Traduction (par D. Rykner) du courrier de M. Guy Stair Santy, marchand de tableau, reçu le 30 août 2006, à propos du tableau de David en sa possession La Colère d’Achille et de notre recension de l’exposition Davidau musée Jacquemart-André.
Messieurs,
J’ai lu récemment votre revue de l’exposition Jacques Louis David au Musée Jacquemart-André, et en particulier votre référence erronée à Michel Stapleaux, à propos de La Colère d’Achille, qui aurait peint ce tableau sous la direction de l’artiste.
Cette affirmation n’a pas été faite en réalité dans le texte de Philippe Bordes, mais est seulement déduite de la légende de la photo que, cependant, celui-ci a corrigé ens substance (pour le transformer en « Jacques Louis David, terminé par Michel Stapleaux). Philippe Bordes a confirmé cela dans un mail qu’il m’a adressé, daté de février 2005, écrivant « en réponse à votre remarque sur mon commentaire concernant la légende de la seconde version de La Colère d’Achille », figure 88 du catalogue Jacques-Louis David : Empire to Exile, récemment publié, je suis d’accord, sur la base de la documentation que vous m’avez communiquée, qu’il aurait été plus clair d’indiquer le nom de l’auteur comme « Jacques-Louis David (terminé par Michel Stapleaux) » et non comme « Jacques-Louis David et Michel Stapleaux ».
Même cela est inapproprié pour une légende, quand la documentation contemporaine, loin de confirmer l’idée que Stapleaux joua un rôle important dans cette peinture, la contredit complètement. Si l’on a en tête l’importance de la collaboration de David dans beaucoup de ses œuvres, il serait très étrange de trouver au Louvre (par exemple) donner le nom de ses assistants aux côtés de celui du maître.
Il est tout à fait évident que M. Rykner s’est référé à la note dans le catalogue de l’exposition David par feu le Professor Schnapper qui, cependant, la retira après qu’on lui eut montré les textes et qu’il ait vu l’œuvre elle-même, et qu’il n’a pas vérifié lui-même les sources d’origine – s’il l’avait fait, il aurait tout de suite vu qu’il était faux de dire que Stapleaux avait peint ce tableau.
Ces textes sont très clairs et se lisent dans l’ordre suivant :
(a) David est cite comme ayant dit de cette œuvre : “Voilà mon ennemi ; c’est lui qui me tue.” Th.., M. A., Vie de David, Chez les Marchands de Nouveautés, Paris, 1826, p. 154
(b) Navez écrivit à Gros, le jour de la mort de David : « il ne pouvait plus tenir le pinceau. Il a plutôt gâté la copie de son Achille que de la rendre meilleure, mais l’amour du travail était tel chez lui qu’on l’eut fait mourir si on lui avait ôté la palette de sa main »’ Louis Hautecoeur, Louis David, La Table Ronde, Paris, 1954, p 277.
(c) Etienne Delécluze, Louis David, son École & et [sic] son temps : souvenirs, Didier, Paris, 1855, p. 375 : ‘il entreprit un tableau de demi-figures de grandeur naturelle, représentant la Colère d’Achille. L’ardeur avec laquelle il commença cet ouvrage et en acheva une partie tient du prodige, ou plutôt prouve combine l’organisation de cet homme était vivace et énergique. Il ne pouvait quitter son chevalet ; et, bien qu’il s’aperçut que cet excès de travail lui était contraire, il disait en souriant à ceux qui le regardaient s’acharnant à cet ouvrage : “Voilà mon ennemi ; c’est lui qui me tuera.”
(d) Dans une lettre du Baron Gros à David, datée du 2 octobre 1825, l’artiste écrivait que ‘M. Quatremère [1] m’a parlé de votre tableau de La Colère d’Achille comme d’un tableau grec et si grec qu’il s’en allait cherchant si vous n’auriez pas eu motif grec qui vous eut inspire. La tête de la Clytemnestre est sublime, dit-il, ainsi que la majesté d’Agamemnon et la Douceur de la victime.’ Ce commentaire suggère que la peinture était déjà pratiquement terminée quand Quatremère de Quincy lui rendit visite.
David a demandé à Michel Stapleaux de metre la touche finale, sous son contrôle rapproché, dictant ses intentions précises à son élèves pendant seulement les deux ou trois dernières semaines de sa vie. La seule divergence qu’on peut trouver parmi ces commentaires mentionne la participation de Stapleaux à une date à laquelle l’artiste arrêta de peindre lui-même et autorisa Stapleaux à l’assister ; puisqu’il mourut le 29 décembre, au pire Stapleaux ne l’assista pas plus de trois semaines, mais d’après deux des sources, ce fut même moins longtemps.
(e) Delécluze, op. cit. supra, p. 375 : ‘ Enfin, dans les premiers jour de décembre, une rechute qui lui ravit tout espoir de guérison empêcha de continuer ; mais, ayant désigné M. Stapleaux pour finir l’ouvrage, il l’y fit travailler sous ses yeux, dictant en quelque sorte ses pensées à son élève.’
(f) Th…, op. cit. supra, p. 154 : ‘Il avait achevé les principales figures, lorsqu’il éprouva, dans les premières jours de décembre, une rechute qui laissa peu d’espoir de sauver ses jours, et qui ne lui permit pas de mettre la dernière main à cet ouvrage. Mais M. Michel Stapleaux fut jugé digne de continuer le travail de son maître, et David lui permit d’achever ce tableau en sa présence.’
(g) Also Th…, p. 164 : ‘Répétition de La Colère d’Achille, avec de grands changements. La maladie de l’auteur l’empêcha de l’achever ; mais il fut terminé en sa présence par Michel Stapleaux.’
(h) Navez, qui fut le témoin des dernières semaines de David, écrivit au Baron Gros le 29 décembre 1825 pour l’informer de la mort de David ce jour même : ‘Il a peint encore jusqu’au 15 de ce mois, mais il ne pouvait plus tenir le pinceau… mais l’amour du travail était tel chez lui qu’on l’eût fait mourir si on lui avait ôté la palette de sa main… Depuis dix jours, il avait presque perdu connaissance. Hautecour, op.cit., p. 277.
De toutes ces affirmations de ceux ayant assisté aux derniers mois de David, concernant sa participation au tableau de Stapleaux, il est tout à fait clair que le maître l’a presque terminé complètement lui-même. L’affirmation par votre rédacteur est à cette aune totalement injustifiée à la vue de ces témoignages et je vous serais reconnaissant si vous pouviez publier cette mise au point.
Je vous remercie.
Guy Stair Sainty
Stair Sainty Ltd
38 Dover Street
London W1S 4LN
Réponse :
Au vu des documents cites par M. Guy Stair Sainty, je suis d’accord avec son interprétation (notamment sur le fait qu’une peinture conçue par David et essentiellement peinte par lui doit porter un cartel « David ») et je publie son courrier avec plaisir, d’autant que mon article étant très critique (envers l’exposition et le catalogue, pas envers ce tableau), il n’est que légitime de signaler toute erreur de ma part.
Il faut cependant relativiser cette erreur. En effet, il est évidemment impossible, pour une revue d’exposition ou de livre sur La Tribune de l’Art, de revérifier absolument toutes les informations en revenant systématiquement aux sources comme dans le cas d’une véritable étude, ne serait-ce que pour des raisons évidentes de temps. Dans le cas qui nous occupe, je me suis effectivement référé au catalogue d’Antoine Schnapper, ainsi qu’au catalogue de Philippe Bordes, la référence la plus récente faisant autorité (largement cités dans les notes). Schnapper, s’appuyant sur des sources anciennes, disait que le tableau avait été peint de manière légèrement plus vraisemblable » par Stapleaux (p. 538). Dans son texte, Bordes écrit : « il exécuta cette réplique avec l’aide de Miche Stapleaux » (p. 255) ce qui, j’en conviens, aurait dû m’amener à être plus prudent. Je ne connaissais pas, par ailleurs, le changement d’opinion d’Antoine Schnapper, ni évidemment la lettre de Philippe Bordes à Guy Stair Sainty.
N’ayant jamais travaillé sur David, j’écrivais : « Nous ne prétendons pas discuter ici de telle ou telle attribution (bien que certaines nous laissent sceptique), laissant aux spécialistes de la période le soin de le faire. ». Il reste d’ailleurs incompréhensible que la participation de Stapleaux, importante pour l’histoire de ce tableau même si celui-ci est effectivement de David, n’ait pas été mentionné dans le catalogue de l’exposition de Jacquemart-André.
Je suis heureux que cet article permette de préciser un point important sur ce tableau récemment redécouvert.