Patrick Gomont, nouvel expert de la tapisserie de Bayeux

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1. Patrick Gomont
Maire de Bayeux
Photo : Romain Bréget (CC BY-SA 3.0)
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Sous le titre « Face à la polémique, les révélations de Patrick Gomont », La Renaissance-Le Bessin-Côte de Nacre publie une interview de ce dernier (consultable sur le site Actu.fr) à propos de la tapisserie de Bayeux.

« Patrick Gomont, mais qui est-ce ? » vous demandez-vous probablement. Il s’agit du maire de Bayeux, dépositaire à ce titre de l’œuvre qui reste propriété de l’État. Celui-ci affirme que le chiffre de 70 000 signatures n’est « pas très significatif pour nous ». Il n’a pas tout à fait tort : 70 000 c’est trop peu, même si c’est beaucoup pour une pétition - que nous vous invitons à signer - portant sur une question patrimoniale, ce qui ne mobilise pas souvent les foules. Mais sa remarque est savoureuse, venant du maire d’une ville de moins de 13 000 habitants, élu avec 2 216 voix. Sa légitimité pour décider du destin d’un trésor national français semble encore plus faible.

Au passage - et nous répondrons ensuite à ses arguments - il m’attaque en expliquant que j’aurais trouvé le moyen de faire parler de moi. Manifestement, en bon homme politique, Patrick Gomont ne comprend pas qu’on veuille faire passer l’intérêt général avant les siens propres. L’engagement de La Tribune de l’Art pour notre patrimoine est constant depuis plus de vingt ans, il aurait été étrange de ne pas nous battre pour l’une de ses œuvres les plus précieuses.
Enfin, il « met au défi tous ceux qui s’intéressent au dossier de la Tapisserie de [lui] dire qui est Didier Rykner ». Il s’avance peut-être un peu : ma notoriété est faible auprès du grand public, je l’admets volontiers (et cela ne me gêne pas). Elle l’est un peu moins chez ceux qui s’intéressent à la défense du patrimoine. Mais là aussi, venant de Patrick Gomont, homme politique que, vraiment, personne ne connaît en dehors de sa région (et encore), c’est une attaque assez savoureuse.


2. Anonyme, fin du XIe siècle
Broderie dite Tapisserie de Bayeux (détail)
Lin et laine - 50 x 6838 cm
Bayeux, Musée de la Tapisserie de Bayeux
Photo : Didier Rykner
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Passons donc au fond du dossier. Quelles sont les « révélations » du maire de Bayeux (Patrick Gomont, rappelons-le) ?

 « Le coût de sa restauration était trop important » car il n’y a aucun bâtiment à Bayeux, ni dans un rayon de 10 km autour de Bayeux, ni même « en Normandie » « qui soit capable d’accueillir l’œuvre pour sa restauration dans les conditions requises ». De même, construire un bâtiment neuf de plus de 70 m de long était aussi trop coûteux. 
Il explique également qu’il a alors envisagé la restauration en Angleterre « si on ne pouvait pas le faire en France ».

 Son argumentation est ridicule. Certes, il n’y avait aucun lieu dans Bayeux ou à proximité permettant de la restaurer pendant les travaux du musée, et la construction d’un bâtiment spécial était trop coûteuse : c’est ce qu’expliquait le 30 janvier la DRAC Normandie sur le site YouTube de la préfecture du Calvados, la vidéo récemment supprimée [1]. Et ce qu’oublie de préciser Patrick Gomont (maire de Bayeux, rappelons-le), c’est que l’État, se basant sur les expertises et les études menées ainsi que sur l’avis du comité scientifique, excluait tout déplacement de plus de quelques kilomètres pour la restaurer. Jamais « la Normandie » dans son entier n’a été étudiée pour y trouver un bâtiment suffisamment long pour la restaurer. Et encore moins la France ou l’Angleterre. D’ailleurs comment Patrick Gomont (petit rappel : c’est le maire de Bayeux) peut-il prétendre avoir envisagé la restauration en Angleterre, en plus de son prêt, quand il avoue plus haut avoir abandonné l’idée d’une restauration en France ? Rien n’aurait en effet interdit sa restauration ailleurs en France, puis sa réinstallation dans le musée, si la transporter avait été une option. Ajoutons que, pour l’instant, la restauration de la Tapisserie n’est plus prévue avant longtemps, car après la fermeture du musée pendant deux ans, la mairie veut pouvoir rouvrir la visite aux touristes sans délai : qui peut donc croire qu’il était prêt à la laisser partir pour être restaurée en Angleterre après son exposition au British Museum ?

 À propos de la vidéo et de l’affirmation de la Conseillère musées de la DRAC, Patrick Gomont (vous savez : le maire de Bayeux) affirme que : « Nous avons de telles réactions aussi parce qu’une personne qui dépendait de la DRAC et qui n’est pas une spécialiste de la broderie a certainement dit ce qu’on lui a demandé de dire : que la Tapisserie n’est pas transportable ». Nous aimerions savoir qui, d’après Patrick Gomont (maire de Bayeux pour ceux qui ne suivent pas) est ce « on » qui aurait demandé à la préfecture du Calvados de dire qu’elle n’était pas transportable. Ou plutôt non, nous n’avons pas besoin qu’il nous le dise. Il s’agit des restaurateurs et des conservateurs qui étudiaient cette tapisserie depuis 2020 (au moins) et du comité scientifique.



- Mais l’argument le plus grotesque de Patrick Gomont (il est maire de Bayeux) est celui de la chemise pliée dans l’armoire : « Je ne vois pas comment nous pourrions laisser la Tapisserie de Bayeux pliée en accordéon dans une caisse pendant deux ans, sans qu’elle ne s’abîme. Nous prenons toujours l’exemple de la chemise pliée dans une armoire et qui ne bouge pas pendant deux ans : il y a des marques au niveau des plis ! ». Entendons-nous : stocker pendant deux ans la Tapisserie dans une boîte n’est en rien exempt de risques, car toute manipulation, et tout transport, ne serait-ce que sur quelques centaines de mètres, sont délicats. Mais tous les spécialistes de la conservation et de la restauration des textiles qui se sont penchés sur l’œuvre depuis plus de cinq ans ont abouti, après des années d’étude, à un protocole qui limite ces risques au minimum. Ils ont élaboré un paravent qui, évidemment, ne plie pas la broderie, mais la conserve en accordéon, et à plat, dans une boîte spécialement conçue à cet effet. Comparer cela à un vêtement plié dans une armoire est tellement bête que l’emploi d’un tel argument laisse pantois dans la bouche d’un homme politique qu’on penserait responsable (nous parlons de Patrick Gomont, maire de Bayeux et spécialiste de la conservation des chemises pliées dans une armoire). 
Pour ceux qui souhaitent mieux comprendre comment tout cela fonctionne, nous renvoyons vers cette vidéo, d’une conférence intitulée : « Importance des études préalables à la conservation-restauration de la "Tapisserie de Bayeux" », donnée par les restauratrices devant l’Institut national du patrimoine, qui explique tout cela avec précision.

Nous pourrions signaler d’autres déclarations amusantes parmi les « révélations » faites par le maire de Bayeux (il s’appelle Patrick Gomont, il est bon de s’en rappeler). Par exemple, qu’il a « toujours cru et travaillé à ce prêt de la Tapisserie à l’Angleterre », et qu’il avait comme nous l’avons écrit même envisagé une restauration par le British Museum. Pourtant, un peu plus loin, il explique « avoir rencontré le British Museum pour la première fois il y a une semaine ». Est-ce vraiment sérieux ?
Son explication de ne pas avoir « d’espace adapté dans nos musées pour » une exposition d’œuvres du British Museum, ni les moyens pour en organiser une, est tout aussi fantaisiste, car il dit tout de suite après qu’une exposition au Musée Baron Gérard « s’intéressera à l’histoire de la broderie millénaire, de sa création à nos jours, autour de la thématique de la Normandie médiévale », et qu’une autre exposition, « "L’histoire de la Tapisserie pendant la guerre" sera proposée au Musée mémorial de la Bataille de Normandie », ce qui montre bien que, comme dans tous les musées de province, ceux-ci disposent d’espaces d’exposition. Ajoutons la troisième exposition, qui sera montrée à l’Hôtel Doyen (autre espace disponible à Bayeux), « immersive » celle-là, intitulée (c’est sans doute de l’humour involontaire) « Prendre soin de la Tapisserie ». Le budget de cette dernière sera supérieur à 400 000 € puisque l’appel d’offres pour son organisation est de 393 107 € [2]. Une exposition pouvant difficilement être organisée pour moins de 100 000 €, on conclura que le budget de ces trois expositions aurait sans aucun doute été a minima de 600 000 €, ce qui permettrait évidemment de montrer, s’il l’avait voulu, des œuvres du British Museum [3].

On voit donc que les arguments du maire de Bayeux ne sont guère convaincants. Mais au moins cette interview aura-t-elle permis à Patrick Gomont, que pas grand-monde ne connaît, de faire parler de lui.

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