Les van der Noot sont une des plus illustres familles nobles de Belgique dont l’origine remonte au XIIIe siècle [1]. Au XVIIIe, plusieurs de ses membres firent appel aux services du sculpteur Laurent Delvaux (Gand,1696 - Nivelles,1778) [2]. C’est en effet à cet artiste réputé que Léonard Mathias s’adressa pour faire ériger son monument funéraire placé en 1746-1747 dans l’église des Carmes à Bruxelles [3]. A la même époque, le nom d’un autre van der Noot, Charles Bonaventure, est attaché au don d’une grande statue de Saint Paul, de la main de Delvaux également, toujours en place dans la collégiale Sainte-Gertrude de Nivelles [4]. Plus tard, Félicité Philippine, la fille du dernier nommé, chanoinesse du chapitre noble de Sainte Gertrude et maîtresse de la fabrique d’église, signa en 1770 avec le sculpteur un contrat relatif à l’exécution d’une nouvelle chaire de vérité pour la collégiale [5], et en 1776, au moment de son accession au rang d’abbesse, Delvaux exécutera encore en son honneur une œuvre aujourd’hui perdue, sans doute un bas-relief en bois [6]. La découverte d’une petite sculpture inédite aux armes de Maximilien Antoine (1685-1770), que nous avons le plaisir de porter à la connaissance des lecteurs de La Tribune de l’Art, apporte un témoignage supplémentaire des liens qui existèrent entre le sculpteur et les van der Noot. Elle permet en même temps d’apporter quelques précisions dans la chronologie et sur la typologie des petits bénitiers réalisés par Delvaux.
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- 1. Laurent Delvaux (1696-1778)
Bénitier mural en forme d’enfant
tenant une coquille, aux armes
de Maximilien Antoine van der Noort, vers 1743
Marbre - 29 x 21 x 11 cm
Collection particulière
Photo : Luc Schrobiltgen, Bruxelles - Voir l´image dans sa page
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- 2. Laurent Delvaux (1696-1778)
Bénitier mural en forme d’enfant
tenant une coquille, aux armes
de Maximilien Antoine van der Noort, vers 1743
Marbre - 29 x 21 x 11 cm
Collection particulière
Photo : Luc Schrobiltgen, Bruxelles - Voir l´image dans sa page
Les troisième et quatrième décennies du siècle sont pour Delvaux une période de plein épanouissement durant laquelle il apporte la démonstration de son talent, tirant magnifiquement parti de ses contacts et de toutes les leçons apprises jusqu’alors durant ses séjours en Angleterre et en Italie. Il était rentré dans les Pays-Bas méridionaux en 1732 et était devenu aussitôt sculpteur de la cour à Bruxelles. Mais celle-ci se montrant avare de commandes, il s’installa plutôt à Nivelles où la célèbre abbaye Sainte Gertrude lui confia de nombreux travaux, parmi lesquels la statue de Saint Paul offerte à l’église par Charles Bonaventure van der Noot. Peut-être est-ce à cette occasion que Delvaux noua avec la noble famille des relations plus étroites qui allaient lui valoir la commande du monument funéraire de Léonard Mathias ? Ce n’est pas impossible. A tout cela s’ajoute le fait que Maximilien Antoine devint évêque de Gand en 1743, alors que Delvaux était pleinement engagé dans la réalisation de sa grandiose chaire de vérité pour la cathédrale Saint-Bavon à laquelle il avait commencé à travailler deux ans plus tôt et qu’il allait achever en 1745 [7]. Quoiqu’il ne soit pas fait mention de Maximilien Antoine dans les documents, il paraît évident que la commande au sculpteur et la mise en place de ce meuble exceptionnel ne pouvaient être indifférentes ou étrangères au nouvel évêque. Et mieux qu’une pièce d’archives, la gracieuse sculpture redécouverte apporte la preuve concrète que des contacts existèrent entre le prélat et l’artiste.
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- 3. Laurent Delvaux (1696-1778)
Bénitier mural en forme d’enfant tenant une coquille,
date proposée : vers 1743
Terre cuite - Dimensions inconnues
Lieu de conservation inconnu - Voir l´image dans sa page
Il s’agit d’un petit bénitier d’excellente facture, se présentant sous l’aspect d’un angelot installé sur un nuage et serrant contre lui un coquillage destiné à recueillir l’eau bénite (29 x 21 x 11 cm) (coll. privée) (ill. 1 et 2). Les armoiries, « d’or à cinq coquilles de sable posées en croix », sommées de la crosse épiscopale, apparaissent à gauche, derrière l’enfant. L’œuvre ne porte pas de signature et n’est pas datée. Mais la paternité de Delvaux ne fait pas de doute. On connaît de sa main plusieurs exemplaires de ce type d’objet présentant des variantes entre eux soit dans la forme du coquillage, soit dans la position ou dans la physionomie de l’enfant [8]. Dans le catalogue de l’œuvre du sculpteur, Alain Jacobs en dénombre une quinzaine, certains n’étant connus que par d’anciennes photographies. L’une d’elles conserve le souvenir d’une terre cuite [9] qui doit être considérée comme préparatoire au petit marbre redécouvert (ill. 3). Quoique les comparaisons sur photographies soient toujours un jeu délicat, tant l’angle de vue choisi ou l’éclairage peuvent tromper, il est néanmoins possible de constater quelques différences intéressantes, reflets des recherches de l’artiste dans la mise au point de la formule définitive. On remarque en effet que, dans l’exemplaire en terre, le bassin et les jambes de l’enfant sont vus de face. Dans le marbre, ils ont quelque peu pivoté de sorte que le personnage présente une légère diagonale ; et le pied droit du putto qui prend fermement appui sur le nuage, un peu plus haut qu’il ne le fait dans la terre, imprime au personnage un discret mais évident mouvement et un dynamisme qui ne se perçoivent pas dans l’autre version [10]
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- 4. Laurent Delvaux (1696-1778)
Bénitier à poser en forme d’enfant tenant une coquille,
date proposée : vers 1743
Terre cuite - 25,8 x 17,5 x 16,5 cm
Nivelles, Musée communal
Photo : Luc Schrobiltgen, Bruxelles - Voir l´image dans sa page
Ce n’est pas tout. Il faut rapprocher du marbre van der Noot et de sa terre cuite, un troisième exemplaire, en terre (Musée de Nivelles) [11]. (ill. 4) qui présente les mêmes qualités plastiques que les deux autres mais qui, au lieu d’être un bénitier mural, est une statuette à poser, et le nuage a pris la consistance ferme et les apparences d’un sol rocailleux plutôt que de vapeurs d’eau [12]. Le sculpteur, cette fois, a choisi de présenter son petit personnage de manière quasi frontale et statique : son buste est vu de face et l’enfant a ramené la conque plus près de lui. Son pied droit est descendu jusqu’au sol. En revanche, le pied et la jambe gauche sont représentés de façon identique, exactement dans la même position que dans le marbre. Le travail du corps de l’angelot a la délicatesse de celui du marbre et de la première terre cuite. On ne peut malheureusement pas tirer parti du visage qui, perdu, a été remplacé par un moulage réalisé à partir de l’un de ces angelots à l’expression renfrognée, caractéristique des enfants que Delvaux réalisera plus tard, ainsi qu’on le rappellera ci-dessous. Delvaux n’adoptera plus jamais par la suite cette formule statique pour ses bénitiers [13]. Il reprendra néanmoins la formule expérimentée avec bonheur dans ce bénitier à poser dans son allégorie de la Tempérance conçue pour orner la façade du palais de Charles de Lorraine à Bruxelles. L’œuvre finale en pierre, dont il existe aussi une terre cuite préparatoire (ill. 5), non datée, a été mise en place en 1764-1765 [14]. Ceci n’interdit pas de penser que la terre cuite est peut-être antérieure [15]…
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- 5. Laurent Delvaux (1696-1778)
La Tempérance,
date proposée : vers 1743 ?
Terre cuite - 29 x 19,5 x 16,1 cm
Monogrammé L.D.
Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts
Photo : Roger Begine, Machelen - Voir l´image dans sa page
Quand on poursuit la comparaison du marbre van der Noot et de la terre cuite qui lui est liée avec les autres bénitiers connus de Delvaux, on est également frappé par la très grande différence qui s’observe dans l’expression des enfants, sans parler de la « morbidezza » de leur petit corps. La fraîcheur et la tendresse enfantine des traits du putto van der Noot sont particulièrement remarquables. Elles tranchent de manière nette avec l’étrange faciès que Delvaux donne parfois à ses enfants et qui leur confère alors un aspect curieusement grave, loin de l’innocence de leur âge. Nous avions observé cette façon de faire à propos de son groupe de L’Hiver et le Printemps que le sculpteur réalisa pour le prince Charles de Lorraine en 1760 [16]. C’est donc en toute logique que l’on peut situer plusieurs de ces bénitiers dans cette période de la carrière de l’artiste, d’autant plus que l’un d’eux, conservé au Musée de Gand, porte la date de 1761 [17]. La réapparition du marbre van der Noot permet de mieux observer ce qui n’était pas aussi évident à voir sur une photographie ancienne, à savoir que la terre cuite et le marbre qui lui est maintenant rattaché doivent être dissociés de ce petit groupe. Il nous paraît que ces deux œuvres sont à situer bien plus tôt dans la carrière de Delvaux, quand il est encore imprégné des grands exemples baroques et classiques qu’il a fréquentés en Italie et dans la filiation desquels il réussit à s’inscrire avec une maîtrise irréprochable [18]. Faut-il pour autant envisager de reculer également dans la chronologie des œuvres de Delvaux le bénitier à poser, ainsi que le modèle de la Tempérance [19] ?
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- 6. Laurent Delvaux (1696-1778)
Chaire de Vérité, 1742-1745
Chêne et marbre
Gand, Cathédrale
© D.R. - Voir l´image dans sa page
Il est temps maintenant d’aborder de manière plus précise la question de la datation du bénitier van der Noot. La réponse se trouve dans la chaire de vérité de Gand. Nous sommes convaincu que c’est dans son contexte que doit se situer la création de cette petite sculpture dont la réalisation est aussi soignée que le sont les détails du grand meuble liturgique - un des plus beaux meubles baroques des Pays-Bas méridionaux-, qu’il exécuta entre 1742 et 1745 (ill. 6). L’enfant du bénitier appartient à la même famille que les angelots et chérubins que le sculpteur fait apparaître à différents endroits de la chaire, par exemple dans le bas-relief de la Nativité, mais surtout dans les angelots qui, dans le groupe formant le pied de la chaire, accompagnent La Vérité révélée au Temps (ill. 7). On y découvre non seulement le même type d’enfants de tradition seicentesque, mais aussi la même manière de travailler le marbre, notamment dans le traitement de la chevelure rendue en larges mèches et où la matière est légèrement granuleuse en opposition au visage et au corps dont les épidermes sont polis avec délicatesse et douceur. Dans la comparaison entre l’angelot du bénitier et ceux du pied de la cuve de Gand, on sera aussi frappé par la façon identique de faire les mains potelées des enfants, aux doigts séparés et au pouce nettement écarté de l’index, serrant d’un même geste franc et bien observé le premier la poitrine de l’autre enfant, le second la coquille. Dans ces angelots qu’il représente avec un naturel parfait, Delvaux avoue le lien qui le réunit à ce stade de son évolution aux putti de François Du Quesnoy, tandis que plus tard, dans ses autres bénitiers ainsi que dans les autres sujets faisant intervenir des enfants, il donnera à ceux-ci des expressions beaucoup moins sereines. Cette évolution de contenu, intéressant phénomène qui s’observe d’ailleurs dans l’ensemble de la production plus tardive de Delvaux, s’accompagne aussi d’un amollissement de la forme : les certitudes de la rigueur classique s’estompant progressivement, une fluidité quelque peu langoureuse et inquiète l’emportera sur la fermeté et la plénitude.
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- 7. Laurent Delvaux (1696-1778)
Détail du pied de la Chaire de Vérité, 1742-1745
Chêne et marbre
Gand, Cathédrale
Photo : Roger Begine, Machelen - Voir l´image dans sa page
Nous proposons donc de dater le bénitier van der Noot, de même que la terre cuite qui lui est liée et probablement aussi le bénitier à poser [20], dans les années correspondant à l’exécution de la chaire de vérité de Gand, proche du moment - 1743 - où Maximilien Antoine accède au siège épiscopal de Gand. Il s’agit dès lors du premier des bénitiers connus de Delvaux, les autres étant à regrouper autour de celui du Musée de Gand daté de 1761. Pour mémoire et pour compléter ce regard jeté sur les bénitiers créés par Delvaux, on rappellera encore ceux qu’il réalisa pour la chapelle du palais de Charles de Lorraine à Bruxelles en 1763/64 [21]. On en connaît un par une photographie ancienne et l’autre par une copie par Godecharle, qui permettent de les situer eux aussi dans la ligne de celui du Musée de Gand. Enfin, les Musées royaux des beaux-arts de Bruxelles possèdent depuis 1912 une terre cuite que G.Willame a publiée en 1914 comme œuvre de Delvaux [22] Il s’agit cette fois d’un exemplaire unique, sans provenance connue, et tout à fait différent des autres puisqu’il est constitué d’une coquille soutenue de part et d’autre par deux angelots. Jacobs suit l’attribution de Willame et propose une datation de 1763-1764 assortie d’un point d’interrogation. Nous avons pour notre part du mal à reconnaître la main de Delvaux dans cette œuvre et placerions un point d’interrogation également à côté de son nom.