- 1. Martial Clerc pour la maison Virebent
Chemin de Croix, Détail de la Station VIII, 1859-1863
Verdelais
Photo : Michaël Vottero - Voir l´image dans sa page
Il est heureux de voir, à une époque où de nombreux maires décident de détruire ou de dénaturer leurs églises du XIXe siècle, une petite municipalité choisir de restaurer et de valoriser son patrimoine religieux. Un patrimoine, qui plus est, exceptionnel par son ampleur et sa qualité artistique [1].
La commune de Verdelais, située à 45 km de Bordeaux, lance une souscription pour restaurer le calvaire monumental [2] (ill. 1) qui domine le village et qui participe pleinement de la vie artistique et culturelle des XIXe et XXe siècle. Si Henri de Toulouse-Lautrec, inhumé dans le cimetière du village, y accompagnait régulièrement sa mère lors des séjours au château voisin de Malromé, la famille Redon s’y rendit en 1850 pour remercier la Vierge d’avoir sauvé le jeune Odilon et François Mauriac, qui résidait dans son domaine voisin de Malagar, y venait fréquemment assister à la messe dominicale. Ainsi, plus qu’un patrimoine bâti et artistique, Verdelais, véritable paysage de la foi, apparaît comme un lieu où l’histoire, la religion et l’art cohabitent harmonieusement.
Une histoire longue et mouvementée [3]
- 2. Les allées de Verdelais
Au fond, la basilique et
la statue de la Vierge par Duchaîne
Photo : Michaël Vottero - Voir l´image dans sa page
Lieu de pèlerinage et de guérisons miraculeuses depuis le XIIe siècle [4], le village et son sanctuaire connaissent leur heure de gloire au XVIIe siècle, lorsque le cardinal de Sourdis installe les Célestins et reconstruit la chapelle. Malmenés pendant la Révolution, les lieux n’en conservent pas moins tout leur décor d’ex-voto des XVIIe et XVIIIe siècle, que l’on peut admirer dans la basilique et le musée d’art religieux [5]. Il faut toutefois attendre l’arrivée du cardinal Donnet (1795-1882) en 1836 pour que Verdelais entre dans son âge d’or [6]. L’homme d’église souhaite en effet restaurer le pèlerinage de Verdelais et l’étendre dans son diocèse, mais également au niveau national, voir international. Dès 1838, il confie le sanctuaire aux pères maristes, venus de Lyon, et lance peu après une quête générale pour restaurer les lieux. Les dons affluent et l’on reconstruit en 1842 la voûte de la nef puis les lieux sont agrandis entre 1863 et 1865 par l’ajout de deux bas-côtés. Face à la venue massive de pèlerins les jours de fêtes, c’est l’ensemble du village qui est aménagé en une véritable église extérieure. Les allées devant l’église sont ainsi aplanies et le clocher, construit en 1854, couronné d’une statue de la Vierge, devient une sorte d’autel monumental devant lequel une estrade est dressée pour les grandes cérémonies (ill. 2) [7].
- 3. Manufacture de Sèvres
Assomption
Verdelais, Basilique
Photo : Michaël Vottero - Voir l´image dans sa page
Le cardinal Donnet sollicite les plus grands. Nommé sénateur en 1852, il demande à l’empereur de contribuer à la restauration du sanctuaire. Ce dernier envoie la somme de 5000 francs et offre à l’église, en 1854, une verrière représentant L’Assomption de la Vierge, l’un des derniers grands vitraux de la Manufacture de Sèvres (ill. 3) [8]. Afin de donner une ampleur supplémentaire au pèlerinage, le cardinal demande à Pie IX de couronner la statue de la Vierge. La cérémonie, octroyée par le Pape, qui offre lui-même les deux couronnes en or du Christ et de la Vierge, a lieu le 2 juillet 1856. Verdelais et son pèlerinage sont ainsi reconnus et soutenus par la papauté. Le cardinal Donnet peut dès lors poursuivre ses travaux d’aménagement et fait construire un monumental chemin de croix sur la colline de Cussol qui domine le village.
Le Chemin de croix et le Calvaire
Dès 1670, le père Proust aménage, à travers le bois de la colline de Cussol, un chemin qui conduit les pèlerins à quatre chapelles où prennent place des représentations des épisodes de la vie du Christ. Le cardinal Donnet en reprend l’idée et, entre 1855 et 1863, fait aménager, modeler, planter et bâtir la colline. Outre les traditionnelles stations du chemin de croix, le parcours de Verdelais s’ouvre par la chapelle de la Sainte Agonie et se clôt par la chapelle du Saint Sépulcre. Le visiteur plongé sous une voûte d’arbre chemine à travers les stations et débouche sur un magnifique panorama de la vallée de la Garonne, que domine le calvaire. C’est ainsi, tout à la fois, un parcours physique et spirituel qu’effectue le pèlerin dont on prend, aujourd’hui encore, aisément conscience, en se promenant sur les flancs de la colline de Cussol.
- 4. Martial Clerc pour la maison Virebent
Ange indicateur, 1870
Verdelais, carrefour de Saint-Maixant
Photo : Michaël Vottero - Voir l´image dans sa page
Le parcours des pèlerins se rendant à Verdelais débutait à quelques kilomètres du village, soit qu’ils arrivaient par le bateau, soit par le train. S’ils débarquaient au port de la Garonnelle, où un service de bateaux à aubes entre Bordeaux et Langon fut mis en place dès 1818, ils croisaient rapidement sur leur chemin une Vierge à l’enfant dont le bras tendu indique le chemin à suivre pour atteindre le sanctuaire [9]. S’ils arrivaient par le train et descendaient à Langon ou à Saint Macaire [10], leur route croisait, peu après Malagar, la statue d’un ange en terre cuite indiquant la direction de Verdelais (ill. 4). Ainsi, bien avant le village, le paysage est peuplé de signes qui viennent en aide aux pèlerins de plus en plus nombreux à la fin du XIXe siècle.
Après avoir salué la statue de la Vierge dans la basilique, le pèlerin pouvait se diriger vers le chemin de croix, dont il apercevait depuis le parvis la première chapelle. Cette dernière, dite Chapelle de la Sainte Agonie a été, comme l’ensemble des édicules, conçue par l’architecte Henri Duphot (1810-1889) [11]. Les statues de Saint Jean et de Saint Joseph qui accueillaient le visiteur ont disparu il y a quelques années, la façade conserve toutefois les statues des prophètes Jérémie et Isaïe (ill. 5). Elles sont l’œuvre du sculpteur Martial Clerc pour la maison Virebent de Toulouse qui a réalisé la presque totalité des décors sculptés du chemin de croix et du calvaire [12]. A l’intérieur, on découvre un groupe en bois de tilleul représentant le Christ au Jardin des oliviers, réalisé par la fabrique Mayer de Munich.
- 5. Chapelle de la Sainte Agonie
Verdelais, Calvaire
Photo : Michaël Vottero - Voir l´image dans sa page
- 6. Vue du Chemin de croix
Verdelais
Photo : Michaël Vottero - Voir l´image dans sa page
Délaissant la chapelle de la Sainte Agonie, on emprunte le portail de droite et l’on entre dans la Via Dolorosa.
Si les chapelles qui introduisent et concluent ce parcours sont différentes, les quatorze stations sont construites sur le même modèle. Dessinées par Henri Duphot, d’un style simple, elles empruntent leur vocabulaire à l’architecture médiévale (ill. 6) et sont conçues comme un lieu de prière. L’arche en plein cintre qui les ouvre, malgré la présence d’une grille, permet au pèlerin de s’abriter et de pouvoir s’agenouiller pour prier. Chacune d’entre elle est ornée d’un relief en terre cuite de la maison Virebent (ill. 7 et 8), dont la hauteur atteint presque 2,50 mètres. Les quatorze stations ont été sculptées également par Martial Clerc, sculpteur attitré de la maison après 1858.
- 7. Martial Clerc pour la maison Virebent
Chemin de croix, Station II, 1859-1863
Verdelais, Calvaire
Photo : Michaël Vottero - Voir l´image dans sa page
- 8. Martial Clerc pour la maison Virebent
Chemin de croix, Station IX, 1859-1863
Verdelais, Calvaire
Photo : Michaël Vottero - Voir l´image dans sa page
- 9. Martial Clerc pour la maison Virebent
Mise au tombeau
Verdelais, chapelle du Saint Sépulcre
Photo : Michaël Vottero - Voir l´image dans sa page
Réalisés en plusieurs morceaux, les reliefs étaient assemblés sur place et fixés aux murs des chapelles. Peu d’ensembles de cette qualité ont été conservés et Verdelais apparaît comme un cas unique de chemin de croix en terre cuite monumentale [13]. Reprenant les compositions connues des traditionnelles stations, Clerc réalise ici des œuvres où la théâtralité des corps, se double d’une forte expressivité des visages. La qualité des terres cuites confère également à l’ensemble une impression de repos et de pureté [14]. L’ensemble apparaît ainsi comme une création unique de la sculpture religieuse du XIXe siècle. La terre cuite trouve à Verdelais ses lettres de noblesse et peut rivaliser avec le marbre et le bronze.
Au sommet de la colline apparaît le dôme de la chapelle du Saint Sépulcre. Ouverte sur trois de ses côtés, elle présente une copie de la Mise au tombeau du château de Biron (ill. 9), dont l’original est aujourd’hui conservé au Metropolitan Museum of Art de New York. L’œuvre apparaît comme l’un des grands succès de la maison Virebent qui diffuse, grâce à la terre cuite, tout un répertoire de sculptures et de formes décoratives médiévales. C’est un exemplaire de cette Mise au tombeau qui offre d’ailleurs la médaille de bronze à la maison Virebent lors de l’Exposition des produits de l’industrie de Paris en 1839 [15].
- 10. Martial Clerc
Calvaire, 1870
Verdelais, Calvaire
Photo : Michaël Vottero - Voir l´image dans sa page
Le chemin invite le pèlerin à poursuivre et à contourner cette dernière chapelle pour arriver au sommet de la colline et se retrouver face à un magnifique panorama. La voûte des arbres cède, en effet, sa place à une vue dégagée sur la vallée de la Garonne. C’est à cet emplacement que se trouve un monumental calvaire en fonte de fer, commandé à la maison Mayer de Munich (ill. 10). Les sculptures arrivent à Verdelais en 1870, peu avant le début du conflit franco-prussien. Les statues de la Vierge et de Saint Jean qui se trouvaient au pied de la croix ont disparu et l’un des larrons a aujourd’hui perdu ses jambes. Au pied des degrés se trouvent deux anges de la maison Virebent, sculptés par Clerc. Comme leurs homologues en fonte de fer, ces statues ont souffert du climat et nécessitent d’urgentes restaurations. Elles participent toutefois encore pleinement de leur rôle de signal.
Verdelais apparaît donc comme l’un des rares exemples de ce type d’aménagements religieux du XIXe siècle encore en place. La prise de conscience par la municipalité de cet ensemble unique, témoin de la nécessité de dépasser les croyances lorsque l’on s’occupe de patrimoine, est exemplaire. Elle pourra, nous l’espérons, inspirer d’autres chantiers de restaurations de ces œuvres parfois délaissées, faute de grands noms d’artistes, mais dont la présence dans notre société et notre paysage demeure quotidienne.