortebat (1615 ? - 1690), qui rejoint justement l’atelier de Vouet vers 1631, mais dont la minceur actuelle de son corpus, malgré certains efforts (S. Loire, Alvin L. Clark), nous empêche là aussi de définir sa manière.

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