« Rester groupir ! »

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1. Vue de l’intérieur de Notre-Dame,
après restauration
Photo : La Tribune de l’Art
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Cela faisait des semaines que plusieurs journalistes ayant suivi de près le chantier de Notre-Dame, comme l’auteur de ces lignes, demandaient à pouvoir visiter la cathédrale restaurée, avant que la foule n’y pénètre, y compris celle assistant aux cérémonies de réouverture. Et mardi soir, miracle : on nous conviait le lendemain, 13 h 30. Mieux valait ne pas avoir autre chose à faire : notre consœur de Libération par exemple, Bernadette Sauvaget, avait une obligation ailleurs, tant pis pour elle ! De toute façon, c’était bien précisé dans l’invitation : c’était une faveur « exceptionnelle » que l’on nous faisait. L’établissement public et l’Élysée sont trop bons, ils nous autorisent à faire notre métier (voir notre article sur cette visite et la restauration).

Enfin presque. Car bien que l’intérieur de la cathédrale ait été largement dévoilé vendredi dernier lors de la visite d’Emmanuel Macron, et que des photos circulent un peu partout sur les réseaux sociaux, on nous précisait de manière comminatoire : « Pas de portable, ni appareil photo, ni caméra [1] ». Un embargo pour nos articles était par ailleurs fixé au vendredi 6 décembre à 18 h. Un embargo en terme de presse, rappelons-le, est une information qu’on ne veut pas voir fuiter avant un terme défini. Quelle nouvelle extraordinaire voulait-on nous interdire de diffuser avant l’heure ? Que Notre-Dame avait été restaurée ?
Interdire à des journalistes de prendre des photos d’un monument public, comme s’il s’agissait d’un lieu classé secret défense, est une drôle de conception de la liberté de la presse, en vigueur depuis trop longtemps à Notre-Dame puisque, lors de notre dernière visite, l’autorisation de photographier nous avait déjà été refusée. Mais on a atteint cette fois des sommets dans le ridicule.

Avant d’entrer dans la cathédrale, la trentaine de journalistes présents s’est vu demander d’abandonner leur portable à l’entrée. Une représentante de l’établissement public faisait la quête, avec un récipient qui devait accueillir les téléphones. Mais évidemment sans succès : personne n’a accepté de se prêter à cette demande digne des pratiques d’une république soviétique. Mais attention nous a-t-on averti : « Alors je vous le dis je vois une personne qui prend une photo, elle sort. » Et même (littéralement) : « Si une seule personne prend son téléphone on sort tous ». La punition collective au cas où l’un d’entre nous aurait eu la velléité de faire son métier. Comme si nous étions un groupe d’enfants qu’il fallait éduquer.

2. Vue de l’intérieur de Notre-Dame
après restauration
Photo : Didier Rykner
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Quelle était la justification de cette interdiction ? Devant la grogne, Philippe Jost, le directeur de l’établissement public, l’expliquait par les préparatifs de la cérémonie de réouverture et notamment du concert donné par l’Orchestre de Radio-France : « On vous a demandé de ne pas prendre de photos car on est un peu dans les coulisses de cette cérémonie et vis-à-vis de radio France, vis-à-vis de France Télévision, c’est un engagement de loyauté avec eux de ne pas donner à voir ces préparatifs ». Comme si nous étions impatients de révéler au monde ébahi l’installation des musiciens dans la nef. Prétexte d’autant plus absurde que tout ce qu’on pouvait voir de ces préparatifs, c’étaient des instruments posés sur les chaises de la nef et quelques écrans de télévision. Alors que nous disions que les seules choses qui nous intéressait était l’architecture et les œuvres, ils ne se sont pas laissés prendre à notre ruse, et nous ont confirmé l’interdiction complète de photographier.

La déambulation rapide dans le monument (pas question de monter sur les tribunes, et encore moins dans la charpente, il s’agissait d’une visite de 45’ chrono), sous la surveillance de plusieurs personnes chargées de vérifier que personne ne prenait de photos pour ne pas menacer le concert d’ouverture, devait se faire en groupe serré. Pour s’être éloigné de deux ou trois mètres du groupe afin de s’approcher d’une chapelle du déambulatoire, l’auteur de ces lignes s’est fait vertement réprimander par un vigile, exigeant qu’il regagne la troupe ! On se serait cru dans la Septième Compagnie [2].

3. Vue de l’intérieur de Notre-Dame
après restauration
Photo : Didier Rykner
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Arrivé à la fin de la visite, alors que nous voulions - au péril de notre vie et de nos relations avec l’établissement public - enfreindre la consigne du « no photos », nous avons été aussitôt dénoncé par une des surveillantes (comment l’appeler autrement) et aussitôt mis au ban, les responsables exigeant que nous effacions immédiatement l’objet du délit. Après avoir refusé, sachant que de toute façon ces quelques clichés, pris en catimini, étaient de pauvre qualité et que nous aurions de meilleures photos à publier (voir notre article), nous les avons finalement supprimées afin que la comédie soit complète.

De bout en bout donc, les quelques journalistes convoqués au dernier moment comme pour leur donner un os à ronger ont été traités tels des enfants ou des délinquants potentiels. Encore avons-nous eu de la chance : combien de nos confrères, français ou étrangers, se sont-ils vu refuser le Graal qu’on nous accordé avec parcimonie ? On se demande vraiment ce qu’ils peuvent penser de telles pratiques que nous n’avions encore jamais constatées, pour aucun événement. Mais après tout, ils n’auront qu’à regarder la cérémonie à la télévision, ou à acheter le livre « officiel » de la restauration.

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