- Royaume de Benin, XVIIIe siècle (?)
Coq « okukor »
Bronze
Université de Cambridge
Photo : Capture d’écran (Traditionalism Archive/
Youtube) pris sur le site Courrier International - Voir l´image dans sa page
Récemment, l’Université de Cambridge a annoncé la « restitution » au Nigéria d’un coq en bronze de l’ancien royaume de Benin [1]. L’affaire couvait depuis un certain temps puisque, déjà en 2016, un comité d’étudiants avait décidé de s’attaquer au sympathique volatile, lequel trônait sans ennuyer personne dans le dining hall du Jesus College et veillait sur le breakfast des pensionnaires.
Le crime auquel serait lié ce sulfureux gallinacé, désigné parfois sous le nom d’okukor [2], est clairement explicité dans différents articles [3] : cette pièce fut saisie par les troupes coloniales anglaises lors de la prise de Benin-City en 1897 et arriva en la possession du capitaine George W. Neville, un des officiers de cette expédition militaire, qui le légua ensuite au Jesus College.
Ceci n’est pas en soi un scoop, car la grande majorité des bronzes de Benin présents en Europe et en Amérique sont liés à ladite expédition dont il importe de relater brièvement l’histoire.
Au début de l’année 1897, le consul James R. Phillips (un ancien de Cambridge) avait entamé, dans un but notamment commercial, une mission diplomatique auprès de l’oba (souverain) Ovonramwen de Benin. Il lui fut demandé de rebrousser chemin en raison de rites royaux pendant lesquels l’oba ne pouvait recevoir des étrangers. Ce fut l’erreur de Phillips de s’entêter et de continuer à marcher en direction de Benin-City accompagné d’une poignée de concitoyens britanniques et de nombreux porteurs recrutés localement. En réponse à ce qui fut perçu comme un sacrilège, voire une déclaration de guerre, la mission Phillips fut quasiment décimée. Phillips notamment y laissa la vie.
Au regard des us et coutumes de l’Angleterre victorienne, il était assez mal perçu d’occire un consul et sa délégation désarmée. Cet évènement tragique entraîna l’organisation d’une expédition punitive dirigée par l’amiral Harry Rawson.
Après de brefs combats, les troupes britanniques entrèrent dans une capitale quasi déserte pour y découvrir un terrible spectacle : les centaines de cadavres de personnes exécutées sur ordre de l’oba qui, suivant les rites traditionnels, souhaitait conjurer ainsi le sort et sauver le royaume des envahisseurs. Ces pratiques sacrificielles n’étaient pas rares au royaume de Benin et, encore dans les années 1950, certains dignitaires se plaignaient qu’elles aient été interdites par les Anglais. Pendant l’occupation de la ville, des objets en alliage de cuivre, mais aussi d’autres en corail ou en ivoire (notamment de nombreuses défenses sculptées), venant essentiellement du palais de l’oba, furent réunis et confisqués. Une partie du « butin » contribua par sa vente à payer les frais de l’expédition et à pensionner les soldats blessés ainsi que les veuves de ceux qui furent tués [4]. Le reste fut réparti entre les différents officiers au titre de trophées ou de souvenirs. Précisons ici que, à cette époque, ces pratiques susmentionnées, de même que la saisie d’objets dans un but stratégique (affaiblir la puissance politico-religieuse du vaincu), étaient considérées comme légitimes aussi bien par les armées européennes que par les armées africaines.
Actuellement, certains objets de la campagne de 1897 sont dans les collections muséales de différents pays (Allemagne, France, Autriche, Royaume-Uni, Etats-Unis, Pays-Bas…), d’autres passent parfois sur le marché de l’art via des maisons de vente comme Sotheby’s ou Christies qui, depuis les années 2000 [5], ont proposé plusieurs dizaines de bronzes de Benin. D’autres pièces encore sont en galerie. On évoquera ici la très belle plaque à haut relief qui fut vendue par le marchand Didier Claes.
A notre connaissance, aucun de ces objets récemment mis sur le marché n’a été acquis pour ses musées par le Nigéria, pays pourtant premier producteur de pétrole en Afrique ; et aucune de ces œuvres ne fut non plus acquise par de généreux donateurs nigérians pour le compte de ces mêmes musées. Soit dit en passant, le pays compte plus de 15.000 millionnaires en dollars et aussi une vingtaine de milliardaires [6].
Cela pourrait s’expliquer par le fait que le Nigéria possède déjà de solides collections qui ne collent pas vraiment avec l’image misérabiliste que l’on donne parfois des musées africains. Serait-ce en réalité du paternalisme déplacé que de justifier ici des restitutions de pièces au prétexte que « nous avons tout et ils n’ont rien » ? Ainsi, les collections du Nigerian National Museum de Lagos tournent autour de 45.000 pièces en réserves. Par ailleurs, le catalogue de l’exposition Kingdom of Ife qui s’est tenue au British Museum en 2010 atteste de la qualité des pièces prêtées par le Nigéria, preuve éclatante des magnifiques collections muséales de ce pays.
Il faut cependant reconnaître que cette richesse des collections nigérianes doit beaucoup à des africanistes anglais présents dans ce pays dans les années 1930-1950. Des chercheurs comme Bernard Fagg (encore un ancien de Cambridge) et Kenneth Murray se consacrèrent à la création de musées et à la protection du patrimoine nigérian. L’action de l’Antiquities Services, fondé en 1943, qui avait notamment entrepris de lutter contre le pillage culturel, doit-elle être passée sous le boisseau parce qu’il s’agit d’une administration « pré-indépendance » ? En plus d’empêcher la sortie d’œuvres africaine de leur territoire, ce service récupéra des pièces importantes exportées illégalement et qui se trouvaient notamment aux Etats-Unis. On notera d’ailleurs que c’est également durant la période coloniale, en 1952 pour être précis, que deux léopards en bronze pris en 1897 à Benin-City intégrèrent les collections muséales du Nigéria par voie d’achat. Ces deux félins avaient fait partie, comme le coq de Cambridge, de la collection de George W. Neville.
Inversement on peut noter que l’actuelle National Commission for Museums and Monuments, héritière de l’Antiquities Services, n’a pas toujours été d’une grande efficacité pour ce qui concerne la protection des biens culturels du Nigéria comme en témoignent les monolithes endommagés de la Cross-River.
On peut décemment supposer que la complexité du fait colonial britannique, de même que les problématiques patrimoniales du Nigéria actuel, n’ont pas été prises en compte par ceux qui ont mis sur pied un tribunal arbitraire pour l’okukor du Jesus College.
Il est vrai qu’en ce qui concerne la question des restitutions, l’époque est à la moraline. L’important est de ne surtout pas créer un scénario trop compliqué afin que l’on puisse avoir, comme dans un très mauvais film hollywoodien, des méchants et des gentils bien identifiables… quitte à s’arranger avec l’histoire et le droit.
- 2. Atelier de Frans Snyders (1579-1657)
Le Marché aux volailles
Huile sur toile - 213,8 x 337,8 cm
Cambridge, The Fitzwilliam Museum
Photo : The Fitzwilliam Museum - Voir l´image dans sa page
Relevons pour finir que l’Université de Cambridge a en ce moment un vrai problème avec les volatiles. En effet, la digne institution a décidé, toujours sous la pression de quelques étudiants, de retirer du réfectoire dans lequel il se trouvait un tableau du XVIIème ; intitulé le Fowl Market (Le Marché aux volailles) ou Game Stall, cette copie d’atelier d’une œuvre de Frans Snyders conservée à L’Ermitage a pour sujet un étal garni de gibiers à poils, mais aussi et surtout à plumes.
La raison de ce retrait est simple : le tableau, très peu sanguinolent au demeurant, choquait des élèves végétariens et végans [7].
On pourrait suggérer à l’Université de mettre en lieu et place du Fowl Market un autre tableau de Snyders actuellement conservé à l’Ermitage, et qui a pour sujet un alléchant éventaire de légumes. Toutefois, certains desdits légumes figurant dans le tableau furent arrachés du sol… ce qui pourrait heurter des élèves jaïnistes particulièrement orthodoxes.
Convenons que ce risque est trop grand pour être couru par une université qui, toute prestigieuse qu’elle soit, semble désormais vouloir s’inscrire dans une vision philosophique digne de l’Evergreen State College de l’État de Washington de triste réputation.