Un Bellotto pour Audley End House

3/6/20 - Acquisition - Saffron Walden (Essex), Audley End House - Depuis l’an mille, Venise célèbre chaque année son mariage avec la mer. La cérémonie - qui n’est plus aujourd’hui qu’une reconstitution historique - se déroulait le jour de l’Ascension. Le doge embarquait depuis le Môle sur un vaisseau d’apparat, le Bucentaure, emmené par plus de 150 rameurs. Il se rendait jusqu’au Lido où il jetait un anneau d’or dans l’Adriatique pour rappeler la domination de Venise sur les eaux, puis assistait à la messe à San Nicolò. Cette fête attirait de nombreux visiteurs et fut représentée à de multiples reprises par les peintres qui répondaient ainsi à une clientèle désireuse d’en garder le souvenir. Canaletto, Michele Marieschi, Guardi varient les points de vue, se plaçant au niveau de l’eau ou en hauteur, depuis les quais ou depuis la mer, le Bucentaure plus ou moins au centre de la composition, entouré d’une multitude de barques et de bateaux, sous le regard d’une foule agglutinée. Le Louvre possède un bel exemple de Guardi, un autre de Marieschi était présenté dans l’exposition - décevante - du Grand Palais « Éblouissante Venise » (voir l’article).


1. Bernardo Bellotto (1721–1780)
Le Retour du Bucentaure au Môle le jour de l’Ascension , vers 1738–40
Huile sur toile
Saffron Walden, Audley End House
Photo : Christie’s
Voir l´image dans sa page
2. Giovanni Antonio Canal dit Canaletto (1697-1768)
Le Retour du Bucentaure au Môle le jour de l’Ascension, vers 1738
Huile sur toile
Holkham Hall
Photo : domaine public
Voir l´image dans sa page

C’est un tableau auparavant attribué à Canaletto et finalement rendu à Bernardo Bellotto qui a été offert en dation (acceptance in lieu) à l’État britannique en 2019 (ill. 1) . Probablement peint pour George Berkeley, philosophe irlandais et évêque de Cloyne, il a aujourd’hui rejoint les collections d’Audley End House (Essex), où il était signalé dans un inventaire de 1836. Cette demeure, désormais propriété de l’English Heritage [1], fut construite pour Thomas Howard, comte de Suffolk, entre 1605 et 1614, réaménagée en 1762 par Robert Adam, tandis que les jardins ont été conçus par Lancelot Capability Brown.

Ce n’est pas la première fois qu’une œuvre attribuée à Canaletto est finalement donnée à son neveu Bellotto ; ce fut notamment le cas des deux peintures du Louvre représentant le pont du Rialto et l’église de la Salute (voir la brève du 22/9/14). Le peintre en effet se forma dans l’atelier de son oncle, l’aida à répondre à de nombreuses commandes, copia et interpréta ses peintures, ce que montrait la belle exposition de la National Gallery consacrée à « Canaletto et ses rivaux » (voir l’article). Du moins c’est ce qu’il fit jusqu’en 1742. Par la suite, Bellotto parcourut l’Italie et l’Europe. Il partit pour Dresde en 1747, séjourna à Vienne et à Munich, et finit par s’installer à Varsovie en 1767.
Il reprend ici une peinture de son oncle qui se trouve à Holkham Hall, dans le Norfolk (ill. 2) ; cette demeure appartenait à Thomas Coke, premier comte de Leicester qui acquit une partie de sa collection lors de son Grand Tour et la compléta par la suite.

Plusieurs tableaux de Canaletto montrent le retour du Bucentaure en adoptant le même point de vue, avec le palais ducal, la place Saint-Marc et le campanile à l’arrière-plan ; pourtant la variation de la lumière, des détails, le cadrage plus ou moins resserré rendent toutes ces peintures différentes. C’est le cas du tableau du Philadelphia Museum of Art, de celui de la Pinacoteca Giovanni e Marella Agnelli et de celui conservé dans les collections royales anglaises. Le peintre décale son regard sur le côté dans une œuvre conservée au Museu Nacional d’Art de Catalunya, et dans une autre en collection privée dont la lumière et le format carré modifient la perception de la scène.

Vos commentaires

Afin de pouvoir débattre des article et lire les contributions des autres abonnés, vous devez vous abonner à La Tribune de l’Art. Les avantages et les conditions de cet abonnement, qui vous permettra par ailleurs de soutenir La Tribune de l’Art, sont décrits sur la page d’abonnement.

Si vous êtes déjà abonné, connectez-vous.