- Luisa Roldán, dite La Roldana (1656–1704)
Mise au tombeau, 1700-1701
Terre cuite polychrome - 49,5 × 66 × 43,2 cm
New York, Metropolitan Museum of Art
Photo : Metropolitan Museum of Art (CC-0) - Voir l´image dans sa page
Nous évoquons fréquemment la question des trésors nationaux. Ce dispositif légal permet de refuser un certificat d’exportation aux œuvres d’intérêt patrimonial majeur, ce qui laisse le temps aux musées de les acquérir, éventuellement grâce au mécénat et à des avantages fiscaux très intéressants (déduction d’impôt de 90% du montant donné).
Malheureusement, depuis quelques années, nous constatons que le ministère de la Culture ne remplit plus son rôle comme il le devrait et laisse sortir de France des œuvres essentielles qui répondent pourtant à cette définition de « trésor national ». L’exemple le plus symbolique concernait les deux Rembrandt Rothschild qui ont d’abord reçu leur certificat d’exportation (ils n’étaient donc pas, selon la définition, considérés comme d’importance patrimoniale majeure), pour finir par être qualifiés ainsi après la révélation de ce scandale par La Tribune de l’Art et au moment de l’acquisition par la Banque de France d’un des deux portraits.
Régulièrement, nous signalons que des œuvres présentées sur le marché, qui auraient dû être classées « trésor national », ont pu obtenir leur certificat. Mais nous sommes loin de tout connaître et de de tout savoir. Car le ministère - et on le comprend - ne souhaite pas que l’on se penche sur les certificats accordés, pas davantage qu’il n’autorise la consultation des comptes-rendus de la Commission consultative des trésors nationaux.
Nous avons découvert par exemple, il y a quelques jours, que le Metropolitan Museum venait d’acquérir une extraordinaire Mise au tombeau (ill.) en terre cuite polychrome par la fille de Pedro Roldán, Luisa Roldán, dite La Roldana, femme sculpteur dont il n’y a évidemment aucune œuvre en France, pays déjà fort pauvre en statuaire baroque espagnole. L’œuvre a une provenance prestigieuse puisqu’elle fut donnée par l’artiste au roi Philippe V en 1701 afin d’obtenir la charge de sculpteur de la cour. Cette merveille était conservée dans notre pays depuis la première moitié du XXe siècle au moins jusqu’au début de 2015, si l’on en croit la provenance donnée par le musée américain qui l’a acquise de la galerie Coll & Cortés à Londres. Il s’agit d’une nouvelle tache sur le bilan récent désastreux du Louvre et du ministère.
L’association Sites et Monuments, qui s’intéresse désormais également à ces questions, a demandé à consulter ces deux types de documents. De notre côté, nous avons demandé également à voir les comptes-rendus. La réponse du ministère a été sans appel : « contrairement aux avis de la commission consultative des trésors nationaux - de même que les arrêtés ministériels de refus de certificat qui en sont la conséquence – qui sont publiés au Journal officiel, les compte rendus des séances qui retranscrivent les débats de la commission ne peuvent être communiqués à un tiers sans violer le principe de confidentialité qui s’applique aux membres de la commission établit par l’article D.111-25 du code du patrimoine (“les membres de la commission et toute personne appelée à assister aux séances sont tenus d’observer le secret des délibérations”). » Sites et Monuments a fait face au même refus pour les certificats d’exportation [1].
Or, la loi française prévoit que les documents de nature administrative, que l’administration a effectivement en sa possession [2], qui sont formellement achevés [3] et qui ne sont plus préparatoires à une décision mais pour lesquels la décision qu’ils préparent à été prise, doivent être communiqués aux personnes en faisant la demande [4]. Et la loi, selon la hiérarchie des textes, est supérieure aux décrets. Or le secret des délibérations (pour les comptes-rendus de la commission) est issue d’un décret, non d’une loi.
Nous avons donc, et Sites et Monuments a fait de même, saisi la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA) dont le rôle est de donner un avis sur le refus d’une administration de diffuser des documents. Le 1er février, nous avons reçu chacun un courrier de la CADA donnant droit à nos demandes (lire ici et ici) : les comptes-rendus de la commission consultative des trésors nationaux sont communicables, dès lors qu’ils ne présentent plus un caractère préparatoire, et les certificats d’exportation sont également communicables, sauf si les propriétaires des œuvres sont de notoriété publique (ce qui concerne très peu d’objets) et en occultant les éléments permettant l’identification du titulaire de l’autorisation, tels que son nom et ses coordonnées (ce qui ne devrait pas demander un gros travail, les demandes de certificat émanant généralement d’une maison de vente ou d’un marchand qui agissent pour le compte du propriétaire dont le nom est absent du document).
Cet avis a été transmis au ministère de la Culture, qui avait un mois pour répondre. Et qui, bien entendu, n’a pas répondu, ce qui équivaut à un refus. Pourtant, nous avons contacté à plusieurs reprises la communication du ministère, ainsi que le cabinet de la ministre, qui nous ont assuré que nous pourrions consulter ces documents, sans pourtant jamais obtenir un rendez-vous concret. Nous avons annoncé venir tel jour à telle heure, et bien entendu nous n’avons pas été reçu. En réalité, l’administration nous mène en bateau, souhaitant manifestement jouer la montre. Une pauvre tactique vouée à l’échec. Dans les prochains jours si le ministère de la Culture, que nous sollicitons une dernière fois par une lettre recommandée avec accusé-réception, compte persister à ne pas respecter la loi, nous irons devant le tribunal administratif, et nous savons que Sites et Monuments fera de même.
Que dire de plus, alors que nous faisons face une nouvelle fois à un comportement inadmissible de cette administration dont il paraît qu’elle est au service des citoyens [5] ? 80 à 85 % des avis favorables de la CADA sont effectivement suivis de la communication des documents. Une fois de plus, le ministère de la Culture se distingue dans l’absence de transparence. Obliger un journal possédant un numéro de commission paritaire, c’est-à-dire reconnu officiellement comme un organe de presse, à dépenser du temps et de l’argent pour obtenir des informations qu’elle est légalement obligée de lui délivrer (qu’elle doit d’ailleurs délivrer à tout citoyen ou à toute association qui en fait la demande) est une tentative non dissimulée de brider la liberté de la presse, un comble de la part d’un ministère qui a également en charge la communication.