Vitraux de Notre-Dame : des pressions sur la CNPA ?

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Alfred Gérente (1821-1868)
sous la direction d’Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1869)
Vitrail de la chapelle Saint-Pierre, 1865, cinquième chapelle du bas-côté droit (après restauration)
Un des vitraux menacé d’être déposé
Paris, cathédrale Notre-Dame
Photo : Didier Rykner
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Nous avons toujours dit ce que nous croyons aller dans le sens de la défense du patrimoine. À ce titre, nous avons salué quelques actions remarquables de Rachida Dati, et nous le faisons à nouveau pour les nombreuses protections dont vont bénéficier plusieurs monuments parisiens qui en étaient jusqu’alors dépourvus.
C’est ainsi qu’en CRPA Île-de-Franc seront proposés, sur sa décision, plusieurs monuments, dont certains pour lesquels nous nous sommes déjà battus, tels que l’ancien hôpital La Rochefoucauld (la totalité du domaine), le palais de Tokyo (façades et toiture, dans un premier temps) ou encore la fontaine Debussy. C’est une avancée extraordinaire, en attendant la suite qui nous est promise, c’est-à-dire leur classement (il s’agit d’abord d’une inscription) et la protection d’autres monuments parisiens.

De même, il faut saluer l’extraordinaire avancée que constitue la décision, qui vient d’ailleurs d’être votée par le Conseil de Paris, y compris par la majorité municipale (à l’exception notable des écologistes, décidément irrécupérables lorsqu’il s’agit de patrimoine bâti), de créer un très grand site patrimonial remarquable pour les sept premiers arrondissements parisiens, plus l’intégralité du secteur UNESCO patrimoine mondial le long de la Seine, soit des portions non négligeables des VIIIe, XIIe, XIIIe, XVe et XVIe arrondissements. La délimitation doit être votée en CNPA à la rentrée et, dès ce moment, en attendant que le règlement soit mis en place (ce qui peut prendre plusieurs années), l’avis de l’ABF sera nécessaire pour tous les travaux menés sur cette zone. Tout cela sera à mettre au crédit de Rachida Dati : elle aura fait davantage en moins de deux ans que ses prédécesseurs en plusieurs dizaines d’années.

Mais puisqu’il est question de la CNPA, des informations préoccupantes nous parviennent à propos de la séance qui aura lieu aujourd’hui, ce matin sur le Louvre, et cette après-midi sur Notre-Dame. Si nous n’avons pas d’informations sur la matinée, l’organisation du vote sur le projet de Claire Tabouret nous inquiète fortement.
La commission devra se prononcer d’une part sur le projet lui-même, puis sur les conditions de dépose et de présentation des vitraux de Viollet-le-Duc.

Rappelons que le vote précédent, à l’unanimité, avait déjà pu être obtenu car les fonctionnaires membres de la commission, qui manifestement ne peuvent pas voter contre ce projet présidentiel, avaient eu le droit de ne pas prendre part au vote. Rappelons aussi que le ministre de la Culture suit la plupart du temps l’avis de la Commission, mais qu’il n’y est pas obligé. On comprend bien néanmoins qu’un nouveau vote contre le remplacement de vitraux à Notre-Dame (qui serait obtenu à l’unanimité, une fois de plus, si la liberté de vote était donnée aux fonctionnaires) dérange la ministre et le président de la République, car il confirmerait une fois de plus que tout le monde (l’opinion, à travers la pétition, que vous pouvez toujours signer, et les spécialistes du patrimoine) s’oppose à ce scandaleux projet.

Nous avons donc eu vent de très fortes pressions sur les fonctionnaires membres de cette commission, pour qu’ils suivent expressément les consignes de vote directement inspirées par le président de la République.
La CNPA, et les fonctionnaires qui en font partie, ont pour rôle de conseiller la ministre. Comment pourrait-elle donner des ordres sur les conseils que ceux-ci doivent lui prodiguer ?
Le ministère nous répond que la dépose, sur laquelle elle admet que la CNPA avait voté contre, a été néanmoins décidée, qu’un lauréat a été choisi et que les travaux suivent leur cours. Il précise que l’opportunité n’est donc pas le sujet, et que celui-ci est bien : si les vitraux étaient déposés, les cartons de Claire Tabouret conviendraient-ils.

Il est évident - c’est ce que feraient tous les défenseurs du patrimoine - que devant la manière dont le premier avis a été suivi, cette question sur le projet présenté n’a pas lieu d’être. Qu’on trouve un ou deux fonctionnaires prêts à voter sur les modalités d’un projet qu’il refuse est possible. Mais dans leur immense majorité, tant les autres membres de la CNPA que la plupart des fonctionnaires devraient voter contre s’ils sont libres de le faire.
Le ministère nous a dit que ceux-ci étaient libres de leur vote. Nous verrons bien ce qu’il en est réellement cet après-midi.

Quant à la seconde question du jour, c’est-à-dire les conditions de dépose des vitraux et de leur présentation au public sans les envoyer en caisses, elle se pose encore moins si le vote est non à la dépose, et non au projet de Claire Tabouret (sans oublier les procédures judiciaires en cours et à venir).
Il n’est d’ailleurs plus question de les installer dans le Musée de l’Œuvre puisque celui-ci est encore dans les limbes (voir l’article, mais peut-être à la Cité de l’architecture, ou à Pierrefonds, ou dans d’autres lieux encore à discuter. Il est heureux qu’on n’impose plus cela au musée de Notre-Dame qui, s’il voit le jour, n’aurait pas la place pour les montrer. Mais rappelons que l’intérêt patrimonial de ces vitraux est in situ, pas hors de la cathédrale.

Que la ministre de la Culture, qui dans bien des cas agit comme peu de ses prédécesseurs en faveur du patrimoine, ne s’oppose pas directement au projet présidentiel peut se comprendre. Mais elle doit laisser libres ses fonctionnaires dans un vote qui concerne un monument qu’ils ont pour rôle de défendre.
Rachida Dati s’honorerait à ne pas interférer dans ce dossier. Et si, effectivement, elle laisse libre le vote des fonctionnaires, elle doit le manifester clairement (car ce n’est pas l’impression donnée à quelques heures du vote). Nous dénoncerons fermement tout ce qui irait dans le sens opposé.

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