Stupéfaction, colère et espoir

Au lendemain de l’incendie qui a en partie ravagé la cathédrale Notre-Dame de Paris, ce n’est pas l’abattement qui nous tient éveillé alors que nous revenons d’un marathon presque ininterrompu depuis minuit d’interviews à la télévision, à la radio ou dans la presse écrite. Certes, la stupéfaction et la tristesse ont d’abord été notre première réaction lorsque, après avoir appris par un ami l’incendie qui frappait l’édifice, nous sommes passé quelques minutes plus tard en taxi sur le pont de Sully et que nous avons vu les immenses flammes qui s’en élevaient (ill. 1), ou quand nous avons pu suivre plus tard le travail extraordinaire des pompiers (ill. 2).


1. L’incendie de Notre-Dame vu du pont de Sully
Le 16 avril à 19 h 26.
Photo : Didier Rykner
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2. L’incendie de Notre-Dame vu du pont de l’Archevêché
16 avril à 21 h 05
Photo : Didier Rykner
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Très rapidement, c’est une véritable colère qui nous a saisi, et pas seulement nous, mais tous les historiens de l’art, conservateurs ou architectes du patrimoine avec qui nous avons pu parler. Car ce drame aurait probablement pu être évité. Si l’on ne connaît pas encore avec certitude la cause exacte du sinistre, tous les spécialistes, pompiers, policiers et le procureur même penchent pour la thèse accidentelle sur le chantier de restauration. Or cela fait des années que nous avons dénoncé sur La Tribune de l’Art les contraintes insuffisantes de sécurité auxquelles sont soumis les monuments historiques pour ce type de travaux. Nous renvoyons notamment à l’enquête que nous avions menée à la suite de l’incendie de l’hôtel Lambert, lui aussi survenu dans des conditions comparables. Nous y écrivions que plus de la moitié des nombreux incendies sur les monuments historiques survenaient sur un chantier. Nous avons rencontré aujourd’hui sur le plateau de CNews le colonel Allione, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, qui nous a donné plutôt le chiffre de 90% et qui reconnaissait qu’il y avait là un grave problème qu’il fallait résoudre.

Nous donnions dans cet article une liste non exhaustive de mesures qui devaient nécessairement être prises sur un chantier monument historique et qui n’étaient pourtant pas obligatoires (présence de détecteurs incendies efficaces et en nombre suffisant, rondes régulières de sécurité, stockage sécurisé des liquides et gaz inflammables, emploi d’entreprise spécialisée pour assurer le rôle d’entreprise générale, c’est-à-dire avoir la responsabilité de l’ensemble des travaux, règlementation de l’intervention des différents corps de métier,…). Il est trop tôt pour savoir si le chantier de Notre-Dame était suffisamment sécurisé, mais ce qui est grave c’est qu’il pouvait ne pas l’être sans pour autant enfreindre les règlements.
Nous avons à plusieurs reprises demandé qu’une loi imposant des règles plus strictes soit votée. Sans aucun résultat, bien entendu. Et une nouvelle fois, un édifice a flambé alors que des travaux étaient en cours, mais il s’agit certainement de la faute à pas de chance…

Notre colère concerne aussi la faiblesse du financement des monuments historiques. Alors qu’avant l’incendie, on estimait à 150 millions le coût de la restauration complète de Notre-Dame, trouver ce montant paraissait une tâche insurmontable pour le gouvernement français. On peut dépenser des milliards et ruiner le pays avec les Jeux Olympiques, on peut dépenser 500 millions pour rien sur le Grand Palais (voir l’article), mais on ne peut trouver 150 millions pour sauver Notre-Dame ! La solution était pourtant évidente : il suffisait que la cathédrale brûle pour que tout d’un coup l’argent ne soit plus un problème. Rien que le financement privé, tant des grosses que des toutes petites fortunes, aboutit déjà ce soir à un total de plus de 700 millions d’euros. Le milliard n’est pas loin. S’il faut bien entendu féliciter tous ces généreux donateurs (et les Pinault et Arnault, avec respectivement 100 et 200 millions d’euros, méritent assurément aussi notre gratitude), il y a quelque chose de surréaliste dans cet argent qui se déverse d’un coup sur Notre-Dame.

Comment comprendre que le Président de la République, plutôt que d’affirmer solennellement que l’État (qui est son propre assureur et le propriétaire du monument) prendra la restauration à sa charge, quitte à y ajouter, mais en complément, une souscription nationale, ne parle que de cette dernière, comme si désormais le financement du patrimoine n’était plus possible. Comme l’a dit Julien Lacaze, vice-président de Sites & Monuments, sur Public Sénat, c’est que « désormais on s’est habitué à ne plus financer le patrimoine » qui ne vit plus que de la publicité sur les églises, du loto, des mécènes... Cette attitude n’est pas digne, pas davantage que l’affirmation que la restauration (et non la reconstruction comme le dit Emmanuel Macron, qui ignore manifestement le sens des mots) doit avoir lieu en cinq ans. On voit bien qu’il reprend ici la demande d’Anne Hidalgo : cinq ans, cela signifierait que la restauration serait terminée pour les Jeux Olympiques, ces Jeux Olympiques qui deviennent désormais l’alpha et l’oméga de la politique française.


3. Installation électrique dans l’église de La Madeleine
Photo : Didier Rykner
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Quant à Anne Hidalgo, une fois de plus, sa proposition que la ville de Paris donne à la restauration de la cathédrale 50 millions d’euros est simplement indécente. Alors que beaucoup d’églises parisiennes sont en danger, alors que la ville n’accorde à leur restauration qu’un budget ridicule de 15 millions par an pour toute la mandature, un montant d’ailleurs inférieur à celui du premier mandat de Delanoë, alors que la maire prétend déjà faire beaucoup et qu’il n’est pas possible de donner davantage, tout d’un coup, Hidalgo la magicienne sort 50 millions de son chapeau pour Notre-Dame-de-Paris, qui ne dépend pas d’elle et, surtout, qui n’aura pas besoin de cet argent car elle bénéficie désormais de plus de 700 millions de mécénat. Serait-ce parce que l’édile a compris que la restauration de la cathédrale est une cause éminemment populaire et médiatique, bien davantage que l’entretien et la restauration de toutes les autres églises ? Voilà finalement une bonne nouvelle : puisque Notre-Dame n’aura pas besoin de ces 50 millions d’euros, Anne Hidalgo va pouvoir les affecter désormais aux églises de la ville… Ce qui permettra peut-être de refaire le réseau électrique de La Madeleine dont nos photos (ill. 3 et 4), prises dans les galeries qui surplombent la nef, démontrent même pour un non électricien qu’elle n’est certainement pas aux normes et qu’elle n’est pas à l’abri d’un court circuit.


4. Installation électrique dans l’église de La Madeleine
Photo : Didier Rykner
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Tout cela, qui relève de la politique la plus misérable, nous met vraiment en colère. Heureusement il y a l’espoir. L’espoir, bien sûr, que Notre-Dame puisse se relever, malgré ses pertes immenses dont la plus grande est assurément celle de sa charpente qui datait du XIIIe siècle et qui a disparu à jamais. Mais surtout l’espoir de retrouver intactes, ou presque, la majorité des œuvres qu’elle conserve. Nous essaierons dans les jours qui viennent de faire l’inventaire complet de ce qui subsiste et de ce qui a disparu. Mais sous réserve que la structure puisse tenir (il y a encore quelques craintes à ce sujet…), les pertes devraient être moins grandes qu’on ne le craignait. Les trois roses d’abord, sont toujours en place et paraissent en bon état. La plupart des autres vitraux semblent également avoir résisté. Le recteur de la cathédrale, à qui nous avons pu parler, nous a assuré que les chapelles n’avaient pas été touchées et que les œuvres qu’elles conservent (sculptures et tableaux dont les célèbres Mays pour plusieurs d’entre elles) étaient donc conservées. Même les deux tableaux du transept gauche, un May de Laurent de La Hyre et un grand Guido Reni, paraissent eux aussi, dans une vidéo diffusée par les sapeurs-pompiers, avoir survécu. Seul un article du Figaro explique que quatre Mays auraient disparu, mais nous n’en avons pas eu confirmation. Le maître-autel semble lui aussi intact, tandis que l’orgue, qu’on avait déclaré perdu en début de journée, serait lui aussi restaurable. Tout cela demande bien sûr à être confirmé. Mais l’espoir fait vivre, et nous en avons bien besoin après la terrifiante journée d’hier.

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