Il est temps de respecter la Colonnade du Louvre

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Addendum (24 mai, 14 h 15) : Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Après avoir lu les commentaires de cet article et discuté avec des amis historiens, je pense que la position des défenseurs du patrimoine et du Louvre devrait être celle-ci : si l’enlèvement de l’état Duban et le creusement des fossés était à mon sens une erreur - que ceux-ci aient été prévus à l’origine ne rend pas pour autant légitime leur creusement trois siècles plus tard - ils existent et ne sont pas contraires à l’architecture. Il ne faut pas se faire d’illusion : le retour des grilles et des jardins n’arrivera pas. On risque, compte-tenu de ce que souhaite faire le Louvre ici, une véritable catastrophe patrimoniale. Il faut donc s’opposer au comblement des fossés, quelque soit ce qu’on voudrait y mettre, évidemment enlever une fois pour toute les préfabriqués qui s’y trouvent, ne surtout pas y mettre d’arbres, ce qui est un contre-sens architectural, et se contenter de transformer les lieux de manière respectueuse et économe. Nous nous battrons pour cela.

1. La place du Louvre
À gauche l’ancienne mairie du Ier arrondissement d’Hittorf,
au centre le beffroi de Ballu, à droite
Saint-Germain-l’Auxerrois (décembre 2011)
Photo : Mbzt (CC BY-SA 3.0)
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Une réunion était organisée ce soir à la mairie de Paris Centre par son maire Ariel Weil afin de lancer une réflexion sur la « place du Louvre », un terme inadapté puisque celle-ci, qui se trouve devant l’église Saint-Germain-l’Auxerrois et l’ancienne mairie du Ier arrondissement de Hittorff (ill. 1), se voit agrandie désormais par la rue de l’Amiral de Coligny qui sépare cet ensemble du Louvre et en y ajoutant l’esplanade et les fossés longeant la Colonnade. « Réinventer Paris », quand on demande surtout à nos élus de l’entretenir, est décidément une manie. Il est vrai néanmoins que les lieux ne sont pas dans un état idéal. Et pour une fois ce n’est pas vraiment la Ville qui en est responsable mais bien le Louvre : celui-ci ne se contente pas en effet d’occuper les fossés par des bâtiments préfabriqués (ill. 2 et 3) depuis des années voire des dizaines d’années, il organise régulièrement des événements lucratifs dans la Cour carrée qui débordent largement sur la Colonnade (ill. 4 et 5) et contribuent à détériorer un peu plus les lieux (voir cet article).


2. Les baraquements dans les fossés du Louvre en février 2021
Photo : Didier Rykner
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3. Les baraquements dans les fossés du Louvre en mai 2023
Photo : Didier Rykner
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4. Baraquements montés devant la colonnade pour un événement dans la Cour carrée (2 mars 2019)
Photo : Didier Rykner
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5. Baraquements montés devant la colonnade pour un événement dans la Cour carrée (2 septembre 2022)
Photo : Didier Rykner
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Si le musée a enfin prévu d’enlever ces baraquements indignes, dont presque personne ne s’est jamais scandalisé, avant la fin de l’année, c’est également parce qu’il caresse de grands projets pour cet endroit. La présidente du Louvre Laurence des Cars souhaite en effet créer dans la Colonnade une nouvelle entrée afin de mieux répartir les flux de visiteurs. Une nécessité que nous avons déjà soulignée à plusieurs reprises, qui permettrait de diminuer la fréquentation excessive, notamment de la Grande Galerie, et d’augmenter celle des salles autour de la Cour carrée, notamment au deuxième étage où sont pourtant exposés Vermeer, Rembrandt, Rubens et Poussin, mais qui sont néanmoins souvent très vides (voir cet article).


6. La Colonnade du Louvre vue de loin (on ne voit pas les baraquements dans les fossés) et sans aucune baraque temporaire ni voitures garées devant,
le 14 juillet 2010 (une situation extrêmement rare)
Photo : Jean-Pierre Dalbéra (CC BY 2.0)
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Tout irait donc mieux dans le meilleur des mondes si la démesure ne pointait pas le bout de son nez. On parle déjà (voir Le Figaro d’aujourd’hui) de concours international d’architecte ! Rappelons que nous sommes là dans un monument historique insigne, la colonnade de Perrault (ill. 6), comme d’ailleurs tout le Louvre. Les fossés creusés par Malraux sont menacés car le musée souhaiterait pouvoir y installer des salles d’expositions, celles sous la pyramide étant notoirement peu pratiques car trop basses. Avouons que nous sommes assez indifférent au devenir de ces fossés qui n’ont au fond aucune justification historique.


7. La Colonnade du Louvre avant les travaux effectués par André Malraux
Photo ancienne
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L’étude historique menée par le Grahal à la demande d’Ariel Weil l’a d’ailleurs bien montrée : l’état le plus satisfaisant était celui du Second Empire, imaginé par Duban (ill. 7) après que les maisons encore existantes entre le Louvre et Saint-Germain-l’Auxerrois eurent été rasées. On y voyait en effet des grilles de belle facture entourant des pelouses qui mettaient certainement bien mieux en valeur la façade que ne le font les fossés. Enlever les grilles autour des jardins est décidément une manie à Paris, et cela existait déjà il y a soixante ans. Malraux l’a fait, montrant une fois de plus que s’il fut un défenseur du patrimoine, ce côté positif est complétée par une face plus sombre. La destruction de l’état Duban, remplacé par ces fossés et surtout par une grande esplanade poussiéreuse, était un acte de vandalisme que nous accepterions difficilement aujourd’hui.

Bref, nous ne nous battrons pas contre la disparition des fossés, mais diverses sources nous font craindre le pire : le Louvre envisagerait sérieusement de les couvrir par de grandes dalles transparentes afin de faire venir la lumière dans les salles d’expositions qui se trouveraient dessous. Une très mauvaise idée et là aussi un vandalisme qui défigurerait la façade aussi sûrement qu’un geste architectural. Il est évident que soit on conserve les fossés (mais sans baraquements), soit on les supprime en y construisant en sous-sol des salles d’exposition, mais sans que cela se voit en surface.


8. Les fossés de la colonnade (avec les préfabriqués), l’esplanade,
la rue de l’Amiral de Coligny, la place du Louvre.
Photo : Google Earth
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Lors de la réunion à la mairie, on n’a cessé de parler d’une « place du Louvre » qui réunirait donc tout ce qu’on trouve entre la colonnade et les monuments qui lui font face. Mais il ne s’agit en aucune manière d’une place. Très allongé, cet espace est né de la démolition des maisons qui s’y trouvaient, et de la construction plus tardive de la mairie et du beffroi. Ce n’est pas une place, c’est la réunion de trois lieux (ill. 8). Que l’on fasse évoluer cet ensemble de manière coordonnée, certes, mais rien n’oblige à y mener un grand projet.

Ariel Weil, comme le Louvre, pense à un concours international. Mais rien ne dit que la mairie et le Louvre s’entendront, d’autant que tous deux veulent faire appel au président de la République. On se demande bien - avec Claire Bommelaer dans Le Figaro qui s’interroge également sur la légitimité de celui-ci à s’intéresser à pareille question qui dépend surtout du ministère de la Culture - ce qu’Emmanuel Macron viendrait faire dans cette affaire. Mais il est vrai, murmure-t-on, que Laurence des Cars ne traiterait qu’avec le président de la République en court-circuitant le plus possible la ministre de la Culture.


9. Vue d’artiste présentée par le maire de Paris Centre Ariel Weil
(il précise bien qu’il ne s’agit pas d’un projet, seulement d’une illustration)
© Ville de Paris–Apur-Celine Orsingher
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Avouons donc notre inquiétude. Ariel Weil, a montré quelques visuels ayant simplement pour but de suggérer ce qu’on pourrait faire là. Il se garde bien d’imaginer quelque chose de trop violent, mais on y voit ces grandes pelouses ouvertes qu’affectionne tant la mairie de Paris qui se dégradent à grande vitesse, et des arbres dans les fossés, ce qui est assez incohérent avec ce leur fonction architecturale (si on les conserve). Mais notre inquiétude est peut-être encore plus forte du côté du Louvre.
Les choses sont pourtant simples : faire entrer des visiteurs par la Colonnade - ce qui existait d’aillleurs avant le Grand Louvre - n’a aucune raison de se transformer en chantier pharaonique. Quant à l’aménagement de la « place », il serait bon de s’inspirer tout simplement de l’état Duban, typiquement parisien, qui serait très facile à reconstituer et qui pourrait aboutir - avouons que finalement cette solution nous conviendrait - à combler les fossés, et à permettre au musée de créer les grandes salles d’exposition qui lui manquent.

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