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Vincent van Gogh, Les Lettres
Auteurs : Sous la direction de Leo Jansen, Hans Luijten et Nienke Bakker
Écrivant à son frère, le dimanche 25 mars 1888, Van Gogh notait ceci : « il sera peut-être [sic] intéressant de garder la correspondance des artistes. » Cette lettre, digne d’être conservée et étudiée, lui avait été expédiée par le peintre John Russell, qu’il avait croisé deux ans plus tôt dans l’atelier de Cormon. Autre « étranger » à se lier à Émile Bernard et Toulouse-Lautrec, l’Australien est l’auteur d’un superbe portrait de Van Gogh en seigneur des Pays-Bas, sûr de sa vocation. Mais, pour nous, le conseil de Vincent à Theo a évidemment valeur prémonitoire et s’applique d’abord à son activité épistolaire, précoce, inlassable, admirable, fertile de mille façons. Ses destinataires, Theo et Bernard entre autres, en prirent vite conscience qui gardèrent ce trésor posthume… Et l’on sait combien la publication de certaines de ces lettres, au cours des années 1890 devait conduire quelques esprits lucides, Octave Mirbeau par exemple, à infléchir en profondeur la thèse du fou génial, génial parce que fou.
Sans négliger le poids des pathologies, le grand critique parisien s’insurgeait contre l’image du dément, en proie à ses démons intérieurs, et rendait à sa peinture sa part de conscience et d’« humanité ». La correspondance de Van Gogh ne saurait donc être réduite au journal d’un déréglé à qui la peinture servait d’exutoire. Pour reprendre une distinction chère aux années 1970, il s’agit moins d’un document que d’un monument à plusieurs titres et à plusieurs étages. Acte littéraire délibéré malgré une horreur évidente des effets trop appuyés, riches en informations sur la vie, sur la carrière du peintre et en aperçus sur le sens même de la vie, ces lettres occupent dans sa réflexion esthétique une place équivalente à l’élaboration picturale proprement dite. Il faut se réjouir de la possibilité qui nous est enfin donnée de les lire comme Vincent les a voulues, à la faveur d’une transcription littérale et d’une traduction neutre. Transcription parce qu’un tiers…