Alors que nous nous étions inquiété de sa volonté de changer les statuts de l’Etablissement public de Versailles, Jean-Jacques Aillagon nous avait répondu : « cela ne changera rien aux prérogatives du directeur ni à ses missions » (voir brève du 23/7/09). Nous lui avons demandé le 30 mars 2010 de pouvoir consulter le projet actuellement en cours de validation par le Conseil d’Etat. Le président du château de Versailles, par un courriel daté du 1er avril 2010, nous a expliqué ne pouvoir accéder à notre requête et il précisait, confirmant également ce qu’il nous disait en juillet dernier, que le « statut de Versailles met le texte en accord avec ce qui constitue la réalité du fonctionnement de l’Etablissement depuis 1995. »
Or, nous nous sommes procuré ce texte [1], élaboré dans le plus grand secret, que nous a refusé Jean-Jacques Aillagon. Son contenu est absolument contraire à ce qu’il nous affirmait. Bien loin d’entériner un existant et de ne rien changer au pouvoir du directeur général qui, rappelons-le, était un conservateur du patrimoine, il supprime ce poste, le transforme en « directeur du musée » et lui enlève l’essentiel des pouvoirs qu’il détenait au sein de l’Etablissement public. Si ce statut, validé par le ministère de la Culture, devait passer en l’état, on assisterait à une étape supplémentaire de la perte de pouvoir des historiens de l’art sur les musées, à un niveau tel qu’il n’est pas exagéré de parler de scandale à ce propos.
Qu’on en juge par la comparaison entre le statut actuel, déjà défavorable aux conservateurs, et le prochain qui relègue le « directeur du musée » à un simple poste d’exécutant, au même niveau que les autres directeurs (information et communication, relations extérieures, ressources humaines, etc.)
En préambule, on remarquera que sur les sept missions de l’Etablissements public [2], cinq sont purement des missions scientifiques, une (la troisième) l’est très largement et une dernière (la 6) qui consiste à organiser des spectacles musicaux, de théâtre ou de ballet doit être menée de la manière la plus compatible possible avec la conservation du château et sa vocation muséale. Le président (qui en réalité dirige plus qu’il ne préside) d’un établissement public aux missions aussi pointues devrait évidemment être un historien de l’art. Ce n’est pas le cas dans l’actuel statut, ça le sera encore moins dans celui qui est projeté.
Dans l’ancien statut, le directeur général apparaissait dès l’article 2-2. Il était en effet précisé que « la composition et les modalités de fonctionnement de la commission des acquisitions, présidée par le directeur général de l’établissement public, sont définies par arrêté du ministre chargé de la culture. »
Le président était nommé pour trois ans renouvelables. Dans le nouveau statut (article 10), il le sera pour cinq ans pour son premier mandat, puis renouvelable pour des périodes de trois ans. Cela n’est pas gênant, car il est évident que trois ans est trop court pour un premier mandat. Ce qui en revanche est particulièrement choquant est la précision que, désormais, le directeur du musée (ancien directeur général) – qui n’apparaît pour la première fois qu’à l’article 19 - est, lui, nommé pour trois ans, et que ce mandat n’est renouvelable que deux fois. Voici un premier scandale : le président de Versailles, qui n’est pas un scientifique, peut être renouvelé indéfiniment quand le conservateur en charge des collections doit forcément quitter ses fonctions au plus tard au bout de neuf ans ! L’administrateur général, dont nous parlerons plus loin, peut être nommé également sans limitation de durée [3].
Il est précisé dans ce même article 10 que le président « préside le conseil d’administration et dirige l’établissement. » Il s’agit donc bien, comme pour le Louvre, d’un président-directeur. Sauf que les statuts du Louvre prévoient – pour combien de temps encore – que le président-directeur est « nommé en raison de ses compétences scientifiques ».
Le directeur général jouait un rôle dans le conseil d’administration. Il était en effet prévu qu’il pouvait demander au président la réunion du conseil d’administration, et qu’« en cas d’absence ou d’empêchement du président, le conseil d’administration peut être convoqué par le directeur général. » Non seulement aucune de ces prérogatives ne restent au directeur du musée, mais c’est l’administrateur général seul qui peut, « en cas de vacance, d’absence ou d’empêchement du président » convoquer le conseil d’administration.
Viennent un peu plus loin la liste des prérogatives du président. Dans l’ancienne version des statuts, il y avait 11 points. Dans le nouveau, on en compte 14. Le président préside, mais surtout il dirige, et il dirige tout. Dans l’ancien statut, l’article 19 qui décrivait les fonctions du directeur général disait que celui-ci « assiste le président dans ses fonctions. » On précisait qu’il « dirige le département scientifique de conservation mentionné à l’article 4 du présent décret. Il est responsable de la conservation, de la protection, de la restauration, de la gestion, de la mise en valeur et de la présentation au public des collections inscrites sur les inventaires du musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, et de ses annexes, ainsi que de l’étude scientifique desdites collections et de l’architecture des bâtiments et des jardins définis à l’article 7 du présent décret. Il propose le programme des expositions et des manifestations culturelles du musée. » Il était ajouté : « Par délégation du président, il a autorité sur l’ensemble des personnels affectés au service du musée. » On ajoutait également qu’il pouvait « déléguer sa signature à l’administrateur général, aux responsables des services de l’établissement ainsi qu’aux conservateurs de l’établissement » ce qui malgré tout confirmait le fait qu’il était bien le n° 2 de l’organigramme. L’article suivant, qui décrivait le rôle de l’administrateur général – de manière beaucoup plus succincte – prévoyait bien que celui-ci était « placé sous l’autorité du président et, pour les matières relevant de sa compétence, du directeur général. » La formulation était ambiguë car pour certaines missions l’administrateur ne relevait pas du directeur général, mais la hiérarchie était tout de même claire.
Bien évidemment, dans les nouveaux statuts, la hiérarchie n’est pas moins évidente : elle est exactement inversée. L’administrateur général, dont la description de fonction vient (article 18) avant celle du directeur du musée, est « placé sous l’autorité du président [et] il est chargé de administration et de la gestion du domaine ». Par ailleurs : « il assure, par délégation du président, la direction des services de l’établissement. »
En revanche, la définition de fonction du directeur du musée se réduit à la partie que nous indiquions en italique dans le premier statut. Il est n’est plus, clairement, qu’un directeur parmi les autres, rendant compte à la fois au président et à l’administrateur général. S’il préside toujours, comme c’était le cas dans les précédents statuts , le conseil scientifique de l’établissement, sa composition est tellement modifiée que son rôle en sera forcément totalement différent au détriment, une fois de plus, des scientifiques. En effet, ce conseil qui était auparavant composé « des conservateurs du musée et du domaine ainsi que des architectes en chef des monuments historiques et des architectes des Bâtiments de France compétents pour le château et le domaine » n’est plus formé que de « trois conservateurs du musée et du directeur du centre de recherche du château de Versailles » et « du directeur chargé des activités culturelles et éducatives, du directeur du centre de recherche du château de Versailles et de trois personnalités qualifiées désignées par le ministre chargé de la culture, sur proposition des directeurs chargés des musées de France et du patrimoine ». Soit cinq scientifiques avérés et potentiellement cinq membres pouvant n’avoir aucune compétence spécifique dans le domaine de l’histoire de l’art. » Tout cela forme un curieux « conseil scientifique ». De plus, ce « conseil scientifique » ne se réunit plus que deux fois par an alors qu’auparavant le nombre de réunions n’était pas précisé. Bref, le conseil scientifique gênera beaucoup moins qu’auparavant (pour peu qu’il ait eu des velléité de le faire) les décisions du président.
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- 1. Organigramme actuel de l’Etablissement public
de Versailles d’après celui
que l’on trouve sur son site Internet - Voir l´image dans sa page
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- 2. Organigramme futur de l’Etablissement public
de Versailles d’après
ce que l’on peut déduire du projet de statut - Voir l´image dans sa page
Si Jean-Jacques Aillagon a, comme nous l’avions écrit récemment (voir l’article), donné plus d’attention que son prédécesseur à l’action des conservateurs, cela ne l’a pourtant pas empêché de concocter, et en prétendant le contraire, ce texte parfaitement scandaleux pour un établissement public dont le patron n’est déjà plus un scientifique. Aillagon n’est pas énarque, mais il est un équivalent. Demain, si ce statut était appliqué, nous n’aurions pas un énarque à la tête de Versailles comme c’est déjà le cas pour d’autres musées, nous en aurions deux [4] La comparaison de l’organigramme actuel (ill. 1) et de celui que l’on peut déduire du projet de statut (ill. 2) est d’ailleurs édifiante sur la place future de la conservation.
Le pire n’est pas inéluctable. Le Conseil d’Etat doit encore valider ce texte, et le conseil des ministres l’entériner. Que le ministère de la Culture ait pu laisser passer un pareil projet est très étonnant. Peut-être ne l’a-t-il pas suffisamment bien lu [5] ? Il serait bien avisé de s’y opposer fermement. La morale de l’histoire (s’il y en a une) pourrait être celle-ci : s’il était finalement promulgué, comme le souhaite Jean-Jacques Aillagon, ce statut bénéficiera sans doute uniquement à son successeur, quel qu’il soit. Comme quoi la vie ressemble parfois à une fable de La Fontaine.