Roland-Garros : le rapport discrédité par les conflits d’intérêts l’est aussi par sa partialité

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Le jardin des Serres d’Auteuil
Photo : Didier Rykner
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Nous avons révélé ici les liens entre Egis, l’architecte Marc Mimram, et la société immobilière Icade. Egis, société qui devait étudier le contre-projet des associations pour Roland-Garros et le comparer au projet de la Fédération Française de Tennis ne peut être considérée comme indépendante puisque Mimram et Icade travaillent tous deux pour la FFT.
On comprend donc mieux pourquoi ce rapport exécuté – c’est une espèce de record – en un mois (commencé le 9 avril, il a été rendu le 15 mai !) est d’une partialité évidente comme notre analyse le montrera.
Mais tout cela ne doit pas faire perdre de vue le véritable enjeu. Les associations ne demandent pas que l’on tranche entre les deux projets, le leur, et celui de la FFT. Elles demandent que l’on choisisse entre le leur et le déménagement de Roland-Garros ailleurs qu’à Paris. Jamais elles n’accepteront l’extension de Roland-Garros sur les serres d’Auteuil.

Sans surprise donc, le rapport a conclu à la faisabilité du contre-projet, mais en prenant soin, en le comparant à celui d’origine, d’en souligner les supposés faiblesses, ne laissant pas de doutes à quelqu’un peu familier du dossier que les propositions de la FFT sont les meilleures.
Il est facile, en dehors même des conflits d’intérêts qui marquent son élaboration, de démontrer à quel point celui-ci est biaisé. D’une part, aucune des associations n’a été auditionnée par le cabinet ; seul l’ingénieur de Dam Design ayant travaillé sur le contre-projet a été entendu, le 11 mai à 15 h, soit 4 jours avant la remise du rapport à la FFT... D’autre part, comme le font remarquer les associations dans un communiqué, aucun des projets examinés par le rapport ne correspond à la réalité.

Celui de la FFT évalué par le rapport incorpore les bâtiments en meulière, et tout le jardin japonais ; Egis ignore donc les réserves émises par le ministère de l’Écologie en mars 2012 dont nous avions parlé ici, qui doivent s’imposer à la fédération et dont ils avaient pourtant connaissance (l’existence de ce document est signalé dans le cahier des charges de l’étude). Quant au projet des associations, il est tout simplement modifié : elles précisent ainsi que « le bureau d’études a inventé des aménagements à [notre] projet qu[e nous n’avons] jamais validé ». La lecture du rapport montre en effet que le projet présenté est adapté, à sa sauce, par la société Egis. On appréciera le tour de passe-passe.

Les associations font également remarquer que « la fragilité juridique du projet de la FFT n’est absolument pas prise en compte » notamment : « le futur avis de la Commission supérieure des sites et des paysages, l’avis exprès du Ministre de l’Écologie liant la mairie de Paris, les recours pendants et à venir devant les juridictions administratives ». Les associations ont expliqué qu’elles utiliseraient toutes les armes juridiques à leur disposition pour s’opposer à ce projet. Or, le rapport ne cite, p. 130, que les « recours juridiques qui pourraient impacter [l]es délais »… du projet des associations ! et jamais celui de la FFT. Il en conclut donc (p. 130) que le projet de la FFT sera livré en 2019 comme « prévu », tandis que celui des associations ne le sera pas avant 2025. Comme celles-ci le font remarquer cette date (pourquoi 2025 ?) est bien pratique, puisque selon Egis, cela disqualifierait Paris pour les Jeux Olympiques de 2024. Même si cela devrait être une chance pour Paris d’éviter ces JO hypothétiques, c’est malheureusement faux, car même dans cette hypothèse, la capacité d’accueil du Roland-Garros actuel est tout à fait suffisante [1]. D’ailleurs, selon le groupe Écologiste de Paris, qui le signale dans l’un des vœux (voir le paragraphe suivant) : « les responsables d’Egis ont reconnu lors des entretiens que les deux projets n’avaient aucune incidence pour l’éventuel déroulement des JO sur le site ».

Le parti Europe Écologie Les Verts, dont Yves Contassot, conseiller de Paris, est un des opposants les plus actifs à l’extension sur les Serres d’Auteuil, proposera le jeudi 28 mai le vote de deux vœux au Conseil de Paris. Alors qu’ils ignoraient encore les conflits d’intérêt que nous avons révélés, les auteurs du premier vœu démontrent de manière très claire et détaillée l’incroyable partialité du rapport [2]. Ils montrent par exemple que les délais avancés par le rapport pour le contre-projet sont très surestimés, ce qui explique la date absurde de 2025. Cette mauvaise évaluation des délais est due à la prise en compte par Egis d’étapes non nécessaires, non obligatoires, ou franchement inutiles. Prenons un seul exemple (nous renvoyons au vœu d’EELV pour les autres) : l’organisation d’un débat public. Pour le contre-projet « il est probable que la CNDP décide d’un débat » lit-on dans le rapport, « alors les conséquences sont importantes » puisqu’ « il faut compter 24 mois entre la saisine de la CNDP et la décision du MOA sur la poursuite du projet ». On rappellera que le 6 juillet 2011, la Commission Nationale du Débat Public a décidé qu’il n’y avait pas lieu d’organiser un débat public « considérant que le rayonnement international du tournoi de Roland Garros confère au projet un caractère d’intérêt national ; considérant toutefois que les impacts sur l’environnement, s’ils sont réels, sont localisés » (voir ici). Un débat public, non nécessaire dans le Jardin botanique des Serres d’Auteuil, le serait donc pour couvrir une petite portion de l’autoroute A13 ? Qui peut croire une telle fable ?

Mais ce rapport, qui dès le départ montre pour qui il penche en qualifiant le projet de la FFT d’« opération ambitieuse » (p. 4), est étrange sur beaucoup d’autres plans.
Il part notamment du principe que la fédération « affiche sa volonté de limiter l’impact du projet sur l’environnement », notamment « en limitant la hauteur des constructions […] par la réalisation d’équipements neufs semi enterrés (court n° 1 des serres) » (p. 20). Ainsi, la construction d’un stade sur les serres d’Auteuil, parce qu’il sera « semi-enterré » (tout en ayant toutefois la même hauteur que les serres de Formigé), n’aurait qu’un « impact limité ». Le cabinet Egis conclut donc (p. 133), sans rire, que l’impact visuel du projet des associations est « très problématique » comparé à celui de la FFT. On remarquera d’ailleurs que si quatre critères parmi les neuf examinés dans le tableau de cette même page sont « très problématiques » pour le projet des associations, celui de la FFT ne pose aucun problème. Au pire, sur un seul critère, le contre-projet est « mieux que le projet de la FFT », celui du « milieu naturel ». Un avantage que le texte s’empresse aussitôt de relativiser puisque « l’impact [du projet porté par la FFT] est par ailleurs tout à fait acceptable ». L’analyse faite par Egis sur ce point (p. 107-108) est un sommet de mauvaise foi : le projet de la FFT a un impact direct « faible » sur les arbres, tandis que celui des associations a un « impact moyen » (c’est-à-dire plus fort). Le projet de la FFT va s’installer sur un jardin botanique, mais il ne menacerait aucun arbre et a fortiori « aucun arbre remarquable » ? Mieux, il conserverait tous les arbres ? Nous n’avons pas les mêmes éléments et nous donnons ci-joint le calcul des associations (non consultées, rappelons-le, par les auteurs du rapport) qui fait état de 36 arbres (dont deux remarquables) et 183 arbustes condamnés, mais aussi de 26 arbres (dont 5 remarquables, et trois exceptionnels) menacés par la fragilisation de leur système racinaire (travaux d’excavation, vibration des engins de chantier, risque d’infiltration de produits...), ainsi que 69 arbustes.
Au total, en faisant un bilan arbres coupés/arbres replantés, le rapport conclut sur un total de + 121 arbres pour la FFT contre + 7 arbres pour les associations. En admettant même qu’il soit exact, on doute que les associations s’opposent sérieusement à ce que 114 arbres de plus soient ajoutés à leur projet.

Mais ce n’est pas tout : nulle part dans l’étude d’Egis n’est prise en compte la suppression des serres chaudes, le transfert délicat et la conservation très aléatoire des espèces rares qu’elles contiennent ; nulle part on n’étudie l’impact patrimonial de l’installation d’un stade moderne à proximité des serres monumentales de Formigé ; nulle part on ne s’interroge sur les dégâts que causeront au jardin botanique l’envahissement par le public de Roland-Garros dont l’intérêt pour les plantes reste à prouver... Bref, le combat premier des associations, la raison pour laquelle elles se battent, à savoir la préservation de l’intégrité du jardin des Serres d’Auteuil n’est jamais pris en compte par le rapport, ce qui devrait en disqualifier complètement le sérieux.
Quant à l’estimation des coûts ou celle de l’empreinte carbone, tout aussi fantaisistes que ce que nous venons de voir, nous renvoyons au vœu des Verts, parfaitement argumenté. Sur les coûts, Egis omet de prendre en compte les dépenses supportées par la Ville de Paris (plus exactement par les contribuables parisiens) pour le réaménagement du Jardin des serres, l’aménagement du Parc Floral qui accueillera une partie des collections ainsi que les nouvelles installations dédiées au personnel du Jardin et de la direction des espaces verts de Paris, contraint de quitter les bâtiments en meulière et espaces techniques du Jardin.

Cette mascarade confirme simplement que la bonne volonté des associations n’a servi à rien. Celles-ci ont voulu jouer le jeu proposant un projet permettant de résoudre la quadrature du cercle, à savoir conserver Roland-Garros à Paris sans s’étendre sur le jardin des Serres d’Auteuil. Mais on voit bien que, depuis le début, les dés étaient pipés.
Si la FFT ne veut décidément pas s’agrandir sur l’autoroute, il ne lui reste qu’à déménager le tournoi en banlieue, par exemple à Marne-la-Vallée qui était candidate depuis le départ (et sûrement pas à Versailles, projet aussi destructeur que celui des Serres d’Auteuil). Chacun doit maintenant prendre ses responsabilités ; le Président de la République, qui a déclaré récemment : « tout doit être fait pour que sur chaque grand projet, tous les points de vue soient considérés, toutes les alternatives soient posées, tous les enjeux soient pris en compte et que l’intérêt général puisse être dégagé » et le ministère de l’Écologie et du Développement durable qui doit faire respecter les engagements pris en 2012 de passer le projet en Commission supérieure des sites, perspectives et paysages. Quant au Premier ministre Manuel Valls, qui s’est engagé imprudemment et sans conditions pour le projet de la FFT, ignorant la parole de l’État et l’exigence du Président de la République d’un débat qui ne soit pas biaisé, il devra comprendre qu’une telle opération ne peut être basé sur des engagements non tenus, et des conflits d’intérêts manifestes.

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