Régulièrement, des rapports concernant les musées sont publiés par des instances nationales diverses dans l’objectif de contrôler leur fonctionnement. En général, ces documents sont rédigés par des gens n’ayant aucune compétence particulière dans le domaine et qui n’en comprennent pas toujours les enjeux, les replaçant souvent dans une perspective économique.
Cette fois, comme le révèle Libération, c’est la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée Nationale qui a demandé une mission d’information à quatre députés (de gauche et de droite) sur « la gestion des réserves et dépôts des musées ». Un rapport d’étape (la mission doit se terminer à la fin de l’année) a été remis, qui est publié sur le site de Libération et que vous pouvez télécharger ici. Notons qu’un des parlementaires, Isabelle Attard, est attachée de conservation et a notamment dirigé pendant cinq ans le Musée de la Tapisserie de Bayeux.
Peut-être grâce à sa présence, ce rapport ne contient pas d’erreurs grossières et ses constats correspondent souvent à une réalité. Mais à quoi sert ce genre d’exercice quand il s’agit d’enfoncer à ce point des portes ouvertes, sinon à payer aux parlementaires un agréable voyage d’étude à Washington et à New York (et Londres) pour y visiter les musées et y rencontrer leurs responsables ? Ce document ne révèle en effet absolument rien qui ne soit parfaitement connu. Surtout, même s’il ne s’agit ici que de proposer des pistes de solutions à approfondir d’ici fin 2014, les vraies raisons des dysfonctionnements rencontrés ne sont qu’effleurées.
Que ce soit l’Assemblée Nationale qui mène cette enquête accentue son côté un peu surréaliste. Car deux causes essentielles expliquent l’état des musées aujourd’hui : la baisse des budgets et une décentralisation mal contrôlée qui empêche un contrôle global et livre les musées au bon vouloir des élus locaux. Deux politiques portées et validées depuis de nombreuses années par le Parlement. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que ces deux points ne soient jamais réellement abordés dans le rapport.
Celui-ci comporte quatre chapitres. Et même si aucune réponse définitive n’est donnée, les pistes proposées en conclusion de chaque chapitre laissent penser qu’on s’orientera une fois de plus soit vers de grandes déclarations de principes qui ne pourront être suivies d’aucun effet, soit vers des préconisations dangereuses qui contribueront à aggraver l’état des musées.
Premier chapitre : le récolement. La commission « révèle » (ce que tout connaisseur du dossier sait déjà, non depuis plusieurs mois, mais même depuis plusieurs années) que le récolement décennal imposé par la loi-musée de 2002 sera très loin d’être terminé à sa date de fin théorique du 14 juin 2014. Leur analyse des raisons semble bonne (quatre ans pour que les arrêtés et circulaires nécessaires à l’établissement des procédures soient publiés, retard dans l’élaboration des plans de récolement, parfois des lacunes dans les inventaires…). Mais celle qui nous semblent essentielle pour en avoir discuté avec de nombreux responsables de musées n’est pas suffisamment analysée : le manque de moyens. La réticence que la commission a observé chez certains directeurs de musées s’explique largement de cette manière : la charge, immense, ne peut se faire, à moins d’y affecter des ressources importantes (et donc un coût supplémentaire), qu’au détriment de la simple conservation et de la gestion du musée au jour le jour. Ceci dit, les pistes de réflexion semblent bonnes, notamment celle qui consiste à partager les méthodes utilisées par les musées ayant réussi à mener leur récolement dans les temps, ou celle qui tendrait à modifier les procédures applicables aux musées archéologiques pour lesquels un récolement pièce par pièce n’est pas forcément pertinent.
En revanche, on ne comprend pas bien comment les rapporteurs peuvent approuver une préconisation de la Commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art qui écrivait en 2013 que « la tenue et le récolement des inventaires » soient placés au premier rang des priorités des personnels de conservation. Si l’inventaire des collections est bien sûr essentiel, le récolement, qui consiste à vérifier systématiquement la présence des pièces inventoriées dans leur lieu de stockage, ne peut être une priorité. La priorité, c’est bien entendu la conservation dans les meilleures conditions possibles. Lorsque cela est fait, il est inutile ensuite de passer tout son temps à récoler. On ne comprend pas comment on pourrait imposer aux musées de récoler en permanence au détriment de ses vraies missions.
Le chapitre sur les réserves des musées, fait quelque peu sourire : certains établissements n’auraient pas de réserves dignes de ce nom, ni assez grandes, ni assez sécurisées ! Cette bouleversante révélation ne surprendra évidemment personne, pas davantage que les explications sur l’importance des réserves pour la conservation des œuvres.
Après avoir rappelé doctement (et justement) le rôle indispensable des réserves [1], les rapporteurs reviennent pourtant sur un serpent de mer sur lequel ils souhaitent « se pencher » : la question de l’inaliénabilité des œuvres des musées. On voit à cela qu’on a affaire à des parlementaires qui, régulièrement, essayent de s’attaquer à ce principe auquel tous les professionnels des musées sont attachés pour des raisons que nous avons maintes fois développées ici. Il faudra une fois de plus être particulièrement vigilant sur ce que proposera le rapport final…
On ne s’attardera pas sur le troisième chapitre, dont les parlementaires semblent s’être auto-saisis et qui paraît pourtant hors sujet : la question des œuvres provenant de spoliations. On n’y reviendra pas parce que tout ce qui est écrit est largement connu, que cela a déjà été pris en compte depuis quelques années par le ministère de la Culture qui déploie beaucoup de moyens et d’énergie à ce sujet, et que rien d’original ni d’inédit ne ressort de ce rapport. Bien sûr, jamais les parlementaires n’évoquent la seule question qui n’est jamais traitée : pourquoi les musées ne peuvent-ils jamais ou presque racheter les œuvres qu’ils restituent lorsque les propriétaires les mettent en vente après les avoir récupérées. Ce serait, comme nous le disions, aborder la question budgétaire…
Le quatrième chapitre enfin reprend des termes très à la mode au ministère de la Culture : « valoriser » les collections, notamment en les faisant « circuler ». On se rappelle du pitoyable rapport Seban (que nous analysions ici) et qui est largement évoqué.
Là encore, le constat sur la réalité des dépôts et des prêts est assez juste, même si on lit au moins une grosse erreur (p. 28) : les musées bénéficiaires d’un legs ne pourraient mettre les œuvres en dépôt ! C’est évidemment faux : cela dépend des conditions du legs.
Quant aux pistes de réflexion, elles sont pertinentes quand il s’agit, par exemple, de s’intéresser aux régimes d’assurance des œuvres, mais elles passent complètement à côté de la question essentielle : comment permettre aux musées souhaitant recevoir des dépôts de bénéficier d’œuvres qui les enrichiront sans nuire aux musées déposants. Cela impose de s’interroger sur, d’une part, des collections en déshérence, pas ou mal conservées par les musées qui les possèdent et qui ne pourront jamais les exposer, et les collections « hors collections », c’est-à-dire les œuvres qui ne sont pas cohérentes avec l’objectif du musée propriétaire. Dans le premier cas, nous pourrions prendre l’exemple du Centre des Monuments Nationaux (s’il ne s’agit pas à proprement parler de musées, ses établissements conservent tout de même des collections nationales) avec le Panthéon où des plâtres très importants des XVIIIe et XIXe siècles sont stockés dans les combles sans qu’il n’en fasse rien, ce qui pourrait profiter à beaucoup de musées en France ; pour le second cas, l’exemple est le Musée de la Renaissance à Écouen qui, du fait de son histoire, conserve (bien) de nombreuses œuvres plus tardives qu’il n’exposera jamais et qu’il serait prêt à déposer. À cet égard, qu’une commission soit chargée de mettre en rapport les musées entre eux pourrait être une solution pertinente. Citée par le rapport (une « instance nationale de coordination et de pilotage d’une politique cohérente des dépôts »), ce serait la seule que l’on pourrait retenir des préconisations d’Alain Seban.
On ne pourra juger de l’intérêt de cette mission parlementaire que lorsqu’elle rendra son rapport définitif. Mais il faudrait pour cela qu’elle s’attaque aux vrais problèmes, comme à la conservation des œuvres dans les musées fermés, ou dans ceux qui n’ont pas suffisamment de personnel ni de budget. Tout cela est fort peu probable puisqu’il faudrait alors s’attaquer à ceux qui sont vraiment responsables : certains hommes politiques, c’est-à-dire leurs alter ego.