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- Gustave Courbet (1819-1877)
Le Désespéré, 1843-1845
Huile sur toile - 45 x 54 cm
France, propriété de Qatar Museums Authority
Photo : Wikipedia (domaine public) - Voir l´image dans sa page
Le tableau de Gustave Courbet, Le Désespéré, a fait l’objet d’une vente privée en France, et son acheteur, Qatar Museums, n’a pas demandé, et n’a donc pas obtenu, de certificat d’exportation. Ce fait est acquis et on ne peut pas reprocher au ministère de la Culture d’avoir laissé sortir un trésor national, même si l’on doit s’interroger sur le curieux accord qui a suivi (voir notre brève du 14/10/25).
Mais cette affaire relance la question de l’opacité (pour dire le moins) du Service des musées de France sur l’exportation des œuvres d’art. Contrairement à ce que certains prétendent, nous ne militons évidemment pas pour que tout soit acheté par des musées. Les trésors nationaux ne sont pas la majorité, et même parmi eux, certains peuvent sans difficulté être vendus à l’étranger. Par exemple, indiscutablement, le Guido Reni, David et la tête de Goliath (voir la brève du 5/6/25), aurait dû faire l’objet d’une interdiction de sortie s’il n’existait pas un très grand nombre de tableaux de Guido Reni dans les musées français, parmi lesquels deux autres versions de la même toile. Il n’y a aucun souci à ce qu’il soit éventuellement exporté. De même (voir la brève du 6/10/25), la Crucifixion de Rubens, si nous aimerions la voir gagner le patrimoine public, n’est pas suffisamment rare ou exceptionnelle dans nos collections publiques pour faire l’objet d’un refus de certificat. La Nature morte de François Boucher est une peinture importante, et unique par son sujet. Il serait formidable qu’un musée de notre pays puisse l’acquérir. Faudrait-il la classer trésor national ? Pas forcément : on espère simplement qu’un musée pourra la préempter lors des enchères. Bref, nous ne sommes pas des obsédés de l’interdiction d’exportation, sauf lorsque l’œuvre, de toute évidence, l’impose.
Mais la connaissance des œuvres d’art exportées, bien au-delà de cette question des trésors nationaux, présente un caractère essentiel pour une autre raison : suivre leur historique. Rappelons que le ministère de la Culture impose quasiment à tous les musées de passer beaucoup de temps à travailler sur la provenance de leurs collections, voire à engager des personnes qui se consacrent à cette tâche, et harcèle littéralement les marchands, afin qu’ils donnent l’origine la plus précise possible de chaque œuvre qu’ils leur proposent. Ce même ministère, donc, qui n’a que le mot « provenance » à la bouche, comme s’il s’agissait de l’alpha et de l’oméga de l’histoire de l’art, cache sciemment, non seulement la provenance des objets exportés de France, mais aussi leur nature même. On perd ainsi un historique précieux pour des œuvres qui se retrouvent à l’étranger, parfois sans que l’on sache même qu’elles sont sorties de notre pays ou qu’elles en proviennent.
En dehors des objets dont le prix dépasse les seuils des trésors nationaux, les vendeurs devraient être obligés, pour ceux vendus à l’étranger ayant un intérêt artistique et patrimonial [1], d’informer le ministère de la transaction. Cela permettrait ainsi de documenter leur historique, voire dans certains cas de faire connaître des œuvres inédites.
Faites ce que je dis, pas ce que je fais : voilà une nouvelle fois cette devise mise en œuvre par l’État français, qui se veut pourtant exemplaire dans ce domaine des provenances d’œuvres d’art.