- Le rapport Sarr-Savoy publié au Seuil
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Bien que n’étant pas citée nommément, La Tribune de l’Art est néanmoins évoquée (« certains magazines spécialisés en art ») dans la tribune de Bénédicte Savoy et Felwine Sarr publiée dans Le Monde du 30 novembre. J’y répondrai ici.
Leur méthode a été mise en cause, ce à quoi ils répondent par une accusation « Le procédé est bien connu, il consiste à ne jamais répondre sur le fond, mais à commencer par tenter de décrédibiliser ceux dont on ne partage pas les analyses et conclusions en jetant le discrédit sur leur démarche» Nous reviendrons plus loin sur la question du fond, particulièrement savoureuse parce que nous avons – et pas seulement nous - largement débattu sur ce plan, en donnant des arguments auxquels les auteurs ne répondent justement jamais. Mais le questionnement de leur méthode est parfaitement justifié quand tout démontre que la mission a été, effectivement, menée de manière biaisée. Non, contrairement à ce qu’écrivent Bénédicte Savoy et Felwine Sarr dans Le Monde, il n’y a pas eu de « nombreux ateliers » organisés, puisqu’il suffit de se reporter à leur rapport pour apprendre qu’il y en a eu… deux seulement. Ce n’est qu’un exemple de plus du manque de rigueur dont ils font preuve un peu partout où ils s’expriment.
On peut lire dans leur rapport qu’ils se sont « efforcés d’entrer en dialogue, individuellement, avec plusieurs représentants du marché de l’art africain, en France comme en Afrique ». Manifestement, leurs tentatives n’ont pas été couronnées de succès (ce qu’ils se gardent bien de préciser) puisqu’ils n’ont consulté en réalité aucun marchand français d’art africain ! Par ailleurs, ils auraient « rencontré plus de 150 personnes ». Là encore, il suffit de se référer à la méthode qu’ils décrivent pour comprendre que les seuls conservateurs de musées français rencontrés l’ont été dans le cadre d’une unique réunion qui rassemblait pas moins de 34 personnes (et pas uniquement des conservateurs). Après une présentation de leur mission et de son déroulement, il y eut un échange avec la salle qui ne permettait, pour des raisons évidentes de temps (le tout s’est déroulé en une matinée !), aucun travail de concertation sérieux. Comme nous l’a confié un participant : « De toute façon, il ne s’agissait pas de prendre le temps de nous entendre, d’être dans la finesse d’analyse ni dans des cas concrets. Nous avons été abasourdis par l’amateurisme et l’à peu près dont ils ont fait preuve ».
Il est donc parfaitement légitime de mettre en doute leur méthode. Et ce n’est pas leurs arguments d’autorité (« notre longue expertise universitaire sur le sujet », « tous les deux professeurs des universités et que notre qualité s’appuie sur un travail scientifique reconnu par nos pairs ces vingt dernières années ») qui convaincront : il s’agit certainement d’honorables universitaires, mais aucun des deux n’est spécialiste de l’art africain ni des musées. Felwine Sarr est économiste et Bénédicte Savoy spécialiste des échanges artistiques en Europe, notamment entre l’Allemagne et la France.
Ni l’un ni l’autre, donc, ne répondent à nos arguments. Ou plutôt ils feignent de le faire en les limitant à un seul : « l’incapacité supposée [des pays africains] à conserver leur patrimoine, parfois même à en comprendre l’utilité ». Nous passerons sur la dernière partie de la phrase puisqu’il s’agit d’un argument que nul n’a employé (faire dire à ses contradicteurs des choses qu’ils n’ont jamais dites ni même pensé est un procédé particulièrement malhonnête). Pour contredire le premier point, Bénédicte Savoy et Felwine Sarr affirment : « Ce sont pourtant ces sociétés qui ont produit, conservé et vitalisé ces œuvres durant des siècles avant qu’elles ne deviennent l’objet de captations et prédations diverses ». Une fois de plus, voilà une affirmation bien simpliste : la plus grande partie des œuvres africaines qui se trouvent en Europe datent des XIXe et XXe parce qu’elles n’étaient en général pas faites pour être conservées. Si elles n’avaient pas été emportées dans les musées français, elles n’existeraient tout simplement plus. Cela n’a rien à voir avec des « traces persistantes de colonialité (sic) » mais avec un constat historique.
Car la tribune parue dans Le Monde, contrairement d’ailleurs au rapport qui se garde bien de se placer explicitement sur ce terrain, est essentiellement basée sur les questions de « morale » et de « justice » qui sont bien entendu beaucoup plus compliquées que ce que les auteurs voudraient faire penser. Mais cela est bien pratique de revenir au combat du Bien contre le Mal quand on est à court d’arguments.