Depuis quelques mois, la restauration de Notre-Dame a permis de rendre au ciel de Paris la silhouette bien connue de l’édifice (ill. 1). La flèche s’élève à nouveau, exactement semblable à celle qui a disparu dans l’incendie, prouvant de facto que le choix de la refaire à l’identique était le bon. On ne peut qu’admirer ce travail, réalisé aussi rapidement sans aucune nécessité réelle. Le chantier va néanmoins se poursuivre car la cathédrale est bien loin d’avoir été entièrement restaurée : si les dégâts de l’incendie ont été réparés, il reste encore à traiter une grande partie de l’extérieur, à l’exception de la façade qui l’avait été il y a quelques années.
- 2. Vue du chœur de Notre-Dame, après restauration
Photo : La Tribune de l’Art - Voir l´image dans sa page
- 3. Le déambulatoire de Notre-Dame, après restauration
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Mais qu’en est-il de l’intérieur, où les travaux sont désormais terminés ? Le résultat, disons-le d’emblée, nous paraît très satisfaisant. Si certains, peut-être parce qu’ils ne l’ont encore vue que par les images diffusées à la télévision, se plaignent déjà d’une cathédrale trop blanche, nous pensons qu’il n’en est rien (ill. 2 et 3). Les lecteurs de La Tribune de l’Art savent que nous sommes les premiers à dénoncer les restaurations parfois abusives, comme c’est le cas malheureusement depuis très longtemps à Versailles. Mais ici rien de tel : la pierre a été nettoyée de la crasse qui s’était accumulée depuis plus d’un siècle. Nous avions visité le chantier (voir l’article) et constaté que le nettoyage semblait fait d’une manière précautionneuse [1].
- 4. Vue de l’intérieur de la cathédrale en 2018, moins d’un an avant l’incendie
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
- 5. Vue de l’intérieur de la cathédrale en 2018, moins d’un an avant l’incendie
Photo : Didier Rykner - Voir l´image dans sa page
Si le résultat surprend, c’est que nous n’étions plus habitués à cela. La dernière fois que nous avions pu entrer dans Notre-Dame - c’était quelques mois à peine avant l’incendie - tout était sombre (ill. 4 et 5), les chapelles étaient difficilement visibles, et tout autant les œuvres d’art. Nous avions pris beaucoup de photographies afin de compléter notre base Stella, et nous les remplacerons progressivement par celles des objets restaurés, tout en conservant les anciennes afin que l’on puisse voir la différence.
L’une des caractéristiques du gothique par rapport au roman est la création de larges baies qui laissent passer davantage de lumière, filtrée par des vitraux. C’est exactement comme cela qu’a été conçue Notre-Dame. À la lumière naturelle s’ajoute désormais un éclairage artificiel (rappelons-nous que celui-ci existait autrefois, grâce aux cierges et aux bougies) très réussi, qui pourra être modulé en fonction des besoins.
- 6. Le Magnificat de Jean Jouvenet à son nouvel emplacement à l’entrée de la cathédrale à droite, dans Notre-Dame
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- 7. Le Magnificat de Jean Jouvenet à son ancien emplacement dans le
déambulatoire en 2018
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Beaucoup d’œuvres ont changé de place, ce qui n’est pas forcément gênant. On admirera notamment, dès l’entrée à gauche, la Vierge à l’enfant de Louis-Claude Vassé, qui ornait naguère le transept gauche. Toutes les sculptures ont également été nettoyées et celles-ci, magnifiques, seront sans doute une découverte pour beaucoup, comme le seront tous les monuments sculptés des chapelles qui, pour la plupart d’entre eux, étaient très sales.
- 8. La clôture de chœur de Notre-Dame
du XIVe siècle, après restauration
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- 9. Les stalles sculptées de Notre-Dame,
de 1710 après restauration
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Une autre œuvre accueille le visiteur, à droite cette fois : La Visitation, dit aussi Le Magnificat de Jean Jouvenet (ill. 6), naguère dans le déambulatoire (ill. 7) - et alors absolument invisible car on ne pouvait pas entrer dans la chapelle - qui avait été restauré déjà et présenté dans l’exposition Le Baroque des Lumières au Petit Palais (voir l’article). Celui-ci faisait partie d’une commande en 1710 pour orner le chœur de Notre-Dame, qui comprenait sept autres tableaux. Deux d’entre eux, en cours de restauration, seront bientôt réinstallés dans la cathédrale.
- 10. Nicolas Coustou (1658-1733)
Pietà, 1723 (après restauration)
Marbre
Paris, cathédrale Notre-Dame
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- 11. Antoine Coysevox (1640-1720)
Louis XIV, 1713-1715 (après restauration)
Marbre - 182 x 85 x 123 cm
Paris, cathédrale Notre-Dame
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- 12. Guillaume Coustou (1677-1746)
Louis XIII, 1713 (après restauration)
Marbre - 172 x 110 x 180
Paris, cathédrale Notre-Dame
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La clôture du chœur, ensemble sculpté du XIVe siècle (ill. 8), les stalles du début du XVIIIe siècle (ill. 9), le Vœu de Louis XIII, par Nicolas Coustou, Guillaume Coustou et Antoine Coysevox (ill. 10 à 12) de la même époque, le Mausolée du comte d’Harcourt de Jean-Baptiste Pigalle, celui du cardinal de Belloy par Louis-Pierre Deseine (ill. 13) ou encore bien sûr la Vierge à l’enfant vers 1350, au pied du pilier à l’entrée du chœur (ill. 14), dont l’image au lendemain de l’incendie, avec les débris enflammés à ses pieds qui ne l’ont pas touchée, a marqué les esprits, ces chefs-d’œuvre de la statuaire française de toutes les époques, et bien d’autres encore sont désormais non seulement restaurés, nettoyés mais aussi parfaitement visibles, et c’est un enchantement que nous n’aurions jamais cru possible.
- 13. Louis-Pierre Deseine (1749-1822)
Mausolée du cardina de Belloy, vers 1805 (après restauration)
Marbre
Paris, cathédrale Notre-Dame
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- 14. France, début du XIVe siècle
Vierge à l’enfant, dite Vierge du pilier
(après restauration)
Pierre - H. 180 cm
Paris, cathédrale Notre-Dame
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Les chaises, dont nous avions dit qu’elles n’étaient pas très belles, ne le sont pas davantage, mais il est vrai qu’elles se font plutôt discrètes, et que leur accumulation dans la nef n’est en rien gênant (ill. 15). Elles ne sont tout compte fait pas pires que des chaises classiques comme il y en avait avant. Les images de la nef vide (ill. 16), comme elle l’était le plus souvent avant le XIXe siècle, sont néanmoins beaucoup plus satisfaisantes, et il faut espérer qu’on la verra parfois ainsi.
- 15. La nef de Notre-Dame, après restauration, avec les chaises
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- 16. La nef de Notre-Dame, après restauration, sans les chaises
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Le mobilier dessiné par Guillaume Bardet nous a confirmé dans notre première impression : il est assez élégant, et lui aussi ne s’impose pas au regard, ce qui est une bonne chose. La matière, un bronze qui ressemble presque à du bois, nous semble bien adaptée en particulier pour l’autel (ill. 17) qui s’harmonise bien avec la couleur des stalles. Les fonts baptismaux (ill. 18), au début de la nef et en son centre, auraient gagné à ne pas être placés sur un piédestal, mais ils ne sont pas trop massifs et se font également largement oublier.
- 17. L’autel dessiné par Guillaume Bardet
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- 18. Les fonts-baptismaux dessinés par Guillaume Bardet
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Nous n’en dirons pas autant du « reliquaire » de la couronne d’épines de Sylvain Dubuisson (ill. 19). Beaucoup trop massif, il masque très largement la chapelle axiale où on l’a installé, et son esthétique m’as-tu-vu est d’un mauvais goût parfait. Quant au « petit parvis », première intervention de Bas Smets devant la cathédrale, il est d’une médiocrité désolante (ill. 20), ce qui inquiète sur la suite de ce projet piloté par la Ville de Paris.
- 19. Le reliquaire de la couronne d’épines
par Sylvain Dubuisson
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- 20. Le dallage du parvis par Bas Smets
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Cela n’est somme toute pas très grave, comme n’est pas très gênante l’installation de tapisseries dans les chapelles nord, face aux Mays. Espérons seulement que celles-ci, confiées aux Gobelins et dont les cartons ont été commandés à Michael Armitage et Miquel Barceló avec un cahier des charges très précis (elles représenteront les saints auxquelles sont dédiées les chapelles), seront réussies, et surtout bien adaptées au lieu. Car celles actuellement prêtées par le Mobilier National, bien que dues à des artistes majeurs (Matisse, Braque, Bazaine…) jurent définitivement avec leur environnement.
- 21. Alfred Gérente (1821-1868)
sous la direction d’Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1869)
Vitrail de la chapelle Saint-Éloi, 1865, première chapelle du bas-côté droit (après restauration)
Paris, cathédrale Notre-Dame
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- 22. Alfred Gérente (1821-1868)
sous la direction d’Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1869)
Vitrail de la chapelle Saint-François-Xavier, 1865, deuxième chapelle du bas-côté droit (après restauration)
Paris, cathédrale Notre-Dame
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Reste, évidemment, la question des chapelles du bas-côté sud et de la suppression de leurs vitraux (voir les articles). Toujours en place, les verrières d’Alfred Gérente sur les dessins d’Eugène Viollet-le-Duc (ill. 21 à 26) ont été nettoyées, et chacun pourra voir à quel point elles sont belles. Nous ne pouvons malheureusement publier ici que des photographies prises à la tombée de la nuit, puisque quand nous avons visité la cathédrale, par un jour ensoleillé où ces vitraux étaient magnifiés, nous n’avions pas le droit de prendre de photos (voir l’article).
- 23. Alfred Gérente (1821-1868)
sous la direction d’Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1869)
Vitrail de la chapelle Sainte-Geneviève, 1865, troisième chapelle du bas-côté droit (après restauration)
Paris, cathédrale Notre-Dame
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- 24. Alfred Gérente (1821-1868)
sous la direction d’Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1869)
Vitrail de la chapelle Saint-Joseph, 1865, quatrième chapelle du bas-côté droit (après restauration)
Paris, cathédrale Notre-Dame
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Mais même ainsi, leur qualité est frappante. Qu’on ait pu lire dans un grand journal du soir qu’il ne s’agirait pas d’une « œuvre artistique » car ce sont des « dessins géométriques » laisse pantois : pour le journaliste du Monde donc, Piet Mondrian n’est pas un artiste, et l’art islamique n’est pas de l’art ? Nul doute que la réouverture, parmi beaucoup d’autres facteurs, aura raison du projet de les remplacer, absurde, coûteux, et destructeur.
- 25. Alfred Gérente (1821-1868)
sous la direction d’Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1869)
Vitrail de la chapelle Saint-Pierre, 1865, cinquième chapelle du bas-côté droit (après restauration)
Paris, cathédrale Notre-Dame
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- 26. Alfred Gérente (1821-1868)
sous la direction d’Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1869)
Vitrail de la chapelle du Sacré-Cœur, 1865, septième chapelle du bas-côté droit (après restauration)
Paris, cathédrale Notre-Dame
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Mais ne boudons pas notre plaisir et félicitons l’Établissement public (meilleur maître d’ouvrage que communiquant), les architectes en chef maîtres d’œuvre, et tous ceux qui ont travaillé à rendre Notre-Dame ainsi. La cathédrale va rouvrir, et chacun pourra l’admirer non pas plus belle qu’auparavant, mais comme il est normal de la voir et comme nous ne l’aurions jamais vue sans l’incendie. À quelque chose, malheur est bon.