Vitraux de Notre-Dame : quelques réflexions supplémentaires

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Alfred Gérente (1821-1868)
sous la direction d’Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1869)
Vitrail de la chapelle Sainte-Geneviève, 1865, troisième chapelle du bas-côté droit
Paris, cathédrale Notre-Dame
Photo : La Tribune de l’Art
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De l’avis des juristes que nous avons consultés, le recours devant le tribunal administratif de l’association Sites & Monuments contre le marché passé par l’Établissement public chargé de la conservation et de la restauration de Notre-Dame (voir l’article) a toutes les chances d’aboutir pour la raison évidente qu’il ne s’agit pas ici de conserver la cathédrale mais bien au contraire de l’inverse. On conserve quand on restaure les vitraux de Viollet-le-Duc (ce qui par parenthèse a déjà été fait). Les enlever, pour les remplacer, c’est l’inverse de la conservation (il n’est pas nécessaire d’être très doué en français pour le comprendre).

Mais cette affaire ne concerne peut-être pas que le tribunal administratif.

Il faut en effet lire l’article 432-15 du code pénal : « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l’un de ses subordonnés, de détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou effets, pièces ou titres en tenant lieu, ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission, est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit de l’infraction.
La peine d’amende est portée à 2 000 000 € ou, s’il excède ce montant, au double du produit de l’infraction, lorsque l’infraction est commise en bande organisée.
La tentative des délits prévus aux alinéas qui précèdent est punie des mêmes peines.
 »

On peut donc y lire notamment que : « Le fait, par une personne […] chargée d’une mission de service public […] de […] détourner […] des fonds publics […] remis en raison de ses fonctions ou de sa mission est puni de ». Or, l’établissement public de Notre-Dame est chargée d’une mission de service public, précisée par la loi du 29 juillet 2019 de manière très précise.
Dans l’article 9, qui crée l’établissement public, sa mission est en effet définie ainsi : « assurer la conduite, la coordination et la réalisation des études et des opérations concourant à la conservation et à la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris [1] »

Il n’y a aucune ambiguïté, d’autant qu’on peut lire dans l’article 2 de la même loi que les fonds recueillis doivent « exclusivement » financer les travaux de conservation et la restauration de Notre-Dame, et que ces travaux doivent préserver « l’intérêt historique, artistique et architectural du monument ». L’intervention de Viollet-le-Duc, classée avec la cathédrale, est largement reconnu comme participant de son intérêt « historique, artistique et architectural ». Enlever certains des vitraux qu’il a dessinés et les remplacer par des vitraux contemporains va à l’opposé exact de la mission de l’établissement public telle qu’elle est définie par la loi.

L’objet de l’établissement public n’est pas respecté par ces travaux dont il ne peut donc en aucune manière être maître d’ouvrage [2]. Les salaires de l’établissement public étant payés par son budget, et celui-ci étant constitué d’argent public, on peut donc raisonnablement s’interroger : n’est-on pas dans un cas relevant de l’article du code pénal cité plus haut ?
Seule une procédure pénale pourrait permettre de le confirmer, ou non. Il faut espérer que celle-ci aura lieu parallèlement aux actions devant les tribunaux administratifs.
Nous avons interrogé l’établissement public pour savoir ce qu’il pouvait répondre à ce questionnement, mais nous n’avons pas reçu de réponse.

L’obstination du président de la République que nous avons déjà soulignée à plusieurs prises est désormais encore plus incompréhensible. Car la justice étant souvent très lente, et l’association Sites & Monuments étant décidée à aller jusqu’au bout, dans deux procédures, jusqu’au Conseil d’État s’il le faut, il est évident que les jugements définitifs ne seront rendus que dans plusieurs mois, voire plusieurs années, bien au-delà de la date prévue pour l’achèvement des nouveaux vitraux, avec un risque très fort de voir ceux-ci retoqués. Va-t-il prendre le risque de lancer leur fabrication (3,7 millions, sans compter le démontage et l’installation), gâchis énorme d’argent public, et encore davantage si la justice l’interdit ? Sans compter que l’opposition assez générale à ce projet voulu par Emmanuel Macron pourrait bien ne pas survivre à son départ de l’Élysée.

Tout ce que nous avons écrit plus haut milite décidément pour l’arrêt rapide et définitif de cette fuite en avant.

Didier Rykner

P.-S.

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Notes

[1Il peut également : « Réaliser des travaux d’aménagement de l’environnement immédiat de la cathédrale Notre-Dame de Paris tendant à sa mise en valeur et à l’amélioration de ses accès », « Identifier des besoins en matière de formation professionnelle pour la réalisation des travaux de conservation, de restauration et de valorisation de la cathédrale » et « En lien avec les ministères et leurs opérateurs compétents, élaborer et mettre en œuvre des programmes culturels, éducatifs, de médiation et de valorisation des travaux de conservation et de restauration, ainsi que des métiers d’art et du patrimoine y concourant, auprès de tous les publics », toutes missions qui ne changent rien à notre raisonnement.

[2Les autres missions citées note précédente ne permettent pas davantage d’être maîtrise d’ouvrage pour remplacer les vitraux de Viollet-le-Duc.

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