Le 14 décembre dernier, Eric Gross rendait le rapport qui lui avait été commandé par les ministres de l’Education nationale et de la Culture. Nous avions signalé à l’époque la curieuse formulation de la lettre de mission (voir brève du 24/8/07) qui laissait mal augurer du résultat.
Les conclusions du rapport Gross sont effectivement ambiguës et décevantes. D’abord parce que l’on y parle sans arrêt d’enseignement artistique et culturel, une dénomination beaucoup trop vague. Ensuite parce que s’il suggère de rendre obligatoire l’histoire des arts [1].. à l’école, c’est aussitôt pour indiquer que la création d’un horaire effectif dans cette matière n’est pas envisageable, et pour proposer qu’elle soit systématiquement prise en compte par les professeurs des autres disciplines. En gros, tout le monde ferait de l’histoire de l’art, ce qui serait le meilleur moyen pour que personne n’en fasse.
Seule idée satisfaisante du rapport Gross [2] : instaurer une option « histoire des arts » aux concours du Capes et de l’Agrégation, une vieille revendication des historiens de l’art, mais qui n’aurait pas grand sens si aucun enseignement dans cette matière n’était imposé pendant la scolarité obligatoire. Eric Gross propose que soient confiées à ces nouveaux professeurs des missions de formation dans les IUFM (Instituts Universitaires de Formation des Maîtres, maintenant rattachés aux Universités) et d’animation et de coordination dans les académies.
Les réflexions actuelles ne se limitent cependant pas à ce rapport. Deux autres chantiers sont en effet conduits parallèlement sur ce sujet. Le premier est mené par le Haut Conseil de l’Education Artistisque et Culturelle, un organe créé en octobre 2005 pour servir de lieu de rencontre entre l’Education nationale et les acteurs de la Culture et chargé d’émettre des propositions concrètes à destination des politiques. Il comprend dix-neuf membres représentant les administrations, les collectivités locales, les artistes, les chercheurs [3]... Son rapport annuel sera évidemment largement consacré à cette priorité définie par le Président de la République.
Un troisième rapport a été demandé en octobre par Xavier Darcos à Pierre Baqué - également membre du Haut Conseil. Pierre Baqué, dont les historiens de l’art se rappellent qu’il avait fait échouer, contre André Chastel, l’idée d’une agrégation d’histoire de l’art au profit d’une agrégation d’arts plastiques, doit se pencher sur les conditions de mise en œuvre d’un enseignement d’histoire des arts dans le cadre de la scolarité obligatoire.
La situation est donc fort complexe, alors que la volonté d’aboutir rapidement - dès la rentrée 2008 - semble réelle. Mais pour quel résultat ?
Le 18 décembre 2007, le Haut Conseil organisait une réunion de consultation avec plusieurs historiens de l’art [4] représentatifs d’une corporation pour l’instant exclue du débat, alors que celui-ci concerne directement sa discipline. Certains ont en effet, à cette occasion, découvert l’existence de la commission Baqué [5].
Lors de cette réunion, plusieurs questions ont été abordées : quel sera le contenu du programme, quels champs chronologique et géographique couvrira-t-il, comment l’enseignement devra-t-il être dispensé, faudra-t-il s’adosser aux matières historiques, quelle sera l’organisation, combien d’heures par semaine ? Chaque historien de l’art a pu s’exprimer, et le consensus était largement de mise entre les universitaires et les hommes de musée. Ils ont été en particulier unanimes sur un point : l’histoire de l’art doit être confiée aux historiens de l’art. Demande-t-on à des historiens d’enseigner les mathématiques ou aux mathématiciens d’enseigner la chimie ?
Le départ de Pierre Bacqué au milieu de la réunion, pour se rendre chez le Ministre rendre une partie de ses conclusions, a provoqué un certain agacement de plusieurs participants qui ont eu l’impression que tout était déjà décidé sans eux. Jean-Miguel Pire, rapporteur du Haut Conseil, nous a affirmé qu’il s’agissait d’un malentendu. Selon lui, aucune décision n’est encore prise [6].
Des différents échos que nous avons pu avoir, il semble que l’on pourrait s’orienter vers les mesures suivantes [nos remarques sont entre crochets].
– un enseignement obligatoire d’histoire des arts [et non d’histoire de l’art] serait bien instauré dès le primaire, et jusqu’au baccalauréat ;
– le nombre d’heure n’est pas encore fixé mais il ne devrait pas dépasser 20 heures par an dans le primaire, et 36 heures dans le secondaire, soit dans ce dernier cas une heure hebdomadaire, ou plutôt l’équivalent réparti en quelques sessions de plusieurs heures. [Ce point reste encore incertain, bien qu’il soit fondamental ; décréter l’histoire de l’art obligatoire en ne dégageant pas des horaires spécifiques, comme le suggèrait le rapport Gross, reviendrait à ne rien faire. Il est par ailleurs essentiel que les visites de musées ou de monuments historiques ne mordent pas sur cet horaire réduit, d’autant que les sorties culturelles sont déjà largement pratiquées dans nombre d’établissement scolaire.] ;
– une option « histoire des arts » serait créée aux agrégations d’histoire et de lettres [il ne s’agirait donc pas d’une véritable agrégation d’histoire de l’art] ;
– les cours seraient dispensés en primaire par les professeurs des écoles et dans le secondaire par les agrégés titulaires d’une agrégation avec option d’histoire des arts. Ces derniers formeraient également les professeurs des écoles [en attendant que les agrégés titulaires d’une option d’histoire des arts soient formés, qui tiendra leur rôle ?]. A terme, cela devrait aboutir à la création d’une cinquantaine de postes d’agrégés supplémentaires ce qui pourrait constituer de nouveaux débouchés pour les historiens de l’art.
Notons enfin que la création d’un poste d’Inspecteur Général de l’histoire de l’art a été proosé au ministre par le Haut Conseil et qu’un bilan des classes d’options « histoire des arts » testées depuis 1993 dans des lycées français (actuellement 127) devrait être fait. Cette expérimentation a été organisée sans que jamais les historiens de l’art y soient associés.
Il convient de rester prudent. Il est essentiel que l’enseignement soit réellement obligatoire, confié à des historiens de l’art, qu’il soit sanctionné par des notes et qu’il dispose d’un véritable horaire. Qu’il soit traité, en somme, comme une véritable discipline. L’Education nationale est une administration si lourde qu’on ne la fera pas bouger deux fois et si la réforme devait se résumer à des demi-mesures comme on peut le craindre, l’occasion serait véritablement ratée. Peut-on réellement espérer que, dans quelques années, tous les élèves auront enfin entendu parler de Nicolas Poussin (voir notre éditorial du 3/9/03) ?
Voir également sur le même sujet l’article d’Olivier Bonfait