« Pôle art » ou démantèlement des Musées Royaux et de l’IRPA ?

Les musées sont plus que de simples attractions touristiques cash maker

Bruxelles, Musée du Cinquantenaire
(ou Musées Royaux d’Art et d’Histoire)
Photo : Didier Rykner
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Le projet de fusion (voir ici l’article de Denis Coekelberghs) des Musées Royaux des Beaux-Arts, du Cinquantenaire et de l’IRPA (Institut Royal du Patrimoine Artistique) a suscité de l’inquiétude parmi le personnel des institutions concernées (muselé, ayant reçu l’ordre de refuser tout contact avec les médias), des articles dans la presse et sur les blogs, la création d’une page Facebook et dernièrement un « Appel au Gouvernement Fédéral » (bilingue) lancé par 25 professeurs d’universités belges et françaises auquel le Ministre Paul Magnette a répondu récemment [1]

Avant toute chose, je voudrais remercier vivement le Ministre de manifester depuis un moment déjà de l’intérêt pour ces institutions. Ce n’est pas en effet parce que son avis et celui de professionnels des musées et de l’Histoire de l’Art divergent nettement que nous devons ne pas le reconnaître. La rapidité de sa réponse en est un autre signe, rare, méritant d’être souligné.
Dans cet esprit constructif, je voudrais me permettre de relever respectueusement ce qui, dans celle-ci, me paraît être le fait ou d’une méconnaissance ou d’une incompréhension de ce que sont l’esprit et l’essence même d’un musée, ou, plus certainement, d’une information partielle. Je ne suis en effet pas un opposant, mais un partisan constructif d’un projet qui respecte clairement les différentes dimensions d’un musée.

Il faut premièrement constater une mauvaise compréhension de la part de tous les observateurs du projet de fusion, pourtant publié et largement commenté dans la presse. Le Ministre affirme en effet, dans sa réponse, que l’existence et les missions actuelles de l’IRPA ne sont pas remises en cause. C’est une excellente nouvelle dont nous prenons acte. Mais plusieurs questions demeurent et ne lèvent pas tout à fait le doute sur le devenir de cette institution de pointe.

Je suis aussi parfaitement d’accord avec la nécessité avancée par le Ministre de renforcer la cohérence des musées, de consolider les pôles d’excellence scientifiques, d’optimiser le mode de fonctionnement et de rationaliser les infrastructures. Cette évolution n’est en effet « pas unique », elle est même recherchée partout où cela est possible, quelque soit le pays observé. Néanmoins, l’exemple de Berlin ne me semble pas le mieux choisi, ou compris. En effet, le succès de l’Ile-aux- Musées n’est pas dû à une fusion des institutions qui la constituent, mais à une approche nouvelle sur tous les plans. Particulièrement celui de la recherche de toutes les synergies possibles, notamment structurelles, ainsi qu’en matière de communication et de projets culturels et scientifiques des institutions, qui ont toutes conservé leur forte identité originelle.
Ceci dit, les problèmes que rencontrent les musées de Berlin sont loin d’être tous résolus. Les récentes réactions au projet de fermeture de la Gemäldegalerie, l’une des plus belles collections européennes d’art ancien (pour la remplacer par un musée d’art contemporain) est le seul exemple que je citerais. Une pétition conduite par le Pr Jefferey Hamburger (Harvard) réunissant plus de 14000 signatures vient de mettre un frein à ce projet technocratique dépourvu de sens.

La méthode et la terminologie employées pour parvenir à cette modernisation indispensable sont les points sur lesquels nous divergeons complètement. Les « unités ou entités muséales » n’existent pas. Il ne s’agit de rien d’autre que de synonymes d’attractions touristiques qui, comme telles, suivent la mode et devront le faire au plus proche, pour continuellement attirer les visiteurs. Il faudra donc là aussi un financement à la hauteur. Le Musée Magritte, toujours cité en exemple, est le prototype de la fausse bonne idée. Il a retiré une partie du sens et de l’attractivité du Musée d’Art Moderne, obligé a mettre en réserve les œuvres dont il prend la place, employé des fonds et des énergies qui auraient pu servir à la mise en valeur de l’ensemble des Musées Royaux des Beaux-Arts. Il serait aussi extrêmement intéressant de pouvoir examiner les chiffres annuels des entrées payantes (et non uniquement des entrées cumulées, ainsi que ceux des coûts financiers et de mises en réserves de collections entières).

Un point fondamental est oublié dans l’argumentaire du Ministre : les Beaux-Arts, le Cinquantenaire, l’IRPA et le défunt Musée d’Art Moderne ont une identité forte. Certes, elle est en perte de reconnaissance, faute des investissements nécessaires promis et attendus depuis plus de dix ans. Cette identité n’est pas à confondre avec une « adéquation entre l’unité muséale et la nature des collections conservées ». La gestion d’un musée et son développement n’ont jamais reposé sur ce principe. Au contraire ; les exemples les plus réussis de développement reposent tous (musées internationaux ou régionaux) sur un projet scientifique, culturel et commercial solide (PSCC), bâti à chaque fois sur des collections par nature diverses. Tous ces musées auxquels je pense en écrivant, attirent un nombre de visiteurs considérable, voir impressionnant. Ils génèrent ainsi des recettes propres, mais également des retombées touristiques. Ce sont deux éléments aujourd’hui clairement affirmés, très éloignés de la frilosité de nos prédécesseurs en cette matière. En outre, les « appellations anciennes » ne sont en aucun cas un obstacle à ces différents succès, bien qu’elles ne renvoient presque jamais « au contenu que peut légitimement attendre le visiteur ».

Au risque de me répéter, c’est un PSCC qui fait uniquement la différence, attire les visiteurs dans les musées et met en lumière leurs « qualités, mais aussi leurs limites ». C’est également ce même PSCC qui garantira une « meilleure compréhension de l’histoire artistique belge », parce qu’il comprend une large réflexion sur la « pédagogie de la présentation ».
Il n’y a pas d’autres moyens de respecter les sens et esprit d’un musée, tels qu’ils sont appliqués dans tous les pays du monde et tel qu’ils ont été formalisés en 2007, lors de la 21e Conférence Générale de l’ICOM à Vienne [2]. C’est également le garant d’un développement harmonieux, s’adressant à tous les publics.

Par ailleurs cette « thématisation » ne permettra jamais aux artisteş cités par le Ministre, et non représentés dans les collections, d’y entrer, compte tenu de leurs cotes sur le marché de l’art (Picasso, Kandinsky, Mondrian, Malevitch, Pollock, Warhol, Friedrich, Turner, Monet, Cézanne, Munch). Nos musées ont bien d’autres points forts que cette vaine starisation.
La « thématisation » cache en réalité un démantèlement des Musées concernés, nécessaire pour constituer ces « entités muséales » et une mise définitive en réserve des œuvres déclarées sans intérêt ou jugées secondaires ou non rentabilisables. La démonstration en est donnée par la fermeture sine die du Musée d’Art Moderne, sans aucun projet de réouverture crédible à court terme. La même rhétorique est appliquée aux bâtiments qu’on laisse se dégrader, afin de pouvoir les juger un jour inaptes (ou ineptes ?) ou que l’on considère comme muséographiquement dépassés. Ce qui n’empêche pas, comme nous avons pu le remarquer tout récemment, de réutiliser le défunt Musée d’Art Moderne pour un autre projet où l’édifice trouve subitement toute sa cohérence, pourtant sévèrement critiquée quelques mois auparavant.
Je n’ose poser la question à mon tour : dans combien de temps reverrons-nous à Bruxelles la réouverture du Musée d’Art Moderne, sur des bases réalistes et muséales ?

Enfin, s’il est indéniable que l’état actuel du bâti est dû à « une dégradation permanente de bâtiments dont la rénovation a été tantôt mal faite, tantôt trop longtemps différée », il faut souligner que la direction actuelle des Musées Royaux des Beaux-Arts est en place depuis 2005 et qu’il est un peu court de rejeter la responsabilité uniquement sur les prédécesseurs ou les politiques.
Une grande ambition pour ces trois institutions est indispensable, c’est indéniable. Mais elle doit être soutenue politiquement, financièrement et réalisée dans le cadre de la Conférence Générale de Vienne de 2007.
Le rêve est également indispensable, mais un de ces rêves dont il reste en se réveillant une impression de réalité, pour ne pas dire de réalisme, d’autant plus qu’il s’agit d’institutions dépendantes d’un contexte politique peu au fait de la réalité muséale.
L’enjeu est simple : voulons-nous des musées modernes, gérés de façon contemporaine, attrayants, dont la médiation est adaptée à tous types de publics ou des attractions touristiques ?

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