Trésors nationaux : la situation s’aggrave

1. Jacques Saly (1717-1776)
L’Amour essayant une de
ses flèches
, 1753
Marbre
Base sculptée par Jacques Verbeckt
Collection particulière
Photo : D. R.
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Nous écrivions, il y a presque deux ans, que le système des trésors nationaux se grippait (voir l’article). Le bilan que nous faisons ici des dossiers en cours tend à prouver qu’hélas nous ne nous trompions pas.

Un système qui mise tout sur le mécénat ne peut plus fonctionner lorsque cette source de financement se tarit. En 2011, comme nous l’avions noté (voir l’article), le budget des acquisitions, déjà très bas, a diminué de 2,89 millions d’euros par rapport à l’année 2010...
La dernière liste des trésors nationaux établie par le ministère de la Culture date de juillet 2007. Nous avons donc mis à jour ce répertoire pour les œuvres dont le dossier était en cours et nous avons ajouté toutes celles ayant fait l’objet d’un refus de certificat depuis cette date. Il en ressort que plusieurs trésors nationaux ont pu sortir de France et que beaucoup d’autres sont très menacés. Parmi les premiers, notons L’Amour essayant une de ses flèches de Jacques-François-Joseph Saly (ill. 1) dont l’avis préconisant son interdiction de sortie indiquait « que ce chef-d’œuvre statuaire d’une grande rareté, dont l’historique est bien documenté, représente l’une des dernières sculptures en marbre de cette importance réalisées pour l’entourage direct de Louis XV demeurant encore en France en mains privées ». Il s’agissait d’une commande de Madame de Pompadour à l’artiste. Quant au Canaletto (ill. 2) également autorisé à sortir de France, la Commission des trésors nationaux affirmait « qu’il apparaît donc important de maintenir sur le territoire ce tableau comme un exceptionnel témoin de la virtuosité de Canaletto, dont les œuvres sont très rares dans les collections publiques françaises ». C’est raté.

2. Antonio Canal, dit Canaletto (1697-1768)
Le Pont du Rialto
Huile sur toile - 153 x 208 cm
Localisation actuelle inconnue
Photo : D. R.
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Mais la situation se présente tout aussi mal pour bien d’autres objets. Ainsi, le délai est échu pour la tapisserie de Charles-Antoine Coypel, Don Quichotte reçu chez les filles de l’hôtellerie (voir la brève du 16/6/07) et pour le dessin de Michel-Ange Deux études d’un homme nu pris dans un mouvement ascendant (recto), Esquisses d’un homme nu et fragment d’une étude de tête (nous n’en avons pas de photo), sans compter un bronze de Rodin et un dessin de Picasso. Si le Louvre est en cours d’acquisition d’un dessin de Goya (voir brève du 21/3/05) pour lequel le délai a également expiré, la situation n’est tout de même guère brillante. Ce même musée tente désespérément de réunir les fonds pour le portrait de Frans Hals (voir brève du 5/12/08). Il n’a plus, en effet, que jusqu’au mois d’avril pour réunir le montant voulu, soit 5 millions d’euros. Un appel au mécénat est publié sur le site du Louvre mais reste bien discret. En revanche, les journaux néerlandais sont remplis d’articles à ce propos, le musée parisien essayant de trouver aux Pays-Bas des entreprises en relation commerciale avec la France et susceptibles de l’aider à acheter le tableau. Ils indiquent que les musées hollandais soutiennent cet appel car ils ne sont pas intéressés par son achat. Une soirée réunissant des mécènes potentiels a même été organisée par l’Ambassade de France à La Haye.

3. Louis Delanois (1731-1792)
Chaise de compagnie de Mme du Barry
Versailles, Musée national du Château
Photo : Musée de Versailles
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Bien sûr, on compte aussi certaines réussites, mais il est frappant de constater qu’elles sont rarement dues au mécénat et que les musées s’épuisent ainsi à acheter, avec des moyens réduits, des œuvres de plus en plus chères. Si Les Trois Grâces de Cranach ont pu heureusement entrer dans les collections du Louvre (voir brève du 17/12/10), c’est grâce à une souscription populaire et au budget d’acquisition propre du musée. L’extraordinaire Dais de Charles VII n’a pu être acheté que grâce à la Société des Amis du Louvre, et le fragment du tombeau de Charles V (voir brève du 6/6/09) a été acquis par le musée directement, pour une somme (383 149 €) d’ailleurs très raisonnable. On ne saurait en dire autant du Portrait du Comte Molé d’Ingres pour lequel le mécénat n’a représenté qu’une partie relativement faible du prix d’achat.
Le trésor de Pouilly-sur-Meuse (voir la brève du 5/11/09) entré au Musée Lorrain de Nancy ou les deux chaises de Louis Delanois ( (ill. 3) à Versailles n’ont pas davantage attiré d’entreprises qui en auraient financé l’acquisition. Bref, l’Etat diminue ses crédits au moment même ou le mécénat est en chute libre.
Peut-être faudrait-il aussi se poser la question de l’intérêt de tel ou tel de ces trésors nationaux dont on se demande parfois s’ils sont vraiment indispensables. Est-il toujours nécessaire d’acheter une œuvre secondaire d’un grand nom dont de nombreuses œuvres sont déjà conservées dans les collections françaises ? Faut-il surpayer certains objets au risque d’en laisser partir d’autres pourtant moins chers et parfois tout aussi importants pour le patrimoine national ?

4. Eustache Le Sueur (1616-1655)
Panneaux décoratifs du cabinet de l’Amour
Huiles sur panneau - 158,5 x 37,5 et 158,5 x 51,5 cm
Paris, collection particulièe
Photo : D. R.
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Une chose est sûre pourtant : certains de ces trésors nationaux doivent absolument rester en France. Dans les prochains mois, sans même compter un panneau de Fra Angelico et une Pietà avec saint Jean et deux anges attribués à Jean Malouel, il faudra bien acheter les six panneaux peints par Eustache Le Sueur et son atelier pour le cabinet de l’Amour de l’Hôtel Lambert (ill. 4) ou les deux pleurants provenant du tombeau de Jean de France, duc de Berry, à Bourges. Comment pourrait-on imaginer que l’on perde le Hibou de Caspar David Friedrich (dont le ministre de la Culture n’a d’ailleurs pas encore refusé le certificat), un pur chef-d’œuvre à l’historique prestigieux (voir brève du 17/11/10) ?
Plus grave encore : le dernier trésor national en date n’est autre que le chef-d’œuvre du Château de Breteuil, la table de Teschen, un meuble en bois, bronze doré, pierres dures, et porcelaine de Saxe exécuté par l’orfèvre de Dresde Johann Christian Neuber, signalée dans tous les guides. La vente de cet objet pose, une fois de plus, au delà de la question de l’exportation des œuvres d’art, celle de la conservation in situ de celles qui sont liées historiquement à un lieu. C’est évidemment le cas de cette table qui a été offerte au baron de Breteuil pour avoir négocié la paix entre l’Autriche et la Prusse en 1778.


5. Constantin Brancusi (1876-1957)
Le Baiser, 1910
Tombe de Tania Rachevskaïa
Pierre
Paris, cimetière du Montparnasse
Photo : Didier Rykner
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Terminons sur un scandale qui date pourtant de 2006 sans que personne semble-t-il ne s’en soit réellement ému. Le Baiser de Brancusi, qui se trouve sur la tombe de Tania Rachevskaïa (ill. 5), a fait l’objet d’une demande de certificat d’exportation, sans doute par les descendant de la défunte. La seule réponse à une telle requête aurait dû être le classement immédiat de la tombe que l’on doit considérer comme un immeuble [Voir cependant le P. S.]. Comment peut-on imaginer autoriser la vente d’une sculpture conservée dans un cimetière ? Comment accepter que l’Etat puisse même envisager de l’acheter ? Cela n’a semble-t-il pas vraiment gêné le ministre de la Culture de l’époque, Renaud Donnedieu de Vabres, qui s’est contenté de signer le refus de certificat le 4 octobre 2006. Le délai est écoulé depuis le 4 avril 2009, et la sculpture est heureusement toujours à sa place. Mais l’épée de Damoclès est toujours là. Il faut classer cette tombe. Et si la législation devait s’avérer impuissante à empêcher un tel scandale, qui ressemblerait fort à une profanation de sépulture, il est urgent de la modifier.

Liste mise à jour des trésors nationaux, entre 2007 et janvier 2011.

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