Versailles et Fontainebleau : deux projets d’hôtels dans des monuments historiques

1. Hôtel du Grand Contrôle
12, rue de l’Indépendance Américaine
Versailles
Photo : Didier Rykner
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L’idée est dans l’air du temps : il faut rentabiliser les monuments historiques.
Si nous combattons en général ce principe qui permet souvent de justifier les pires dérives, il faut reconnaître que, dans certains cas, cette volonté peut se justifier. Les projets de Versailles - que Jean-Jacques Aillagon présentait il y a quelques jours dans sa conférence de presse (voir brève du 15/12/10) - et de Fontainebleau montrent que, parfois, la réutilisation d’un monument historique est utile et même nécessaire pour sa préservation.

A cela, il faut plusieurs conditions : que la réutilisation du bâtiment en respecte l’architecture, que celle-ci ne prive pas le public de monuments importants ou conservant des décors qu’il pourrait visiter et, bien sûr, que cette nouvelle affectation soit viable.
Les deux premières conditions sont, à coup sûr, remplies par l’Hôtel du Grand Contrôle à Versailles et l’ensemble des Héronnières à Fontainebleau. Tous les deux partagent un historique récent commun : ils étaient affectés à l’armée et inaccessibles aux visites. Leur qualité est remarquable mais ils ne conservent hélas pratiquement plus de décors ce qui rend impossible - et sans grand intérêt - leur aménagement pour des visites publiques et leur état actuel est très mauvais, ce qui signifie qu’il faut absolument trouver rapidement une utilisation qui permette leur restauration. Une visite de ces lieux s’impose pour mieux comprendre l’étendue du problème.


2. Hôtel du Grand Contrôle à Versailles
Cheminée
Photo : Didier Rykner
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3. Hôtel du Grand Contrôle à Versailles
Cheminée
Photo : Didier Rykner
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4. Hôtel du Grand Contrôle à Versailles
Escalier principal
Photo : Didier Rykner
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L’Hôtel du Grand Contrôle (ill. 1) se situe à Versailles, à proximité du château, 12, rue de l’Indépendance Américaine, une voie riche en hôtels particuliers. On lit un peu partout (et même dans le dossier de presse) qu’il aurait été construit dans les années 1680 par Jules Hardouin-Mansart. Cette attribution est fausse comme le confirme la lecture de l’ouvrage récemment paru, qui ne l’évoque même pas [1]. Son architecture est intéressante mais l’intérieur, en piteux état, ne contient plus aucun décor notable à l’exception de quelques belles cheminées (ill. 2 et 3). Il a suffi de six ans d’abandon pour arriver à cette situation. Le plafond de l’escalier (ill. 4) s’est même écroulé. S’il est souhaitable que certains monuments restent dans le giron de l’Etat, il faudrait au moins que celui-ci soit vertueux. On en est loin.
Incontestablement, la disposition des lieux ((ill. 5) doit permettre de créer l’hôtel de charme dont a parlé le président de Versailles dans sa conférence de presse sans que cela prive le public d’un ensemble qui n’a pas vraiment vocation à être ouvert à la visite mais doit être absolument conservé. Le lieu est très agréable et la vue sur l’Orangerie (ill. 6) superbe. La mise en concurrence a permis de trouver un exploitant, la société Ivy International S.A., qui y créera un hôtel de 23 chambres. Le montant des travaux - qui seront réalisés sous la direction de Frédéric Didier - est estimé à 5,5 millions d’euros et l’ouverture prévue fin 2011.


5. Hôtel du Grand Contrôle à Versailles
Pièce au second étage
Photo : Didier Rykner
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6. Hôtel du Grand Contrôle à Versailles
Vue sur l’Orangerie
Photo : Didier Rykner
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Jean-Jacques Aillagon a raison : cette solution permettra à la fois de restaurer un monument historique, d’améliorer les abords directs du château et, enfin, de fournir, pendant 30 ans au moins, des revenus réguliers supplémentaires au château de Versailles (environ 300 000 € par an).


7. Jacques V Gabriel (1667-1742)
Pavillon d’entrée à droite
Les Héronnières, Fontainebleau
Photo : Didier Rykner
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8. Pavillon d’entrée à gauche (XIXe siècle)
Les Héronnières, Fontainebleau
Photo : Didier Rykner
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Les Héronnières à Fontainebleau sont les anciennes écuries du château, un ensemble dont la surface est beaucoup plus importante que celle du Grand Contrôle. L’architecte en est Jacques V Gabriel. Seul un pavillon à gauche de l’entrée, construit symétriquement à celui de droite (ill. 7 et 8), et une aile entière (ill. 9) datent du XIXe siècle dans un style proche de celui des autres édifices. Ils rendent d’ailleurs cohérent le plan-masse de l’ensemble.
Les dégradations sont encore beaucoup plus importantes que pour le Grand Contrôle (ill. 10). Quelques cheminées ont pu être sauvées par le château de Fontainebleau qui les a stockés dans ses réserves mais plusieurs ont été volées (ill. 11) et tout cela fait peine à voir. Les fenêtres sont cassées, les bâtiments sont ouverts aux intempéries.


9. Jacques V Gabriel (1667-1742)
Les Héronnières, Fontainebleau
L’aile à l’arrière-plan date du XIXe siècle
Photo : Didier Rykner
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10. Les Héronnières, Fontainebleau
Cheminée arrachée
Photo : Didier Rykner
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11. Vue sur le château de Fontainebleau
prise des Héronnières
Photo : Didier Rykner
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Il faut rappeler un peu l’historique de cette situation, alors qu’il y a quelques années, cet ensemble qui servait notamment à l’armée pour l’organisation des « trois jours » préalables au service militaire était intact. Lorsque le ministère de la Défense voulut s’en séparer, un projet privé de réhabilitation existait, qui prévoyait de respecter l’historique et même la fonction initiale des bâtiments puisqu’une partie devait devenir un centre équestre. Mais c’était compter, une nouvelle fois, sans l’architecte en chef des monuments historiques Jacques Moulin. Prétextant que cet ensemble devait revenir au domaine du château dont il était l’architecte, il finit à force de persévérance, à ses fins : le projet fut finalement abandonné et le domaine de Fontainebleau récupéra cet ensemble immobilier. L’idée était alors de créer une entrée pour le château avec un parking qui permettrait d’accueillir les cars notamment. Une entrée totalement excentrée donc, située à presque un kilomètre du circuit de visite, de l’autre côté d’une route (ill. 11)... L’architecte ? Jacques Moulin bien sûr, qui proposait par ailleurs de détruire l’aile et le pavillon du XIXe siècle qui s’harmonisent pourtant parfaitement avec l’ensemble. Devant les obstacles pratiques et faute de moyens, le projet ne fut pas réalisé mais le résultat fut désastreux : abandonné par l’armée pendant plusieurs années, sans affectation et sans entretien, Les Héronnières se dégradèrent extrêmement rapidement (ill. 12) et furent soumises au pillage.


12. Les Héronnières, Fontainebleau
Photo : Didier Rykner
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La seule solution viable aujourd’hui semble bien être la location pour transformer cet ensemble dont la conservation respectueuse s’impose mais dont le château n’a pas réellement besoin. Il est certain qu’un projet intelligemment mené pourrait créer ici un ensemble hôtelier permettant d’abriter, par exemple, des séminaires ou des congrès, d’autant qu’il existe déjà un amphithéâtre qui pourrait être réhabilité. L’absence de décors permet une telle utilisation pourvu qu’elle respecte l’architecture.

Le Centre des Monuments Nationaux a, de son côté, entamé une réflexion sur l’opportunité de mettre en œuvre une politique comparable dans certains monuments. Les critères définis semblent poser les bonnes limites à ce type d’opération, notamment la compatibilité entre la visite des lieux et l’exploitation. Il reste qu’il faudra suivre ceci de manière très attentive puisque les dérives potentielles sont nombreuses et que certains n’auraient sans doute pas tous ces scrupules. En témoigne notamment le rapport établi par le sénateur UMP Albéric de Montgolfier à destination du président de la République qui, malgré certaines propositions pertinentes, formule des recommandations particulièrement dangereuses (multiplication des baux emphytéotiques, possibilité de faciliter la vente des monuments appartenant à l’Etat, malthusianisme croissant des mesures de protection du patrimoine...). N’oublions pas que le monument historique le plus important actuellement concerné par ces projets n’est autre que l’Hôtel de la Marine qui, justement, devrait en être le premier protégé.

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