C’est un décret qui aurait pu passer inaperçu, publié au Journal Officiel d’aujourd’hui, entre Noël et le jour de l’An, et qui change pourtant, à partir du 1er janvier 2021, des règles existantes depuis 1992. Il s’agit de la modification des seuils d’exportation d’œuvres d’art nécessitant la demande d’un certificat d’exportation. À l’augmentation de ces seuils s’ajoute une simplification d’un certain nombre de règles, notamment la non différenciation entre l’exportation vers un état membre de l’Union Européenne ou vers un état non membre.
- Anne-Louis Girodet-Trioson (1767-1824)
Les Adieux de Coriolan à sa famille, 1786
Huile sur toile - 114 x 146,1 cm
Washington, National Gallery
Photo : Christie’s - Voir l´image dans sa page
Ce décret omet une chose importante : réfléchir de manière approfondie à une véritable réforme de la législation des trésors nationaux, dont nous avons dit à plusieurs reprises qu’elle ne fonctionnait pas, protégeant insuffisamment les œuvres réellement patrimoniales d’une exportation incontrôlée, et entravant parallèlement de manière indue le travail des professionnels du marché de l’art, tout en engorgeant les services du ministère en charge de ce sujet.
De ce dernier point de vue, le décret va faire incontestablement évoluer les choses. En relevant les seuils d’un certain nombre de catégories d’œuvres, il s’adapte à l’augmentation des prix du marché de l’art depuis près de trente ans, trois décennies pendant lesquelles le prix de certaines œuvres s’est envolé. C’est ainsi que monter le seuil des aquarelles, gouaches et pastels ayant plus de cinquante ans d’âge de 30 000 à 50 000 euros, ou des dessins de 15 000 à 30 000 euros ne nous semble pas de nature à occasionner une hémorragie d’œuvres patrimoniales dont la valeur serait inférieure à ces nouvelles limites. Comme nous l’ont confirmé deux marchands de dessins, c’est bien ce marché - nous ne nous intéresserons ici qu’aux objets entrant dans le domaine de La Tribune de l’Art - qui était fortement compliqué par la très forte augmentation du prix des œuvres depuis l’instauration de ce système. Le grand nombre de demandes de certificats d’exportation pour des œuvres parfois secondaires ralentissait la procédure. Comme nous l’a dit un marchand : les dessins réellement patrimoniaux dépassent généralement les 80 000 à 100 000 €, donc encore bien au-dessus des nouveaux seuils.
Cela est peut-être plus discutable pour les objets d’art (mobilier, tapisserie, etc.), pour lesquels le seuil passe de 50 000 à 100 000 euros, mais là encore, le montant semble raisonnable. Les grands chefs-d’œuvre patrimoniaux sont souvent bien au-delà de 100 000 euros même si - nous y reviendrons dans notre conclusion - le caractère historique majeur n’implique pas toujours des prix très élevés comme le montre le démantèlement de certaines demeures que nous combattons régulièrement.
Ce qui nous semble plus inquiétant dans ce décret concerne les peintures. Le seuil passe en effet de 150 000 (et non 15 000 comme le décret le dit, reprenant une coquille qui se trouve également dans le code publié sur Legifrance…) à 300 000 euros, un seuil qui nous semble trop élevé, d’autant que les tableaux dépassant 150 000 € et pour lesquels il était nécessaire de demander un certificat sont évidemment beaucoup moins nombreux. Cela risque de faciliter encore davantage les abus que l’on a pu constater à ce sujet, comme l’exportation du tableau de Girodet par Christie’s l’année dernière [1] pour une estimation de moins de 150 000 € d’un tableau s’étant vendu finalement 2 400 000 € (voir l’article).
En définitive, ce décret ne résout donc rien à la question qui nous taraude depuis longtemps, complexe mais qui mériterait une véritable réflexion du ministère de la Culture : comment d’un côté accélérer les procédures d’exportation pour ne pas pénaliser le marché de l’art, tout en contrôlant mieux, et de manière plus pertinente et efficace l’exportation des trésors nationaux ? Par ailleurs, ce texte aggrave encore la nécessaire connaissance de l’histoire des objets. S’il n’est évidemment pas question de revenir à l’ancien système où tout devait être déclaré et était inspecté régulièrement par les conservateurs du Louvre, il faudrait trouver un moyen de connaître, peut-être par une simple déclaration des marchands et des sociétés de vente aux enchères sans aucune autre contrainte, les œuvres qui quittent notre pays et dont le prix est inférieur aux seuils. Quant aux objets patrimoniaux dont le ministère devrait se préoccuper davantage, ils ne valent parfois que quelques milliers d’euros comme nous l’avons montré à plusieurs reprises dans les tristes affaires du château de Dampierre (voir les articles) ou de Villepreux (voir les articles). Et pour faire bouger le ministère, il faudra davantage qu’un simple décret...