Rapport Martinez : la fin de l’inaliénabilité des collections des musées français ?

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Bertholet Flémal (1614-1675)
Conversion de saint Paul, vers 1670
Tableau régulièrement revendiqué par la Belgique
Huile sur toile - 463 x 266 cm
Toulouse, Musée des Augustins
Photo : Daniel Martin
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Il faut lire le rapport intitulé « Patrimoine partagé : universalité, restitutions et circulation des œuvres d’art » rédigé par le président-directeur honoraire du Louvre, Jean-Luc Martinez, qui, comme l’écrit très justement notre ami Vincent Noce dans La Gazette Drouot, « signe l’évolution des esprits depuis que ce débat a enflammé le monde des musées et le marché de l’art », tant il vrai que « sa tonalité mesurée contraste avec les postures des partisans de rapatriements massifs et automatiques ».

Enfin ! Et on comprend l’enthousiasme et le soulagement des lecteurs amoureux du patrimoine à la lecture des premières pages du rapport. Ces sentiments, nous les avons partagés.
Il n’est plus question, comme dans le rapport Sarr-Savoy, d’envisager la colonisation comme une période infractionnelle entachant irrémédiablement toute collecte d’objets ethnographiques ou cultuels – devenus, sous le regard occidental, des œuvres d’art universelles – d’un vice rédhibitoire imposant à tous les musées de les restituer, quelle que soit leur provenance et même si le pays d’origine n’a rien demandé.
Il faut saluer le travail effectué : les références légales sont les bonnes, les inquiétudes juridiques, que nous avons maintes fois soulevées, aussi, même si on n’adhère pas forcément à l’analyse des prises de guerre ou au dangereux mariage entre les notions d’illégalité et d’illégitimité. L’Afrique n’est plus traitée comme s’il s’agissait d’un seul pays et le rapport pointe très justement les divergences de position des différents Etats africains, qualifiées joliment de « polyphonie » ainsi que le décalage qui existe avec les exigences de diasporas africaines qui ne représentent pourtant pas l’opinion de leurs pays d’origine. Enfin, le risque d’une propagation aux collections d’antiquités est clairement identifié. Merci !
Aurions-nous finalement été entendus ? Oui ! En bonne partie en tout cas, si on ne considère que les 57 premières pages du rapport ou si, comme le font les mauvais élèves, on ne s’est contentés que d’en lire un résumé…

Malheureusement, la déception est à la hauteur de l’espoir suscité.

C’était oublier que l’ancien président du Louvre était en mission commandée et que l’ordre reçu tenait moins de l’établissement d’une véritable doctrine que de la légitimation de l’action gouvernementale récente et future en matière de biens culturels.
Pour les lecteurs consciencieux, et nous sommes sans doute assez peu nombreux, c’est à la page 58 que le couperet tombe. Après avoir énoncé des critères de « restituabilité », mot barbare s’il en est, censés, selon le communiqué de presse du Ministère de la Culture, « préparer les contours d’une loi-cadre sur la restitution à leur pays d’origine de biens culturels appartenant aux collections publiques françaises » et « proposer une doctrine et une méthode pour examiner et traiter les demandes de restitution », on peut lire :
« Ces neuf critères seraient mentionnés dans la loi cadre et auraient un caractère indicatif, la décision finale incombant au pouvoir politique… » (p. 58)
En d’autres termes, là où les collections muséales étaient inaliénables, elles deviendraient restituables sur simple décision politique, les critères étant indicatifs… Evidemment, on prendrait soin d’entourer la démarche d’un habillage diplomatique, de commissions bilatérales, voire multilatérales pour peu que les biens puissent intéresser des états modernes concurrents, d’un décret en Conseil d’Etat, mais la décision finale, la seule qui compte, seraient politique !

A ce stade de la lecture du rapport, pour prendre la mesure de l’ampleur du désastre, il est sans doute temps d’en relire la page 53 où, sous prétexte de ne pas se limiter au contexte colonial, l’auteur préconise « une loi-cadre dont le champ d’application serait universel ».
La faute historique de Ouagadougou qui a vu un président, s’exprimant à la première personne, décider seul de la nécessité de « restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique » au mépris du Musée français et de son ambition universelle, se poursuit donc. Toute tentative de rationalisation se heurte à ce fait du Prince et à la nécessité de le légitimer.
La question de la place de l’art et des biens culturels dans notre XXIe siècle mondialisé méritait mieux que ce débat qui se résume à savoir à qui il faudrait rendre quoi. C’est une doctrine du partage et de la transmission du savoir qu’il fallait élaborer. S’appuyant sur l’extraordinaire réussite de musées comme celui du Quai Branly – Jacques Chirac, il fallait s’interroger sur la possibilité d’élargir l’expérience afin de permettre un accès toujours plus large à ces œuvres qui témoignent de notre humanité, mais pour cela, il fallait s’affranchir de la thématique des restitutions.
Au final, le principe d’inaliénabilité des collections publiques, déjà mis à mal par des lois d’exception, sera donc enterré avec la loi-cadre qui s’annonce, laissant ainsi les coudées franches aux petits arrangements de politique étrangère.

Quant à l’arrière-garde du patrimoine muséal français, elle mourra sans doute dans ce combat bien trop inégal avec un Prince qui a goûté à un nouveau pouvoir mais elle ne se rendra pas si facilement.

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